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Martin Berthiaume

Cybersécurité revue et expliquée

Martin Berthiaume

Expert(e) invité(e)

La cybersécurité: un enjeu de sécurité nationale?

Martin Berthiaume|Mis à jour le 15 juillet 2024

La cybersécurité: un enjeu de sécurité nationale?

EXPERT INVITÉ. À mesure que la droite monte en puissance en Europe et aux États-Unis, les tensions au sein de l’OTAN s’intensifient, compliquant la coopération transatlantique. Parallèlement, un conflit potentiel entre Pékin et Taïwan menace de bouleverser l’équilibre géopolitique et économique mondial. Dans ce contexte incertain, il est impératif de préparer le Québec à faire face à ces enjeux potentiels. Comment le Québec peut-il renforcer sa cybersécurité et sa résilience économique pour se protéger contre les répercussions d’un tel conflit? En examinant les stratégies actuelles et en anticipant les défis futurs, nous devons développer une approche proactive pour sécuriser notre avenir face à ces menaces émergentes.  L’objectif de ce texte est d’identifier quelques points de réflexion afin de garantir la résilience et la sécurité de nos infrastructures critiques dans un contexte géopolitique instable. 

Quels seraient les impacts d’un conflit entre la Chine et Taïwan sur nos capacités en cybersécurité? 

Un conflit armé entre la Chine et Taïwan pourrait avoir des conséquences significatives sur les capacités en cybersécurité du Canada.  Tout d’abord, la dépendance mondiale vis-à-vis des semi-conducteurs produits à Taïwan entraînerait une grave pénurie de ces composants critiques, affectant directement la production et la mise à jour des équipements de cybersécurité. Une pénurie prolongée pourrait nous forcer à opérer avec des infrastructures critiques désuètes plus vulnérables aux cyberattaques. 

De plus, une escalade des tensions géopolitiques pourrait intensifier les cybermenaces émanant de la Chine, augmentant ainsi la fréquence et la sophistication des attaques contre les entreprises canadiennes.  

Enfin, le Canada, en tant que membre des alliances internationales telles que les «Five Eyes», pourrait se voir impliqué dans des efforts de réponse collective, nécessitant une coordination accrue avec ses alliés pour contrer les cybermenaces et assurer la résilience de ses infrastructures. L’impact sur les chaînes d’approvisionnement globales de semi-conducteurs, ainsi que la nécessité de renforcer les mesures de cybersécurité, soulignent l’importance de préparer des stratégies robustes pour faire face à de tels scénarios conflictuels 

Pénurie des semi-conducteurs 

Taïwan est le siège de Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), le plus grand fabricant de semi-conducteurs au monde.  Taïwan produit environ 63% des semi-conducteurs mondiaux et plus de 90% des puces les plus avancées technologiquement. TSMC est le principal fabricant des GPU pour des géants technologiques comme NVIDIA et AMD, deux leaders du marché des processeurs graphiques. Les GPU produits par TSMC sont à la pointe de la technologie et sont utilisés dans les centres de données, les supercalculateurs, et les dispositifs de consommation pour des tâches d’IA (Intelligence Artificielle) intensives​.  Cette position dominante signifie que toute perturbation de la production à Taïwan pourrait entraîner des conséquences majeures sur les chaînes d’approvisionnement partout au monde. 

Les mesures prises aux États-Unis.  

Sans en faire une énumération exhaustive, les États-Unis ont mis en place plusieurs mesures pour se préparer à un potentiel conflit Sino-Taiwanais, avec un accent particulier sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement en semi-conducteurs et le renforcement militaire dans la région Indopacifique. 

  1. CHIPS and Science Act : Adoptée en 2022, cette loi offre des subventions et des incitations fiscales pour encourager la production domestique de semi-conducteurs. Elle vise à réduire la dépendance vis-à-vis de Taïwan et à sécuriser l’approvisionnement en technologies critiques​. 
  2. Développement de capacités domestiques : Des investissements massifs ont été réalisés dans des installations de fabrication de semi-conducteurs aux États-Unis, avec des entreprises comme TSMC, Samsung, et Intel construisant de nouvelles usines en Arizona, au Texas, et dans l’Ohio​. 
  3. Préparations militaires : Les États-Unis ont renforcé leur présence militaire dans la région Indopacifique, incluant des exercices conjoints avec des alliés et l’extension de l’accès à des bases militaires aux Philippines. 
  4. Diversification des chaînes d’approvisionnement : Encourager les entreprises à diversifier leurs fournisseurs et à constituer des réserves de composants critiques pour atténuer l’impact des perturbations potentielles​​. 

Les mesures prises par le Canada 

Le Canada adopte une approche différente, focalisée davantage sur la diplomatie et la coopération internationale. 

  1. Soutien diplomatique : Le Canada maintient une politique de soutien diplomatique à Taïwan tout en reconnaissant officiellement la politique d’une seule Chine. Taïwan est important pour le Canada, il est le 12e plus grand partenaire commercial du Canada.  Il ne faut toutefois pas oublier que la Chine est deuxième, juste derrière les États-Unis.  C’est une situation délicate. 
  2. Préparations économiques : Bien que le Canada ne dispose pas de mesures législatives similaires au CHIPS and Science Act, il surveille de près les impacts économiques potentiels et les perturbations de la chaîne d’approvisionnement. Le Canada se veut très discret quant aux mesures tangibles pour faire face à cette menace imminente.  

 

Que faisons-nous ici au Québec? 

Avec la publication récente de la stratégie gouvernementale de cybersécurité du Québec pour 2024-2028i, on constate un positionnement clair vers une meilleure posture en matière de cybersécurité. En voici un court résumé.  

La Stratégie gouvernementale de cybersécurité se concentre sur trois axes principaux : 

Accroître la cybersécurité de l’administration publique : Cette initiative vise à renforcer la sécurité des services publics et à protéger les données des citoyens, des entreprises et de l’administration publique. 

Accélérer la transformation numérique de l’administration publique : l’objectif est d’unifier l’offre de services numériques, d’améliorer la mobilité et la valorisation des données, d’optimiser la performance grâce à l’intelligence artificielle, et de maximiser les retombées des projets en ressources informationnelles. 

Développer des infrastructures technologiques pérennes et sécuritaires : il s’agit de consolider les actifs technologiques, de réduire la désuétude des actifs informationnels et de soutenir le déploiement des infrastructures de télécommunication. 

Le Gouvernement du Québec réalise des efforts remarquables en matière de cybersécurité, étant la seule province à avoir créé un ministère de la Cybersécurité et mis en œuvre une stratégie dédiée. Cela représente une avancée importante pour renforcer la résilience de nos infrastructures numériques. Cependant, étant donné le contexte géopolitique tendu, notamment avec l’escalade des tensions entre la Chine et Taïwan, j’aurais souhaité voir des mesures supplémentaires dans cette stratégie. 

Pour renforcer davantage la cybersécurité du Québec face aux tensions géopolitiques, plusieurs éléments devraient être planifiés à court terme. Il serait bénéfique d’établir des partenariats avec différents fournisseurs afin de diversifier les sources d’approvisionnement et de minimiser les risques de pénurie. De plus, propulser le savoir-faire local dans le domaine de la cybersécurité par le biais de programmes de soutien pourrait améliorer notre autonomie technologique. Je me dois de souligner les efforts qui sont faits dans ce sens avec Cyberecoii, un catalyseur pour le développement de la coopération en cybersécurité au Québec. Il serait également judicieux de stocker du matériel à l’avance ou d’anticiper les mises à jour des équipements pour garantir leur disponibilité. Un programme dédié à la mise à jour proactive des équipements pourrait préparer le Québec à une éventuelle pénurie. Enfin, développer des partenariats public-privé avec les fabricants de logiciels de cybersécurité locaux permettrait d’augmenter rapidement les capacités défensives du Québec, réduisant ainsi notre dépendance envers les partenaires canadiens qui pourraient être fortement sollicités en cas de conflit ouvert entre la Chine et Taïwan. 

Conclusion 

Dans un contexte géopolitique tendu, le Québec doit impérativement développer des capacités locales et avancées en cybersécurité. Il est essentiel de valoriser les compétences locales par le biais de partenariats public-privé et de garantir la disponibilité d’équipements technologiques à jour pour contrer les menaces. L’accélération exponentielle des capacités de l’intelligence artificielle exige que le Québec mette en place rapidement des infrastructures modernes et accélère la formation de talents non seulement pour se défendre, mais aussi pour devenir un leader dans le domaine de la cybersécurité. En renforçant notre autonomie technologique et en anticipant les défis à venir, nous pouvons transformer ces menaces en opportunités de croissance et de leadership.