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La fusion nucléaire est peut-être plus proche qu’on ne le pense

Morningstar|Mis à jour le 16 avril 2024

La fusion nucléaire est peut-être plus proche qu’on ne le pense

Il y a seulement 15 ans, la production d’électricité à partir de la fusion nucléaire était encore considérée comme un mirage. (Photo: 123RF)

Selon Pitchbook Data, l’énergie solaire constitue la catégorie dominante du domaine de la création d’énergie propre, attirant plus de la moitié de tous les investissements en capital-risque depuis 2015. Sur cette période, l’énergie de fusion nucléaire a attiré à peine un cinquième des investissements — jusqu’en 2021. Mais en septembre de cette année-là, la part de l’énergie de fusion dans les capitaux levés est passée à 35%.

À ce jour, sur les 42 startups que Pitchbook identifie dans le domaine de la fusion nucléaire, seule une poignée s’est taillé la part du lion en termes de capitaux. Commonwealth Fusion Systems est en tête avec 2,06 milliards de dollars US (G$US) de capitaux levés à ce jour, suivie de TAE Technologies, avec 1,35 G$US. Cinq autres entreprises ont levé des montants supérieurs à 100 millions $US (M$US), selon le dernier rapport de la Fusion Industry Association. Helion Energy a levé 577 M$US, General Fusion, 300 M$US, Tokamak Energy, 250 M$US, et ENN et ZAP Energy, 200 M$US chacune. Le total des capitaux levés à ce jour s’élève à 4,86 G$US.

Aujourd’hui, l’énergie de fusion est considérée comme l’une des technologies clés capables de nous mener vers un avenir net zéro, l’Association internationale de l’énergie atomique la classant «parmi les sources d’énergie les plus respectueuses de l’environnement». Le Conseil canadien de l’énergie de fusion énumère quelques-uns des principaux avantages de la fusion : disponibilité illimitée du combustible, rapport et densité énergétique le plus élevé, et impact environnemental minimal avec «aucune production continue de déchets radioactifs».

 

Du mythe à la réalité

Il y a seulement 15 ans, la production d’électricité à partir de la fusion nucléaire était encore considérée comme un mirage. C’était le «mythe de la fusion», écrivait en 2007 dans un article de Project Syndicate le physicien Sébastien Balibar, alors directeur de la prestigieuse institution de recherche CNRS en France. «Si la fusion doit un jour fonctionner dans les centrales électriques industrielles, cela prendra de nombreuses décennies», écrivait le physicien. Les prévisions les plus optimistes ne la voyaient pas advenir avant 2050.

Mais aujourd’hui, cette prévision a été considérablement revue à la baisse. Dans son enquête demandant «quand la première centrale à fusion fournira-t-elle de l’électricité au réseau ?», la FIA a constaté que 18 entreprises sur les 27 qui ont répondu voyaient la chose se produire entre 2025 et 2035. Quatre d’entre elles ont déclaré que ce serait avant 2030.

Dans son article, Sébastien Balibar identifiait trois obstacles presque insurmontables : la production du tritium nécessaire à l’échelle industrielle qui requiert des méthodes «qui restent à inventer» ; les particules alpha produites dans la réaction de fusion qui doivent être nettoyées, ce que personne n’a encore réussi à faire ; et la nature potentiellement explosive des émissions de neutrons qui doit être élucidée.

 

Page suivante: inventions imprévues et de la physique à l’ingénierie.

Inventions imprévues

Les progrès technologiques et les configurations des machines de fusion changent la perspective de ces obstacles. Par exemple, une machine comme celle de General Fusion propose une conception magnéto-inertielle inattendue qui a l’avantage de contourner les obstacles de Sébastien Balibar. Son utilisation d’un confinement par métal liquide «protège la machine du bombardement neutronique», explique Greg Twinney, PDG de General Fusion, dont le siège est à Vancouver.

Cette paroi de métal liquide qui entoure et comprime le plasma de fusion, ajoute-t-il, «contient du lithium, qui est transformé en tritium et en hélium par les neutrons de fusion». Quant à la pollution alpha, «elle n’a pas d’incidence sur notre approche, car nous ne faisons pas tourner le plasma en continu (comme dans la conception d’un tokamak) ; nous le pulsons plutôt». Entre les impulsions, explique-t-il, les particules alpha sont simplement éliminées. Sébastien Balibar n’avait pas vu venir ces inventions.

Bien sûr, il reste des obstacles à la production d’électricité à partir de l’énergie de fusion, reconnaît Greg Twinney, notamment en ce qui concerne la production de combustible, la durabilité des machines et la conversion de l’énergie. Mais ils s’effritent rapidement grâce aux innombrables progrès scientifiques et technologiques qui ont accéléré le rythme du développement, notamment en ce qui concerne les aimants supraconducteurs, les performances des lasers, les commutateurs électroniques, la simulation et la modélisation, et l’intelligence artificielle.

Un seuil important doit encore être atteint. «Avant de parler d’une quelconque application commerciale, la physique doit être démontrée», affirme Michael Campbell, jusqu’à récemment directeur du Laboratory of Laser Energetics de l’Université de Rochester. Ce qu’il appelle «la physique» est l’obtention d’une énergie de sortie supérieure à celle de l’entrée, ce qui reste à accomplir en mode soutenu.

En janvier, des chercheurs du National Ignition Facility du Lawrence Livermore National Laboratory ont atteint pour la première fois un «plasma incandescent», un état de production d’énergie nette dans lequel le plasma devient autonome. Mais ils n’y sont parvenus que pendant une fraction de seconde.

Commonwealth Fusion Systems prévoit de franchir ce seuil d’énergie nette avant 2025 avec sa machine SPARC, une configuration classique de type «tokamak» conçue en collaboration avec le Massachusetts Institute of Technology, conception que Michael Campbell connaît bien. «SPARC produira une décharge longue de 10 secondes, le temps que le plasma atteigne un état stable, explique-t-il. C’est très ambitieux, mais c’est possible d’ici 2025. Je suis optimiste quant à leur réussite.»

 

De la physique à l’ingénierie

Après cela, les obstacles de physique fondamentale se transformeront en défis d’ingénierie pour ouvrir la voie à l’électricité sur le réseau. Un objectif que le Commonwealth prévoit d’atteindre d’ici 2035. «Une fois que la science est démontrée, l’ingénierie peut faire des miracles», juge Michael Campbell.

L’injection croissante de fonds par les acteurs industriels et le nombre croissant de partenariats commerciaux sont des signes révélateurs de la faisabilité commerciale de l’énergie de fusion. À ce jour, la plupart des fonds proviennent de sociétés de capital-risque et d’individus très fortunés comme Bill Gates, qui a investi dans TAE Technologies, et Jeff Bezos, dans General Fusion. Toutefois, commentant un récent cycle de financement de TAE Technologies, Pitchbook note : «La société a levé 250 millions $US de fonds de capital-risque auprès de Chevron, Sumitomo Corporation of Americas et Google».

General Fusion, pour sa part, a établi des collaborations avec, entre autres, BrucePower, la Tennessee Valley Authority, H2 Green Steel et Eneco. Ces entreprises sont particulièrement intéressées par le fait que l’engin de fusion de General Fusion devrait être de conception plug-and-play, permettant aux utilisateurs de déconnecter du réseau électrique toute centrale au charbon existante qui produit de l’électricité et de simplement connecter à sa place le moteur à fusion.

«Je crois que la fusion est la façon dont nous produirons l’énergie centrale», affirme Michael Campbell. Si l’on suit la piste de l’argent, il semble que cela pourrait arriver plus tôt que prévu.