L’IA générative « éthique » Firefly d’Adobe est accessible sur invitation seulement pour l’instant. (Capture d’écran : Maxime Johnson)
TECHNO SANS ANGLES MORTS décortique les technologies du moment, rencontre les cerveaux derrière ces innovations et explore les outils numériques offerts aux entreprises du Québec. Cette rubrique permet de comprendre les tendances d’aujourd’hui afin d’être prêt pour celles de demain.
TECHNO SANS ANGLES MORTS. Les intelligences artificielles capables de générer des images à partir d’une requête textuelle ont été bâties sur le dos des artistes dont les œuvres ont été utilisées sans leur consentement, et dont le style est ensuite copié, sans rétribution. Adobe promet que vous pourrez vous servir de la sienne sans aucun remords.
Si vous demandez à Midjourney de créer une image médiévale dans le style de l’artiste portoricaine Karla Ortiz, cette populaire intelligence artificielle (IA) générera un paysage semblant peint à l’huile, riche en détails, avec un personnage à l’avant-plan aux traits plus précis, probablement une femme vêtue d’une longue robe.
Le résultat ressemble bel et bien à une œuvre qu’aurait pu peindre Karla Ortiz, au grand dam de cette dernière. L’artiste est d’ailleurs derrière une demande de recours collectif déposé en janvier aux États-Unis contre différentes entreprises dont les IA ont été entraînées sur ses œuvres sans son consentement, incluant Midjourney. «Les comportements non éthiques des entreprises d’intelligence artificielle sont finalement scrutés de près, comme elles le méritent», a affirmé l’artiste sur Twitter lors du dépôt de la poursuite.
Le problème est d’ailleurs le même avec ChatGPT ou Stable Diffusion. Toutes ces IA génératives ont été entraînées sur des téraoctets de textes ou d’images, avec peu ou pas d’égards aux ayants droit. Quand j’ai interviewé Imran Ahmad, associé chez Norton Rose Fulbright Canada dans le cadre d’un reportage sur ChatGPT, celui-ci était d’ailleurs sans équivoque : des poursuites en droit d’auteur allaient éventuellement être déposées au Canada.
Reste à voir si ce ne sont que les entreprises d’IA qui seront visées, ou si leurs utilisateurs le seront aussi.
Que ce soit pour des considérations légales ou éthiques, on comprend donc les entreprises qui souhaitent éviter ces outils.
Une nouvelle option pourrait toutefois bientôt changer la donne. Le géant américain du logiciel Adobe a dévoilé en mars son IA générative Firefly, qui se veut basée sur l’éthique et la responsabilité, et qui a été «développée en collaboration avec des artistes», explique à Les Affaires Ely Greenfield, chef des technologies pour les médias numériques d’Adobe.
Les considérations éthiques de cette IA sont nombreuses, mais deux ressortent particulièrement du lot. Au lieu d’être entraîné sur le plus d’images possible, ramassées partout sur le web, Firefly a plutôt été bâti avec uniquement des œuvres dont le droit d’auteur est expiré — les peintures de Picasso, par exemple — et avec des images dotées d’une licence ouverte dans la banque d’images Adobe Stock (qui illustrent peut-être déjà votre site web ou vos présentations internes).
Quand le produit sera officiellement lancé au cours des prochains mois, les artistes dont les œuvres sont publiées sur Adobe Stock auront l’option de permettre ou non que leurs images protégées par un droit d’auteur soient aussi utilisées pour l’entraînement de Firefly. Et, encore plus intéressant, un mécanisme sera mis en place pour les payer s’ils acceptent de le faire.
Malheureusement, on ignore encore les détails de cette compensation financière, et trouver un modèle d’affaires juste pour tout le monde pourrait s’avérer difficile. «L’IA ne sait pas quelles œuvres spécifiques ont servi à générer une image», prévient Ely Greenfield. Il sera donc impossible de simplement payer les artistes à commission comme c’est le cas actuellement avec Adobe Stock.
Le problème n’est d’ailleurs pas propre à Adobe. L’été dernier, j’avais demandé à Aditya Ramesh, le créateur de Dall-E (le générateur d’images d’OpenAI, l’entreprise derrière ChatGPT) s’il était capable de retrouver les œuvres ayant servi d’«inspiration» à son IA lorsque qu’elle générait une œuvre. «Nous ne sommes pas encore capables de le faire directement», m’avait-il confié.
C’est une chose de promettre une rémunération, mais encore faut-il qu’elle convienne aux artistes. S’ils ne reçoivent que quelques dollars par mois, peut-être que peu d’entre eux seront intéressés à collaborer au projet.
Les IA génératives sont encore jeunes, et il est facile de penser que les joueurs actuels sont ceux qui domineront toujours le marché. Même si Adobe doit encore faire ses preuves, l’arrivée de Firefly démontre au moins qu’il y a de la place pour d’autres IA, plus éthiques, qui pourront jouir d’une meilleure acceptabilité sociale.