Compte tenu de l’inquiétude d’Hydro-Québec face à l’ampleur et à la volatilité de l'industrie de la cryptomonnaie, le gouvernement provincial avait temporairement interdit l’accès au réseau électrique aux acteurs de la crypto en 2018. (Sigmund Pour Unsplash)
LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.
Depuis l’avènement du bitcoin, le Canada a souvent été cité en exemple pour sa considération envers ces technologies émergentes, pour sa législation et sa financiarisation des actifs numériques. Le Québec a même été qualifié de nouvel eldorado, vu son abondance en hydroélectricité, une énergie idéale pour les fermes de cryptomonnaies. Portrait d’un écosystème en mutation.
Pas de raison de rougir de l’Asie ou des États-Unis, d’abord. « L’écosystème crypto au Québec et au Canada évolue rapidement et prend de l’ampleur, en partie grâce à une législation favorable aux entreprises, aux compétences techniques et à une compréhension plus large des utilisations potentielles des cryptomonnaies et de la chaîne de blocs », estime Kareem Sadek, associé et coleader des Services de chaîne de blocs à KPMG Canada.
Le pays a été la première grande économie à permettre aux gestionnaires d’actifs d’émettre des fonds négociés en Bourse (FNB) avec du bitcoin (BTC) et de l’ethereum (ETH) comme actif sous-jacent.
Sans oublier les atouts pour les fermes de minage de cryptomonnaies, ces centres de données dont les ordinateurs résolvent des milliards d’équations mathématiques servant à valider et protéger les transactions d’une chaîne de blocs. En échange de BTC, ETH et autres jetons numériques.
« Le climat canadien, relativement plus froid, favorise l’exploitation minière de cryptomonnaies, car il réduit le coût des opérations de chauffage », rappelle Kareem Sadek.
Un potentiel québécois sous tension
Compte tenu de l’inquiétude d’Hydro-Québec face à l’ampleur et à la volatilité de cette industrie, le gouvernement provincial avait temporairement interdit l’accès au réseau électrique aux acteurs de la crypto en 2018. Le temps de mettre au point un encadrement et une tarification spécifiques, et surtout de limiter la quantité d’énergie disponible pour ces activités.
« L’interdiction du minage en Chine plus tôt cette année réactive beaucoup de dossiers au Québec, car c’est rentable, explique Louis Roy, associé leader national de la technologie de chaîne de blocs au bureau montréalais de Raymond Chabot Grant Thornton. Cela étant dit, pour avoir accès à l’électricité publique, il y a encore des pénalités au tarif de 0,15$. Hydro-Québec n’offre pas d’avantages. On entend parler d’accès à des capacités électriques privées, des barrages privés et autres, mais dès que ça touche à la crypto, les acteurs sont pénalisés. »
Écosystème varié
L’industrie de la cryptomonnaie est relativement diversifiée au Canada ; il n’existe pas un profil dominant parmi les acteurs impliqués. On y retrouve notamment des entreprises dans la finance, la fintech (technologie financière) et les technologies de l’information et des communications. Des gestionnaires d’actifs émettent aussi des produits d’investissement réglementés, dont les sociétés torontoises Purpose, Evolve, NinePoint et 3iQ.
En parallèle, le pays dispose d’importants cryptomineurs tels que le Québécois Bitfarms et son homologue vancouvérois Hive Blockchain. Il convient également de citer des studios de développement à Montréal, Toronto et Vancouver, qui créent des logiciels de pointe, à l’instar de l’éditeur de jeux vidéo intégrant des cryptomonnaies Bellwoods Studios. Ou encore des firmes de courtage telles que Cumberland et DV Chain, déployant des stratégies d’animation de marché et de gestion algorithmique.
Et les perspectives du secteur semblent prometteuses. « Les investissements en cryptomonnaies et en chaîne de blocs explosent à l’échelle mondiale », indique Kareem Sadek, évoquant le plus récent rapport semestriel Pulse of Fintech, de KPMG International. La valeur totale des investissements (capital-risque, fonds privés, fusions et acquisitions) au cours du premier semestre 2021 s’élève à 8,7 milliards (G)$ US. C’est le double du montant cumulé de l’année dernière, soit 4,3 G$ US.
Un secteur qui gagne en maturité
« Nous voyons l’espace des cryptomonnaies continuer à mûrir, tandis que la distinction va se renforcer entre les technologies de cryptomonnaies et de chaîne de blocs, assure Kareem Sadek. Nous voyons également les NFT gagner en traction, avec un intérêt pour de nouveaux types d’actifs, allant de l’immobilier professionnel à des actifs plus fragiles qui peuvent être tokenisés ou fractionnés. »
Comme pour toute innovation, il convient d’aborder la crypto selon divers points de vue : son utilisation commerciale, la valeur qu’elle ajoute, la manière dont elle peut être utilisée, la manière dont elle perturbe ou améliore les anciennes méthodes de travail, sa rentabilité, son retour sur investissement…
« Il existe d’autres considérations pour les technologies liées aux cryptomonnaies, notamment la confiance du public, la cybersécurité et les réglementations », ponctue le spécialiste de KPMG Canada, qui s’attend à beaucoup plus d’innovation dans le secteur crypto de la finance décentralisée (DeFi), avec des produits et services plus complexes.