Epic Games poursuit Apple pour abus de position dominante. (Photo: Getty Images)
Le procès intenté par Epic Games à Apple s’est ouvert lundi devant un tribunal californien avec un réquisitoire de l’éditeur du jeu phénomène Fortnite, déterminé à prouver qu’Apple dispose d’un monopole sur le marché des applications mobiles, qui nuit à toute cette économie, à l’innovation et aux utilisateurs.
« Nous allons prouver, sans ambiguïté, qu’Apple exerce un monopole », a indiqué l’avocate d’Epic Katherine Forrest, lors de remarques préliminaires suivies par des centaines de personnes par téléphone.
L’affaire est suivie de près par toute l’industrie des technologies, car elle porte sur le fonctionnement des plateformes dominantes, accusées d’être des « jardins emmurés » (« walled garden »).
Cette métaphore désigne les écosystèmes construits et contrôlés par les géants de la techno, où ils peuvent fixer les règles, privilégier leurs propres produits et piéger les utilisateurs et les développeurs, qui n’ont pas d’alternative s’ils veulent accéder à ce marché.
« La fleur la plus répandue dans ce jardin fermé c’est la dionée attrape-mouche », une plante carnivore, a assené Katherine Forrest. Sans cet abus de position dominante, « Epic fournirait plus d’innovation et de meilleurs prix pour les consommateurs », a ajouté l’avocate.
L’été dernier, Epic Games a jeté un pavé dans la mare en proposant à ses joueurs d’acheter la monnaie virtuelle de Fortnite moins cher s’ils passaient directement par leur système de paiement, et non par celui d’Apple, qui prélève une commission de 30 % sur ces transactions.
La marque à la pomme a immédiatement retiré le jeu de l’App Store, son magasin d’applications, incontournable sur les iPhones et iPads pour télécharger des applis. Les adeptes du titre de « battle royale » (tir et survie) n’ayant que des appareils mobiles Apple n’ont plus eu accès aux mises à jour depuis.
Epic Games a déposé plainte contre le groupe californien pour abus de position dominante.
« Chien qui aboie, mais ne mord pas »
La juge Yvonne Gonzalez Rogers va entendre les avocats des deux groupes, leurs patrons Tim Cook et Tim Sweeney et d’autres témoins en personne à Oakland, une ville voisine de San Francisco.
« Nos dirigeants ont hâte de présenter les impacts très positifs que l’App Store a eu pour l’innovation et les économies dans le monde, et en termes d’expérience client, depuis 12 ans », a déclaré un porte-parole d’Apple.
La marque à la pomme accuse Epic Games d’avoir seulement cherché à augmenter ses revenus. « Ce faisant, Epic a contourné le système de sécurité de l’App Store d’une façon qui conduirait à réduire la compétition et mettrait en grand danger la confidentialité des données des consommateurs », a-t-il continué.
Le groupe technologique fait valoir depuis des années que sa commission de 15 à 30 % sur les ventes réalisées via l’App Store est d’un niveau standard, et sert à assurer le bon fonctionnement de la plateforme.
« Epic va se servir de son immense base d’utilisateurs (environ 350 millions de joueurs inscrits sur Fortnite dans le monde, NDLR), qui n’a pas d’équivalent, pour générer du soutien via les réseaux sociaux », a commenté Dan Ives, analyste chez Wedbush Securities.
Mais il note que la défense d’Apple est bien rodée et n’a pas failli depuis des années.
« Wall Street voit dans cette menace un chien qui aboie, mais ne mord pas. Quand Apple gagnera, cela renforcera l’emprise du groupe sur son App Store et les paiements. »
Avec les appels et recours, la bataille pourrait durer des années. Mais elle pourrait aussi influencer le débat actuel sur le droit de la concurrence.
D’autres entreprises, dont les services de diffusion en continu de musique Deezer et Spotify, partagent le point de vue d’Epic, et voudraient accéder plus aisément à ce marché d’au moins un milliard de personnes.
Différents régulateurs antitrust américains enquêtent sur les pratiques d’Apple, tout comme celles de la plateforme de commerce en ligne Amazon.
Et vendredi, l’Union européenne, saisie d’une plainte de Spotify, a estimé que le fabricant de l’iPhone a bien « faussé la concurrence » pour évincer ses rivaux, notamment grâce à des commissions « très élevées » dont ses propres applications sont de facto exemptées.
Sur Android, doté du système de Google, largement dominant sur les smartphones, le magasin fonctionne de façon similaire, à une différence majeure: d’autres plateformes de téléchargement sont autorisées.
Le procès « porte sur un arrangement contractuel spécifique (…) Mais la vraie question, pour moi, c’est: veut-on vraiment un environnement où toutes les applications doivent passer par le même portail, qui est contrôlé par le développeur des appareils et du système d’exploitation mobile? », questionne Erik Stallman, professeur de droit à l’université de Berkeley.
« C’est l’avenir de l’informatique mobile qui est en jeu. »