Au moins 200 personnes ont été tuées mardi soir dans un tir sur l’enceinte d’un hôpital de la ville de Gaza. (Photo: Getty Images)
LES CLÉS DE LA CRYPTO. Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde. Quel calvaire de devoir même réviser les informations du Wall Street Journal! Le vénérable titre de presse économique a calomnieusement induit que les cryptos avaient financé la salve d’attentats qui a coûté la vie à plus de 1600 Israéliennes et Israéliens.
(Illustration: Camille Charbonneau)
Mal informer le public, c’est ajouter du bruit médiatique à la confusion de ce monde. Quelques jours après les attaques orchestrées par le Hamas contre Israël, on avait raison au Wall Street Journal (WSJ) de relayer cette interrogation légitime: comment ces attentats ont-ils été financés? Mais la réponse parcellaire et biaisée que le quotidien new-yorkais a fournie n’a guère participé à l’éducation des masses à la nuance.
En annonçant que «les miliciens du Hamas à l’origine de l’attaque d’Israël ont levé des millions en cryptomonnaies», le WSJ a inféré que les transactions en monnaies numériques empêchaient les autorités d’assécher les sources de financements étrangers du terrorisme.
Citant diverses entreprises spécialisées en décryptage de données de chaînes de bloc et traque de fonds sur ces réseaux décentralisés, l’article en question chiffrait à 41 millions de dollars américains (M$US) l’aide financière perçue en cryptos par le Hamas sur un peu plus de deux ans.
Avant tout, rappelons que le Hamas constitue le gouvernement de la Bande de Gaza. Le mouvement islamiste de résistance palestinienne administre ainsi une zone urbaine de quelque 2 millions d’habitants. Une population vivant dans la pauvreté en bordure orientale de la Méditerranée.
Le Hamas dispose également d’une branche militaire de plusieurs milliers d’hommes. Selon le magazine Forbes, l’organisation terroriste gère un budget annuel de près de 1 milliard de dollars américains (G$US).
Aides «humanitaires» externes
Comme tout régime politique, le Hamas dispose d’alliés, de soutiens et donc de bailleurs de fonds internationaux. À l’instar du Qatar. Depuis 2014, Doha a déjà versé plus de 2,1G$US en aides financières. Actuellement, les dirigeants qataris versent chaque mois 30M$US, sous forme d’allocations familiales, pour payer le carburant des groupes électrogènes ou les salaires du secteur public, à ce qu’ils appellent «la plus grande prison à ciel ouvert» depuis le blocus israélien. Autrement dit, à lui seul, le Qatar verse en moins de deux mois plus que ce que le Hamas a pu récolter en cryptomonnaies en deux ans. Et ce, grâce à la monnaie d’échange international par excellence, le bon vieux billet vert.
Parallèlement, une des puissances du Moyen-Orient, «l’axe de résistance contre Israël», entretient également avec le Hamas des liens étroits: l’Iran. Un leader de l’organisation terroriste palestinienne avait révélé que Téhéran leur avait versé 70M$US en 2022 pour les aider à développer des systèmes de défense avec missiles. Précisant que si plusieurs pays finançaient le Hamas, l’Iran en était certainement le plus généreux donateur.
En plus, au travers de l’organisation dite des «Gardiens de la révolution islamique» (IRGC), l’Iran s’est doté d’un important mécanisme pour cultiver et soutenir les groupes terroristes à l’étranger. L’IRGC fournit un appui financier et matériel, des formations, des transferts de technologie, des conseils, et jusqu’à 100M$US par an versé aux groupes terroristes palestiniens, dont notamment le Hamas, documente le Département d’État des États-Unis dans ses derniers Rapports nationaux sur le terrorisme.
Tout ceci avant même d’évoquer le premier flux financier, la réallocation des ressources au sein même de l’économie locale, pourtant extrêmement précaire.
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Taxation des Gazaouis et inflation incontrôlable
«C’est essentiellement l’économie fragile de Gaza elle-même et les taxes que le Hamas impose à chaque point d’étranglement de l’économie gazaouie qui soutient cet effort dans une large mesure», considère Adam Tooze, chroniqueur à Foreign Policy et directeur de l’Institut européen de l’Université de Columbia.
Faut-il encore préciser que la population palestinienne concentrée dans «la Bande» paie l’impôt au Hamas, notamment sur les marchandises qui, malgré le blocus imposé par Israël, circulent dans un réseau sophistiqué de contrebande et acheminant des produits de première nécessité tels que la nourriture, les médicaments et l’argent, explique le groupe de réflexion Council on Foreign Relations (CFR).
Et notons que si une monnaie nationale matérialise le pouvoir politique, le peuple palestinien en demeure dépourvu. À Gaza, les flux financiers et les échanges commerciaux s’opèrent surtout en shekel, la devise israélienne. Les dépôts bancaires et non bancaires en sont constitués à plus de 40%, suivis par le dollar américain à plus d’un tiers (36%) et le dollar jordanien (21%), détaillait l’autorité monétaire palestinienne dans son dernier rapport annuel Le coût de la vie des Gazaouis et les finances du Hamas se retrouvent ainsi ballotées par les taux de change des monnaies israélienne et américaine.
Facteur d’instabilité géopolitique oblige, la guerre disproportionnée faisant rage actuellement au sud d’Israël a poussé des investisseurs en devises à vendre leurs shekels pour se réfugier pour certains dans du billet vert, qui se renforce.
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La crypto n’est pas faite pour le crime
Les cryptos restent assimilées à tort à une méthode subterfuge pour financer des groupes criminels et terroristes loin du système mondial (rythmé par les États-Unis et leur omniprésente monnaie). En raison de leur nature où la confidentialité apparaît comme une vertu, les monnaies numériques suscitent certes préoccupations et suspicions variées.
D’ailleurs, la branche armée du Hamas a longuement utilisé des campagnes sur le web et les réseaux sociaux pour solliciter des dons en cryptomonnaies, avec des visuels d’effort de guerre, des conseils pour magasiner armes et équipements militaires ainsi que des instructions pour ne pas éveiller les soupçons des autorités.
D’abord présent sur les plateformes d’échange, le Hamas a progressivement mis en place des portefeuilles numériques en gestion propre afin de générer des adresses uniques pour chaque donateur et se tenir loin des regards indiscrets. Sauf que le pistage (tracking) des flux monétaires sur les chaînes de bloc est devenu un business sérieux et que des cryptos détectives sont occupés à faire le ménage.
Depuis des années, les téléthons du terrorisme menés par le Hamas ont été ciblés grâce aux cryptomonnaies. La justice américaine avait déjà pu saisir plus d’un million de dollars en août 2020. L’année suivante, c’était au tour des autorités israéliennes de mettre le grappin sur plusieurs portefeuilles cryptos pour un montant non divulgué. Au point que fin avril, le Hamas a annoncé à ses sympathisants abandonner son programme de financement illicite via les crypto-actifs.
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Ne pas être plus zélé que prudent
Alors que les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne et d’autres gouvernements condamnent l’attaque du Hamas contre Israël, il est probable que des efforts plus larges visant à limiter l’utilisation de la cryptographie à des fins de financement du terrorisme pourraient devenir une priorité du programme politique.
«Cela n’est guère surprenant, car le caractère public de la blockchain permet de retracer les flux de fonds liés à des activités illicites, permettant ainsi aux forces de l’ordre de geler avec succès les crypto-actifs détenus par des groupes terroristes», note David Carlisle, ancien agent de liaison pour le Trésor américain et actuel vice-président des affaires politiques et réglementaires chez la société d’investigation blockchain Elliptic.
Il convient de souligner que les transactions en cryptos d’une autre organisation terroriste, le Djihad islamique palestinien, ont également chuté durant l’été. Le Bureau national israélien de lutte contre le financement du terrorisme avait saisi 26 portefeuilles et 67 comptes clients. Les montants gelés représentaient 93,7M$US en stablecoins Tether (USDT), USD Coin (USDC) et en Tron (TRX).
«Ce qui suggère que les groupes impliqués dans l’alimentation du conflit palestino-israélien ont abandonné la crypto comme outil de collecte de fonds», remet-on en contexte chez Elliptic.
Rien ne permet à l’heure actuelle d’affirmer que le Hamas et ses frères d’armes ennemis de Tel-Aviv ne recourront plus aux cryptomonnaies. Surtout si les affrontements meurtriers et l’imminente offensive terrestre sur Gaza par l’armée israélienne viennent vider les coffres des groupes terroristes.
Mais il convient de replacer en ordre de grandeur les sources de revenus et les canaux d’acheminement de l’argent vers le Hamas. À l’instar de ce réseau d’investissements au travers de sociétés dans l’immobilier et la construction en Turquie, en Arabie Saoudite, en Algérie, aux Émirats arabes unis, qui détenaient quelque 500M$US.
Quand le bras cyber de la police locale israélienne parvient à geler près de 200 comptes sur Binance qui auraient pu servir à monnayer les attentats de la «résistance palestinienne», la conclusion s’imposant logiquement n’est pas que l’écosystème crypto profite au terrorisme et qu’il convient de le démanteler. Mais que les technologies popularisées par Bitcoin ont permis de suivre l’argent jusqu’à la source.
Sinon que penser de la même intervention de la police du kibboutz de Lahav qui a conduit au gel des actifs financiers sur un compte de la banque britannique Barclay lié au Hamas?
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