L’industrie bancaire canadienne apparaît encore indisposée face à ces « nouvelles monnaies ». (Photo: Erik Mclean pour Unsplash)
LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.
Pour mieux répondre aux besoins de leurs clients, de plus en plus d’acteurs historiques de la finance bâtissent des solutions de dépôts et de transaction pour les cryptoactifs. Mais l’industrie bancaire canadienne apparaît encore indisposée face à ces « nouvelles monnaies ».
Retournement de situation remarqué chez nos voisins du Sud. De grandes enseignes bancaires, qui critiquaient vertement le bitcoin et les autres monnaies numériques hier, ont désormais investi ce marché. Des J.P. Morgan et Goldman Sachs, mais également des centaines d’institutions de moindre envergure.
La même évolution pourrait survenir au Canada. Les banques ont aujourd’hui toutes des projets directs ou indirects impliquant des cryptomonnaies. C’est de notoriété publique, mais les directions semblent attendre une sorte de « go ! » pour acheter un produit ou une entité active sur ce marché émergent. Il s’agit d’une mécanique économique fondamentale : une fois que la demande sera là, les institutions n’auront plus d’autre choix.
Sans commentaire
Pour l’heure, difficile pour les « Big 5 » canadiennes et consorts de faire ouvertement la promotion de solutions cryptos, qui échappent à leur contrôle et risquent en plus de cannibaliser leurs activités. Dans les rangs de la communauté crypto, on déplore cette résistance technologique menée par un oligopole. Ou une gestion stratégique du risque. Dans tous les cas, les banques du pays ne semblent pas à l’aise avec le sujet.
Interrogée sur les développements de l’écosystème des cryptomonnaies, la Banque Nationale a remercié Les Affaires de s’enquérir de la chose, mais a préféré « passer [son] tour cette fois-ci ».
Nous nous sommes alors tournés vers l’Association des banquiers canadiens. Même son de cloche. Un responsable de la communication a décliné « respectueusement » notre demande de commenter cette industrie.
Surveillance méfiante
À BMO Groupe financier, le phénomène des devises numériques reste une tendance que l’on observe avec prudence. « Si le bitcoin et les autres cryptomonnaies commencent à être mieux acceptés, ils restent hautement spéculatifs et soumis à des risques importants, notamment en matière de réglementation, de réputation, de lutte contre le blanchiment d’argent et de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance », nuance Marie-Catherine Noël, sa directrice des relations médias pour le Québec. « Notre objectif est de fournir aux clients des produits qui offrent de la valeur à long terme et qui le font d’une manière efficace en matière de risque. »
Du côté de RBC Banque Royale, on ne fournit pas d’accès direct aux cryptomonnaies et on ne facilite pas non plus le commerce direct ou le minage. Néanmoins, la banque « [offre] un accès à une large gamme de produits d’investissement, y compris des titres cotés sur les marchés nord-américains tels que les ETF, avec une exposition à la cryptomonnaie », indique Denis Dubé, son directeur des communications pour le Québec. « Nous continuons de surveiller activement la situation et ferons les mises à jour nécessaires au besoin », ajoute-t-il.
À la Banque TD aussi, le sujet est suivi de près même si l’institution n’offre pas de service de courtage ni de portefeuille de cryptomonnaies. « Nous surveillons le marché et nous participons à des discussions avec l’industrie, les organismes de réglementation et les banques centrales », explique Caroline Phémius, la directrice des affaires publiques du groupe Banque TD. Les clients de l’institution au Canada peuvent d’ailleurs acheter des bitcoins et autres jetons numériques (NFT) par carte de crédit ou de débit, ainsi que négocier des actions de sociétés et des fonds cotés en Bourse exposés aux cryptomonnaies.
Le « huard numérique », une autre cryptomenace ?
Quant à la Banque du Canada, elle condamne inlassablement les produits spéculatifs que sont le bitcoin et autres dogecoins, tout en concédant qu’il s’agit d’une exploration de différentes technologies qui peuvent se révéler très utiles à d’autres fins.
La recherche et le développement s’accélèrent d’ailleurs à la Banque du Canada autour d’une monnaie numérique de banque centrale, ou MNBC. Or, l’institution décline toute responsabilité dans cette initiative nationale. « C’est au ministre des Finances de décider », a déclaré en avril son gouverneur, Tiff Macklem, après le dépôt du « Rapport sur la politique monétaire » de la Banque.
Dans l’éventualité où Ottawa déciderait d’aller de l’avant avec l’émission d’une MNBC, la Banque du Canada devrait gérer de nombreux défis tels que… l’effet négatif sur les dépôts bancaires. Un « huard numérique » pourrait, en théorie, susciter une concurrence au financement des banques par les dépôts et avoir des répercussions sur les revenus et la liquidité.
En somme, à défaut de mener le mouvement crypto, toutes les banques canadiennes se tiennent prêtes à réagir à sa plus grande adoption.