Un juge d'une cour spécialisée en droit des affaires, dans l'État du Delaware (est des États-Unis), devra donc déterminer si le multimilliardaire peut, ou non, mettre fin, sans frais, à l'accord d'acquisition. (Photo: 123RF)
San Francisco — Si les poursuites entreprises par Twitter contre Elon Musk après sa tentative avortée de racheter le réseau social pour 44 milliards de dollars américains vont jusqu’au procès, il est probable que les débats se focalisent sur les «bots», ces programmes informatiques automatisés omniprésents et mal-aimés.
Les avocats de l’homme le plus riche du monde ont en effet justifié vendredi sa décision d’annuler l’accord d’achat notamment par le refus supposé de Twitter de fournir toutes les informations demandées sur le nombre de faux comptes et de spams — à la suite de quoi la firme à l’oiseau bleu a engagé des poursuites.
Voici comment cette question complexe pourrait déterminer l’issue de la bataille judiciaire.
Bons et mauvais bots
De manière générale, les bots sont des logiciels automatisés qui interagissent avec les plateformes ou leurs utilisateurs, souvent en se faisant passer pour de vraies personnes.
Twitter tolère l’usage de certaines tâches automatisées, par exemple lorsqu’un compte tweete chaque fois que le télescope spatial Hubble passe au-dessus d’une ville donnée.
Mais le réseau social a établi des règles au sujet de ces comptes automatisés, qui leur interdisent notamment de publier des messages sur des sujets d’actualité brûlante, d’envoyer des spams, de tenter d’influencer les conversations en ligne et d’opérer plusieurs comptes simultanément.
L’entreprise assure combattre au quotidien les faux comptes et ceux coupables de spam, et ainsi maintenir leur nombre sous les 5% du nombre total d’usagers.
Les avocats d’Elon Musk ont accusé Twitter d’avoir «donné des déclarations fausses et trompeuses» et de n’avoir pas fourni des détails dont le milliardaire avait besoin pour évaluer le nombre réel de faux comptes.
Une question «épineuse»
Déterminer le nombre de bots sur le site est un exercice délicat, car le décompte dépend à la fois des critères internes à Twitter et des employés qui appliquent ces règles.
Certains constituent des violations évidentes, tandis que d’autres nécessitent un arbitrage humain qui analysera plusieurs données.
«Les gens peuvent ne pas être d’accord sur ce qui relève du bot ou du compte spam», explique Edwin Chen, un ancien de Twitter désormais à la tête de l’entreprise de modération des contenus Surge AI.
Il peut également être compliqué pour quelqu’un d’extérieur à Twitter de vérifier ces chiffres, car le processus d’identification des bots exige parfois de consulter l’IP, l’adresse courriel ou d’autres données privées.
«Je pense que beaucoup de gens (…) dans l’industrie de la tech savent qu’il s’agit d’une question très épineuse», ajoute Edwin Chen.
Les poursuites engagées par Twitter, qui visent à forcer Elon Musk à respecter l’accord initial, pourraient conduire à l’examen minutieux de la définition des bots par l’entreprise et des mesures adoptées.
Les avocats du patron de Tesla assurent qu’il s’est déjà enquis, «pendant près de deux mois», mais sans succès, de «la méthodologie de Twitter et des données de performance liées à l’identification et à la suspension des comptes spams et faux compte». Mais d’après les avocats de Twitter, Musk a fait «preuve de très peu d’intérêt» pour les méthodes de l’entreprise.
Là où le bât blesse pour Twitter
Certains observateurs suggèrent qu’Elon Musk aurait pu se servir de la question complexe des bots comme d’un prétexte pour revenir sur son offre d’achat.
Mais ces faux comptes sont un réel problème informatique.
Ils sont utilisés dans plus de trois quarts des attaques et fraudes en ligne, et peuvent aussi permettre d’entraîner des personnes dans des arnaques, explique à l’AFP Tamer Hassan, patron de l’entreprise de cybersécurité HUMAN.
En outre, Twitter tire ses revenus de la publicité et les annonceurs paient pour s’adresser à des personnes, pas des algorithmes.
«Faire de la publicité auprès de bots n’aura pas beaucoup de chances de réussite parce que les bots n’achètent pas de produits», souligne l’analyste indépendant Rob Enderle.
Si les annonceurs paient des frais sur Twitter en fonction du nombre de personnes qui voient leurs publicités, et que ces chiffres sont gonflés par des bots présents sur le réseau, ils sont surfacturés, résume-t-il.
Si Twitter a beaucoup plus de bots que ce qu’il laisse entendre, ses revenus pourraient s’effondrer une fois ces faux comptes identifiés et supprimés.
Un argument mis en avant par les avocats d’Elon Musk: le nombre «réel» d’utilisateurs quotidiens de Twitter pouvant être exposé à des annonces «est une composante clé des affaires de l’entreprise, étant donné qu’environ 90% de ses revenus proviennent de la publicité».