Intel Foundry au coeur de la nouvelle course aux processeurs
Maxime Johnson|Publié le 26 février 2024Le PDG d’Intel Pat Gelsinger a annoncé la semaine dernière le lancement officiel de la division Intel Foundry, près de deux ans après son annonce initiale. (Photo: Intel)
TECHNO SANS ANGLES MORTS décortique les technologies du moment, rencontre les cerveaux derrière ces innovations et explore les outils numériques offerts aux entreprises du Québec. Cette rubrique permet de comprendre les tendances d’aujourd’hui afin d’être prêt pour celles de demain.
TECHNO SANS ANGLES MORTS. Lacunes de la chaîne d’approvisionnement mises en évidence par la COVID, considérations géopolitiques, explosion de l’intelligence artificielle, nouvelles technologies avancées pour la production de microprocesseurs: plusieurs forces transforment ces temps-ci l’industrie des semiconducteurs. Avec sa nouvelle division Intel Foundry, Intel compte bien en profiter.
Levez la tête, et comptez le nombre d’appareils électroniques autour de vous. Téléphones, ordinateurs, haut-parleurs connectés, moniteurs: chacun d’entre eux compte des dizaines de semiconducteurs, comme des processeurs, capteurs et autres systèmes sur puce. Une automobile moderne en contient même entre 1000 et 3000 différents, selon les estimations.
Et on ne parle même pas des centres de données, nécessaires au bon fonctionnement de la plupart de ces appareils, ou pour entraîner les nouvelles IA génératives. Lors de ses derniers résultats financiers, NVIDIA, qui produit l’accélérateur H100, le plus populaire pour entraîner les modèles de langage comme ChatGPT, a d’ailleurs annoncé des profits de 12,285 milliards de dollars américains (G$US), en hausse de 769% par rapport à l’année précédente, ce qui lui a même permis de dépasser la marque des 2000G$US en capitalisation boursière vendredi.
Ça ne fait aucun doute: à l’exception de l’intelligence artificielle, l’industrie des semiconducteurs est l’industrie technologique la plus en vogue en ce moment.
De grands bouleversements
L’industrie des semiconducteurs est actuellement en pleine transformation, dirigée par quatre grandes forces.
Le besoin de capacité
«Je crois que tout le monde sous-estime les besoins de puissance de calculs entraînés par l’intelligence artificielle», affirme Sam Altman, PDG d’OpenAI, la jeune entreprise derrière ChatGPT, en discussion sur scène la semaine dernière à l’événement Intel Foundry Direct Connect à San Jose, auquel j’ai assisté à l’invitation d’Intel. Ces besoins sont difficiles à quantifier pour le moment, mais chose certaine, la demande sera largement supérieure à l’offre pour encore plusieurs années, surtout pour les composantes de dernière génération.
Une chaîne d’approvisionnement déficiente
Pendant la crise de la COVID, les constructeurs automobiles étaient incapables de produire des modèles à 50 000$ à cause d’une pénurie de processeurs pouvant ne valoir qu’un dollar.
C’est en partie pour cette raison que les fabricants de processeurs tentent depuis de mieux répartir leur production dans le monde. L’entreprise taïwanaise TSMC, le plus grand fabricant de processeurs dans le monde, construit d’ailleurs actuellement une usine en Arizona, et Intel a plusieurs sites en construction aux États-Unis et en Europe.
Les considérations géopolitiques
«Les semiconducteurs et l’informatique avancée sont désormais, d’un point de vue géopolitique, ce que le pétrole a été pendant les 50 dernières années», croit Pat Gelsinger, PDG d’Intel. Ce n’est pas pour rien que plusieurs gouvernements ont ouvert la manne au cours des dernières années, avec par exemple du financement public de 71,1 milliards de dollars pour la fabrication locale de processeurs aux États-Unis, de 13,5 milliards en Inde et de 9,2 milliards au Japon.
«Nous n’avons pas entrepris de programmes de stratégie industrielle de cette envergure depuis très longtemps. Si on veut trouver un précédent aux États-Unis, il faut probablement remonter à la course à l’espace il y a 60 ans», note Gina Raimondo, la secrétaire au Commerce des États- Unis lors d’une présentation par vidéoconférence à l’événement.
Les nouvelles technologies
La fabrication de processeurs demandait jusqu’à récemment la production de processeurs contenant toujours plus de transistors. De nouvelles technologies changent toutefois la donne, avec l’arrivée des micropuces qui permettent d’assembler plusieurs micropuces en une seule puce.
Une entreprise peut donc désormais personnaliser une petite partie d’un microprocesseur pour ses besoins, d’une manière beaucoup plus économique que cela aurait été possible auparavant. «On parle beaucoup d’IA, mais c’est un autre facteur qui est très important dans la transformation de l’industrie», note Anshel Sag, analyste principal chez Moor Insights & Strategy.
Intel ouvre ses usines aux autres
La réponse d’Intel à tous ces changements: le lancement la semaine dernière d’Intel Foundry, une nouvelle division dédiée à la fabrication des processeurs conçus par Intel, mais aussi par d’autres entreprises. Désormais, tout le monde aura accès à sa capacité de production, qui était jusqu’ici réservée à ses propres produits.
Lors de l’événement Direct Connect, Intel a d’ailleurs annoncé l’un de ses premiers gros contrats, avec Microsoft, dont la valeur sur toute sa durée est estimée à 15G$US.
On est encore loin de TSMC, avec ses revenus annuels de 90 milliards de dollars, mais Intel est optimiste. «Notre but est d’être la plus grande fonderie occidentale, et la deuxième dans le monde d’ici 2030», affirme Pat Gelsinger, ajoutant qu’il aimerait produire des processeurs pour «Jensen, Cristiano, Sundar, Satya et Lisa», faisant référence aux dirigeants de NVIDIA, Qualcomm, Google, Microsoft et AMD.
«Et ce n’est pas que pour les grandes entreprises qui pourront le faire. Les nouveaux designs avec micropuces font en sorte que même des plus petites compagnies peuvent accéder à ces services», estime Christoph Schell, vice-président et chef commercial d’Intel. Évidemment, le dépanneur du coin n’achètera pas de processeurs personnalisés, mais un fabricant de pièces utilisées par des petites et moyennes entreprises pourrait désormais le faire.
Quelle place pour le Canada?
Lorsqu’on recense les différentes usines planifiées dans le monde, par Intel et les autres, ainsi que les programmes de financement de milliards de dollars des différents pays dans cette course aux semiconducteurs, un absent saute aux yeux: le Canada.
Quelques mesures ont été annoncées, notamment un financement de 36 millions en 2023 à l’entreprise Ranovus, mais disons que le pays est loin de l’autosuffisance.
L’autosuffisance serait évidemment irréaliste. D’ailleurs, les États-Unis ne l’atteindront pas non plus. «Nous visons une meilleure résilience, mais pas l’autosuffisance», précise Ben Sell, vice-président responsable du développement technologique chez Intel, ajoutant que l’objectif de l’entreprise est surtout d’éviter les points de rupture uniques dans la chaîne d’approvisionnement, comme c’est le cas présentement à Taïwan, où sont fabriqués 90% des semiconducteurs avancés dans le monde. «Ce n’est pas acceptable qu’une industrie aussi importante puisse être à la merci de la fermeture d’un seul port», illustre Pat Gelsinger.
«Ça va être important pour les pays qui n’ont pas eux-mêmes de capacité de production domestique de semiconducteurs de s’allier aux pays qui l’ont, et de développer une certaine codépendance», croit néanmoins Anshel Sag.
Le Canada pourrait d’ailleurs se placer sur l’échiquier de ce nouvel ordre mondial du semiconducteur de certaines façons. «Ces nouvelles usines vont entraîner des retombées secondaires pour le Canada», estime Cameron Chehreh, vice-président d’Intel responsable des relations avec le secteur public, rappelant la présence d’Intel au Canada (où une partie de l’équipe d’Intel Foundry est située), mais aussi le fait que chaque nouvelle usine aura ses chaînes d’approvisionnement, ce qui pourrait représenter des opportunités pour les entreprises d’ici.
«Éventuellement, il pourrait aussi y avoir un jour une partie du processus qui s’y fait, comme l’assemblage et les tests, si c’est quelque chose vers quoi le Canada décide de pousser», ajoute- t-il.