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Le vrai problème derrière la crise des médias… et une solution

Alain McKenna|Publié le 22 août 2019

Le vrai problème derrière la crise des médias… et une solution

(Photo: Elijah O'Donnell/Unsplash)

Le gouvernement se penche sur l’aide qu’il peut apporter aux médias en attendant qu’ils trouvent une façon de rentabiliser leurs salles de nouvelles. Ce ne sont pas les outils de taxation qui manquent, même dans le numérique. Mais pour les médias, ça ne fait qu’étirer une tombée qu’il faudra bien attaquer de front un jour ou l’autre. Et si la solution existait déjà?

Cette année, pour la première fois de son histoire, le marché américain de la publicité numérique surpassera, en valeur totale, le marché de la publicité dite traditionnelle, qui englobe la télé, les magazines et les journaux. Ce virage va continuer de s’amplifier dans les années à venir, et le numérique va compter pour près des deux tiers du marché publicitaire en 2021.

C’est ce que prévoyait la firme eMarketer cet hiver, et à voir l’actualité des derniers jours, on soupçonne que la tendance se vérifie au Canada et au Québec également. À l’exception que les chiffres, chez nous, sont certainement plus modestes que les quelque 220 milliards $US que représente cette industrie au pays de l’Oncle Sam.

Quand on décortique les chiffres utilisés par eMarketer, on peut aller un peu plus loin : les malheurs des médias traditionnels ne font que commencer. Le rival qui menace le plus l’hégémonie de Google et Facebook, qui contrôlent à eux seuls plus de 60% de la pub numérique, est un autre géant bien connu des technos : Amazon.

eMarketer

À eux trois, ils ont le quasi-monopole de la croissance du numérique, tandis que le traditionnel est en perte de vitesse. Doublement, puisque les revenus numériques qui pourraient compenser sont eux aussi de moins en moins grands, les budgets des agences et des annonceurs étant plus souvent qu’autrement dirigés vers les plateformes de ces trois grands joueurs.

Facebook et Google, ça a l’air banal, mais ça représente aussi Instagram et YouTube, les deux autres principaux vecteurs de croissance dans les dépenses numériques des annonceurs.

Pas pour rien si certains élus américains et européens commencent à songer sérieusement à démanteler ces mastodontes, espérant ainsi créer des interstices où de nouvelles start-ups, sinon des entreprises médiatiques moindrement audacieuses, sauront s’infiltrer.

Des start-ups qui n’ont jamais fait d’argent

Ça fait 15 ans que les médias parlent d’un virage numérique salvateur pour l’industrie, mais les signes positifs des premières années se sont rapidement effrités il y a cinq ou six ans quand les plateformes publicitaires se sont automatisées. La valeur de l’affichage publicitaire s’est rapidement écroulée de plus de 75%, au début de la décennie actuelle. N’allez pas chercher plus loin la fonte comme neige au soleil (ou comme un iceberg au Groenland, si vous permettez l’expression) des grands portails comme Canoë, MSN et Sympatico…

Durant des années, de jeunes pousses comme Buzzfeed et Vice Media faisaient des envieux dans les «vieux médias», qui ont bien tenté de les imiter. Le premier peut être crédité pour avoir popularisé le fameux «listicle», une forme de contenu servi en petites bouchées successives entre lesquelles il est facile d’insérer des placards publicitaires en grand nombre. Le second s’adressait à un lectorat cool et branché avec des reportages fouillés sur des sujets accrocheurs, limite provocateurs, en marge de «la grande actualité».

Léger détail, ces deux-là n’ont pas été profitables un instant. Cet hiver, Vice Media a fermé plusieurs bureaux régionaux (dont celui de Vice Québec), en plus de liquider 10 pour cent de ses postes dans ses bureaux restants, après avoir flambé pas moins des 1,4 milliard $US qui ont été investis dans le projet depuis le début. La PDG de Vice, Nancy Dubuc, a promis une nouvelle formule qui satisferait l’impatience toute naissante de ses investisseurs. Ça reste à voir.

Entre temps, les seuls éditeurs qui semblent se remplir les poches sont ceux, pas très scrupuleux, qui ont créé des sites de fausses nouvelles ou qui se spécialisent dans des contenus liés à des idéologies extrémistes en tout genre. Ceux-là, profitant de l’amplification des réseaux sociaux, ont empoché quelque 235 millions $US en 2018, selon le Global Disinformation Index, qui suit (et dénonce) de près ce phénomène.

Évidemment, il est plus facile de créer de fausses nouvelles à partir de théories du complot qui naissent sur Twitter que d’effectuer une recherche approfondie derrière les décisions parfois douteuses prises par des élus municipaux dans diverses régions du Québec…

L’économie de l’abonnement à la rescousse?

Passée en douce, une nouvelle parue à la fin juillet devrait pourtant rassurer tout le monde dans l’industrie en général, et le nouvel éditeur du Groupe Capitales Médias en particulier, et ex-patron de Les Affaires, Stéphane Lavallée : il existe au moins un modèle d’affaires médiatique qui semble rapporter. Et en plus, il tombe pile poil dans une tendance émergente et qu’on annonce durable tant du côté des médias numériques dans d’autres secteurs, de l’automobile à l’alimentation, en passant par les vêtements, le divertissement et quoi encore.

En un mot : l’économie de l’abonnement. C’est à la fois vieux comme le papier imprimé et tout nouveau, comme modèle. Appelons ça une réémergence. En 2000, il s’est dépensé 215 milliards $US en abonnements en tout genre en Amérique du Nord. Cette somme est passée à 420G$US en 2015, selon Crédit Suisse. Parions que ça va encore doubler d’ici quelques années…

À la fin juillet, donc, The Athletic, un site d’information sportive lancé en 2016 par deux types situés à Chicago, comptait un demi-million d’abonnés. Des abonnés qui paient jusqu’à 10 dollars US par mois pour accéder au contenu de ce site spécialisé dans l’actualité sportive.

The Athletic existe au Québec, sous forme du site Athlétique, et compte sur plusieurs signatures de renom qui créent du contenu exclusif, offert sans aucun emballage publicitaire. On n’a pas les chiffres exclusifs au marché québécois, mais ils sont certainement en croissance eux aussi, The Athletic en son ensemble visant le million d’abonnés payants au plus tard à la fin de l’année en cours. Le site propose du contenu local dans une cinquantaine de marchés en Amérique du Nord.

Contrairement à Vice Media, dont la valeur se comptait en tellement de milliards qu’il s’agissait d’un des dix groupes médiatiques les plus importants en Amérique du Nord, les experts pensent que The Athletic vaut quelque chose comme 200 millions $US. En plus de ses revenus d’abonnement, le site vient de boucler une ronde de financement de série C valant 40M$US, afin de se lancer dans la vidéo et les balados.

Évidemment, The Athletic ne s’en fait pas des variations du marché publicitaire, et profite d’un lectorat anglophone beaucoup plus important que le marché francophone nord-américain pour faire de l’argent.

Mais la formule pourrait séduire un groupe médiatique qui doit se réinventer, non? Du contenu sur-mesure, régionalisé, couvrant un sujet spécifique juste assez vaste pour convaincre les lecteurs de s’y abonner, ça n’apparaît pas comme impossible à faire vivre même dans un marché comme le Québec.

En tout cas, à travers tous ces exemples d’échecs et de fermetures, il y a au moins celui-là qui prend la tangente inverse… Ça apparaît comme une piste de solution à étudier de près, qu’on soit une start-up ou un groupe médiatique établi.

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