Le PDG d'Apple, Tim Cook, sera l'un des 4 PDG qui seront interrogés cette semaine. (Photo: Getty images)
Mercredi, à moins de 100 jours des élections, des parlementaires américains vont questionner quatre des patrons les plus emblématiques au monde, les dirigeants des géants de la tech, une industrie qui a jusqu’à présent largement échappé au contrôle des autorités du pays.
La commission judiciaire enquête sur d’éventuels abus de position dominante par les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) et sur la pertinence des lois antitrust existantes et de leur application.
Ses questions seront écoutées aussi attentivement que les réponses de Sundar Pichai (Alphabet, maison-mère de Google), Tim Cook (Apple), Mark Zuckerberg (Facebook) et Jeff Bezos (Amazon).
Car dans le contexte de défiance générale à l’égard de Facebook, les politiques de tous bords pourraient être tentés de s’en prendre surtout au réseau social, qu’ils accusent de laxisme dans la modération des contenus et d’avoir trop d’influence sur les campagnes électorales.
Au risque de s’éloigner du thème de la concurrence.
«Ces audiences servent essentiellement aux membres du Congrès à désigner des coupables et à faire des discours pour leur circonscription», note Douglas Melamed, professeur de droit à l’université de Stanford, «Mais cette fois-ci, ce pourrait être différent».
Depuis un an, le ministère américain de la Justice, l’agence de protection des consommateurs ainsi que des États ont aussi lancé des investigations sur les GAFA.
À droite, comme à gauche, la pression monte contre la toute-puissance politique et économique des plateformes numériques, rendues plus indispensables que jamais dans la vie quotidienne par la pandémie de COVID-19.
Et plus riches aussi. Entre mars et juin, les milliardaires Jeff Bezos et Mark Zuckerberg ont accumulé respectivement 43,7 et 32 milliards de dollars supplémentaires, d’après une étude d’un think tank américain militant pour la justice fiscale.
Far West
Au-delà du casting alléchant, certains analystes se demandent s’il faut mettre dans le même panier des sociétés aussi différentes.
«Je m’attends plus à une audience très théâtrale qu’à des résultats concrets», considère Carolina Milanesi, de Creative Strategies. «Les entreprises vont juste réaliser qu’elles ont intérêt à faire quelques concessions pour éviter des contrôles renforcés».
Apple et Amazon sont accusées d’être juges et parties sur leurs plateformes, l’app store pour l’un et le site de e-commerce pour l’autre.
«C’est comme si j’avais un magasin dans un centre commercial et que le propriétaire de ce centre installait une boutique devant la mienne, pour vendre les mêmes produits que moi, à des prix moins élevés», relate Mike Massey, le propriétaire d’une enseigne d’équipements sportifs de la Nouvelle-Orléans, lors d’une conférence de presse organisée par Athena, un groupement d’associations anti-Amazon.
Google et Facebook, eux, accaparent l’essentiel des recettes publicitaires numériques mondiales.
Les interactions des utilisateurs avec leurs services «gratuits», et largement dominants, leur permettent d’établir des profils de consommateurs et de vendre des espaces publicitaires ultraciblés, à très grande échelle.
Mais les GAFA ont aussi des points communs. Nés dans le «Far West» américain, ils se sont largement étendus au-delà de leur coeur de métier, du cloud au divertissement, à coup de nouveaux projets et d’acquisitions.
Ils sont surtout passés maîtres dans l’art de récolter et exploiter les données personnelles, moteur de l’économie numérique.
Difficile pour d’autres acteurs de rivaliser dans ces conditions.
Pas de «solution miracle»
Mais «si les données ont été obtenues légalement, pour construire de meilleurs produits, c’est considéré comme un signe d’efficacité», remarque Douglas Melamed.
Les parlementaires doivent donc déterminer si les quatre mastodontes dominent grâce à des pratiques illégales, visant à écraser toute concurrence.
Contrairement aux autorités européennes, les États-Unis se sont montrés plutôt frileux sur la question.
«Nos lois sont moins propices à l’application de sanctions, et il y a cette foi en général dans la capacité des marchés à se réguler», commente Harry First, professeur de droit à l’université de New York.
«Les régulateurs sont prudents parce qu’ils n’aiment pas perdre devant les tribunaux», ajoute cet ancien directeur du département antitrust du procureur de New York.
La loi américaine, telle qu’appliquée ces dernières années, exige, pour autoriser des mesures contre les entreprises, que leurs agissements fassent clairement du tort aux consommateurs, en conduisant à une hausse des prix par exemple.
D’où la deuxième question posée, implicitement, à la commission judiciaire: faut-il promulguer de nouvelles lois ?
Même en cas de réponse positive, il faudra sans doute attendre le prochain Congrès, après les élection de fin d’année.
Une nouvelle législation «aurait sans doute plus de chance de résoudre le problème, mais il faudra le temps de l’interpréter», souligne Harry First. «Ce n’est pas une solution miracle».