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Les matériaux recyclés gagnent en popularité chez les fabricants

Maxime Johnson|Publié le 16 octobre 2023

Les matériaux recyclés gagnent en popularité chez les fabricants

À l’intérieur de l’usine de Lavergne à Anjou. Photo : Maxime Johnson.

Techno sans angles morts décortique les technologies du moment, rencontre les cerveaux derrière ces innovations et explore les outils numériques offerts aux entreprises du Québec. Cette rubrique permet de comprendre les tendances d’aujourd’hui afin d’être prêt pour celles de demain.

Techno sans angles morts. Jour après jour, de sept à dix camions de pièces usagées sont traités et transformés en plastique recyclé à l’usine Lavergne dans l’est de Montréal. Pour la PME et son partenaire de longue date HP, il est temps de mettre en place les conditions pour en faire plus. Beaucoup plus.

Des dizaines de boîtes et de ballots s’empilent devant moi, remplis principalement de boitiers et de pièces d’appareils électroniques. Le vieil ordinateur portatif que j’ai apporté à mon écoquartier il y a quelques semaines est probablement passé par ici après avoir été au préalable démonté par une entreprise spécialisée qui en a extrait les métaux les plus précieux. «Leurs déchets sont nos matières premières», illustre Bruno Jeannotte, directeur de l’usine du Groupe Lavergne à Anjou.

La PME fondée en 1984 se spécialise dans le recyclage de plastique post-consommation, comme le boitier de mon vieil ordinateur et le plastique des cartouches d’encre usagées. Dans les différentes machines géantes de l’établissement, les pièces sont déchiquetées, le métal qui reste en est séparé, le plastique est trié en fonction du type et de la couleur, lavé, fondu, remis à neuf avec des additifs, extrudé, coupé et refroidi, jusqu’à l’obtention de petites pastilles de résine qui seront envoyées aux quatre coins du monde, pour créer notamment des appareils électroniques comme des enceintes Sonos, des aspirateurs Dyson et des ordinateurs HP.

En tout, 90% du plastique produit chez Lavergne est destiné aux appareils électroniques, aux petits électroménagers et au secteur de l’automobile. Selon une étude commandée par HP, l’empreinte carbone de ce plastique serait 46% plus petite que celle du plastique vierge.

 

Un sujet en vogue

L’utilisation de matériaux recyclés commence finalement à gagner en popularité chez les fabricants technos. «Le taux de circularité de nos ordinateurs et de nos imprimantes varie d’un modèle à l’autre, mais il est en moyenne à environ 40%, en incluant l’emballage. Notre objectif est d’atteindre 75% d’ici 2030», note Frances Edmonds, responsable du développement durable chez HP Canada.

L’entreprise, qui a aidé à faire croitre Lavergne en lui confiant la tâche d’assurer la circularité du plastique de ses cartouches d’encre dans les années 2000, détient une longueur d’avance sur cette question. Le taux de matières recyclées dans les produits Apple, pourtant un autre leader dans le domaine, se situe par exemple plutôt à 20%. Mais le reste de l’industrie commence aussi à s’y intéresser.

Il s’agit plus de l’exception que de la règle, mais au salon de l’électronique CES en janvier, j’avais observé de nombreux appareils affichant pour la première fois du plastique recyclé, comme des chargeurs Belkin et des manettes pour les télés Samsung. Et quand j’ai visité un centre de recherche du fabricant Sonos en février, l’entreprise m’avait expliqué tout le travail nécessaire pour incorporer du plastique recyclé post-consommation à ses nouvelles enceintes Era 100 et Era 300. «Les fournisseurs ont vraiment amélioré la qualité de ces plastiques, et ils peuvent en fournir beaucoup plus qu’auparavant», s’était réjoui Deji Bryce Olukotun, chef de l’impact social chez Sonos. Développer les bonnes recettes de plastique avait tout de même pris un an et demi à Sonos et son partenaire.

Les procédés de Lavergne permettent désormais de produire du plastique recyclé blanc. (Photo: Lavergne)

«C’était nous, le partenaire !», me lance Laurence Goddard, vice-président responsable des clients majeurs chez Lavergne, lorsque je lui raconte l’anecdote durant ma visite de l’usine la semaine dernière. La possibilité assez récente de créer du plastique recyclé post-consommation offrant des couleurs plus pâles, plus uniformes et plus constantes est une autre des raisons pourquoi on retrouve de plus en plus dans les appareils électroniques, m’explique-t-il.

«Avant, il fallait surtout utiliser ce plastique dans les composantes internes. Maintenant qu’on trie mieux et qu’on a de nouvelles recettes, on peut même s’en servir dans les pièces visibles, même les boitiers blancs», note Laurence Goddard.Les caractéristiques physiques du plastique sont aussi bonnes, et n’ont rien à envier à celles du plastique vierge, estime le président-directeur général et fondateur de Lavergne Jean-Luc Lavergne. «Notre plastique est utilisé pour les systèmes d’allumage de voitures. Il doit être fiable», illustre l’homme à la tête de cette entreprise qui compte désormais 250 employés et qui possède également des usines en Belgique, à Haïti et au Viêt-nam.

Introduire de la circularité dans le design des appareils (en récupérant les pièces en fin de vie, par exemple) a des coûts pour les entreprises, mais le plastique usagé lui-même serait en moyenne moins cher que le plastique vierge, affirme Jean-Luc Lavergne. «Nos prix fluctuent moins, et sur un horizon de quelques années, nous sommes compétitifs», assure-t-il.

 

Plaidoyer pour en faire plus

Même si les matériaux recyclés sont de plus en plus visibles dans les appareils électroniques, l’industrie techno et le Canada emploient encore beaucoup trop de matériaux vierges. Au Canada, seulement 6,1% des matériaux utilisés par les fabricants proviennent de sources recyclées, un taux loin derrière la France, notamment, à 19%, selon une étude du Conseil des académies canadiennes. « Si on ne change rien, ça ne va pas s’améliorer », croit Frances Edmonds de HP.

 

 Le besoin est pourtant criant, tant pour réduire les émissions carbone reliées à la production de plastique vierge que pour réduire la quantité de plastique enfouie année après année. Au Canada, à peine 9% des 3 millions de tonnes de plastique jetées par les Canadiens sont recyclés, selon Environnement et Changement climatique Canada.

L’une des solutions proposées par HP pour augmenter le taux de circularité au Canada : améliorer les critères environnementaux, notamment la part de matériaux recyclés, dans les appels d’offres, par exemple lors de l’achat de matériel informatique. «Tant chez les gouvernements que chez les entreprises, l’aspect environnemental n’est à peu près jamais considéré dans les soumissions», se désole Frances Edmonds. L’entreprise a d’ailleurs publié l’année dernière des critères environnementaux pouvant être utilisés dans les appels d’offres.

Les gouvernements devront en faire plus, estime d’ailleurs Jean-Luc Lavergne. «Des pays, entre autres en Europe, taxent l’utilisation du plastique vierge, ou imposent l’utilisation de plastique recyclé dans certains produits», explique-t-il.

Malgré les avancées des dernières années, il reste encore beaucoup de chemin à faire pour améliorer la circularité des appareils électroniques. «Les entreprises ont souvent un préjugé par rapport au plastique recyclé parce qu’ils ont eu de mauvaises expériences dans le passé», observe Jean-Luc Lavergne. «Mais la technologie s’est vraiment améliorée, comme le prouvent tous nos clients. C’est vers là que l’industrie se dirige», prédit-il. Reste à voir combien de temps il faudra pour y arriver.