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L’effet insoupçonné de l’IA sur la santé des travailleurs

Olivier Schmouker|Publié le 19 juillet 2022

L’effet insoupçonné de l’IA sur la santé des travailleurs

Chaque fois que le nombre de robots augmente de 1,34 pour 1000 travailleurs, on assiste à une diminution du nombre d’accidents de 12 pour 1000 travailleurs. (Photo: 123RF)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Notre patron nous a annoncé qu’on allait bientôt avoir des robots équipés d’une intelligence artificielle. Le but principal est de nous faciliter le travail: les robots assumeront les tâches les plus dures. Vu de même, ça a l’air parfait. Mais je m’inquiète: trop beau pour être vrai?» — Jayke

R. — Cher Jayke, l’avènement de l’intelligence artificielle (IA) suscite un bon nombre d’inquiétudes: les robots intelligents vont-ils prendre nos jobs à tout jamais? Vont-ils nous forcer à changer de métier? Ou encore, vont-ils nous contraindre à acquérir des compétences pour lesquelles nous n’avons guère d’attrait, mais qu’il sera obligatoire d’avoir sous peu pour demeurer pertinent sur le marché du travail?

La plupart du temps, ces interrogations tournent autour de l’«obsolescence programmée» du travailleur humain au regard des capacités stupéfiantes des robots intelligents d’aujourd’hui et de demain. Mais là, vous abordez un autre point, relativement inusité: les robots vont-ils vraiment nous faciliter la vie au travail? Ceux qui nous «vendent» à présent l’IA le jurent, bien entendu, mais cela est-il si vrai que ça? Est-ce, comme vous le dites, trop beau pour être vrai?

Rania Gihleb est professeure d’économie à l’Université de Pittsburgh, aux États-Unis. Avec trois autres chercheurs provenant de la même université qu’elle, de l’Université libre de Berlin, en Allemagne, et de l’Université de Toronto, elle a justement regardé l’effet sur la santé physique et psychique de l’implantation de robots dans différents milieux de travail aux États-Unis. Son hypothèse de départ était que cela avait de fortes chances de réduire l’intensité du travail effectué par les travailleurs assistés d’un robot, de diminuer les accidents du travail et, par la suite, d’accroître leur bien-être des travailleurs. Logique, n’est-ce pas?

Or, l’étude a mis au jour quelque chose d’inattendu.

— Beaucoup moins d’accidents du travail. Chaque fois que le nombre de robots augmente de 1,34 pour 1000 travailleurs, on assiste à une diminution du nombre d’accidents de 12 pour 1000 travailleurs. Ce qui est énorme: cela a représenté, entre 2005 et 2011, une économie de 1,69 G$ US par année en coûts de blessure chez nos voisins du Sud.

— Beaucoup plus de décès liés à l’alcool ou la drogue. En revanche, la pénétration des robots dans le marché du travail américain se traduit par une augmentation «considérable» des décès liés à l’alcool ou à la drogue. Chaque fois que le nombre de robots augmente de 1,34 pour 1000 travailleurs, on assiste à un bond effarant de 10,5% par rapport à la moyenne du nombre de décès en lien avec l’abus d’alcool ou de drogue.

— Une santé mentale nettement détériorée. Chaque fois que le nombre de robots augmente de 1,34 pour 1000 travailleurs, on assiste de surcroît à un bond de 14,9% par rapport à la moyenne du nombre de jours par mois où les travailleurs estiment que leur santé mentale n’est pas bonne.

À noter, par ailleurs, que fort heureusement l’étude n’a trouvé aucune preuve d’un effet significatif sur le taux de suicide des travailleurs.

Selon Rania Gihleb et son équipe de chercheurs, les résultats de l’étude montrent que «l’arrivée des robots augmente non seulement les craintes des travailleurs quant à leur avenir professionnel, mais aussi la pression à la performance qu’ils subissent au quotidien». Ce qui a un impact négatif sur leur santé mentale, au point que nombre d’entre eux pensent trouver refuge dans l’alcool et la drogue, et finissent par sombrer.

Bref, l’IA a un impact positif sur la santé physique des travailleurs, mais par la même occasion un impact négatif — pour ne pas dire dévastateur — sur leur santé mentale.

Par conséquent, Jayke, l’important est, je pense, que vous soyez avisé de l’effet insoupçonné de l’IA et que cela vous empêchera d’avoir le réflexe de chercher un faux refuge, comme l’alcool ou la drogue. J’espère aussi que cela vous poussera à l’action pour empêcher que certains de vos collègues ne vivent mal, en cachette, cette situation déstabilisante et que cela vous amènera à faire part de cette étude à la haute direction de votre organisation, ce qui devrait l’inciter à tenir compte de la dimension psychologique de l’opération qu’elle s’apprête à mener.

Peut-être votre patron va-t-il dès lors s’informer sur ce point, partager ses informations avec les gestionnaires et veiller à ce qu’un accompagnement psychologique personnalisé soit offert à chaque travailleur durant les prochains trimestres.