Les médias étudiants aussi ciblés par le blocage de Meta
La Presse Canadienne|Publié le 28 août 2023La mesure de Meta est intervenue en pleine période estivale où la plupart des publications estudiantines ralentissent ou mettent sur pause leurs activités. (Photo: La Presse Canadienne)
La décision de Meta de mettre fin à l’accès aux nouvelles sur ses plateformes au Canada s’attaque aussi aux médias étudiants. Ces publications collégiales et universitaires se retrouvent privées de leur principale «porte d’entrée» vers leurs reportages.
En consultant les pages Facebook et Instagram de différents médias étudiants québécois s’affiche le message qui indique que «les contenus d’actualité ne peuvent pas être affichés au Canada» en réponse à l’adoption du projet de loi C− 18 du gouvernement fédéral sur les nouvelles en ligne.
Ce blocage risque de porter un plus grand coup à ces publications qu’aux grands médias en termes de visibilité.
«C’est une porte d’entrée vers notre site web. On sait que les étudiants plus jeunes ne consultent pas nécessairement notre site web directement. Ils vont donc vraiment passer par Instagram ou Facebook», indique Patrick MacIntyre, directeur de rédaction à Quartier Libre, le magazine indépendant de l’Université de Montréal.
C’est aussi sur ces deux plateformes que se concentre principalement le lectorat de l’Impact Campus de l’Université Laval, à Québec.
«C’est une communauté à rejoindre perpétuellement, parce qu’évidemment ce sont des gens qui passent à l’université. Ce n’est pas un public qui se fidélise et reste pendant 15, 20 ou 25 ans. Donc, il faut, disons, chaque fois un peu les conquérir. Et on passe beaucoup par les réseaux sociaux, qui est en fait notre stratégie numéro un», évoque la rédactrice en chef du média, Emmy Lapointe.
Elle s’inquiète des effets financiers du blocage. Le trafic généré sur le site web de l’Impact Campus grâce à Facebook ou Instagram permet d’attirer de la publicité et d’en tirer ainsi des revenus.
«C’est ce nombre de clics là qui nous permet de justifier les prix à nos publicitaires. On a une partie de nos revenus qui viennent des cotisations étudiantes, mais on a aussi une bonne partie de nos revenus qui viennent des publicitaires. Si on perd la diffusion sur Facebook, forcément on perd des visites sur notre site», explique la rédactrice en chef.
Le média de l’Université Laval avait d’ailleurs pris récemment un virage numérique en diminuant son nombre de publications papier à un seul magazine trimestriel. «C’est vraiment inquiétant de savoir comment on va rejoindre notre communauté. (…) On se retrouve un peu le bec à l’eau», mentionne la journaliste.
Stratégie à revoir
La mesure de Meta est intervenue en pleine période estivale où la plupart des publications estudiantines ralentissent ou mettent sur pause leurs activités. L’impact de la décision sera pleinement mesuré au cours des prochaines semaines.
Mais déjà, les équipes de rédaction savent que la rentrée de l’automne sera consacrée à trouver de nouveaux moyens de diffusion et de visibilité auprès de leur lectorat.
«Ça va être tout un défi pour les médias étudiants en général», estime Olivier Demers, journaliste et membre de coordination de L’Exilé.
Le jeune média entièrement numérique du Cégep du Vieux Montréal est pour le moment épargné par la politique de Meta. M. Demers entrevoit tout de même le travail à accomplir s’il advient que le contenu de L’Exilé soit finalement bloqué.
«On n’est pas des spécialistes en numérique. On a développé une certaine expertise au fil du temps avec WordPress, pour les modules du site. Mais (si on fait) des infolettres, on va s’embarquer dans l’inconnu», affirme-t-il.
Patrick MacIntyre de Quartier Libre souligne également que la plupart des médias étudiants comptent sur des petites équipes et des moyens limités en termes de temps.
À l’Université du Québec à Montréal, le Montréal Campus cherchera à promouvoir son site web avec de la publicité entre les murs de l’établissement.
«On a plusieurs projets également pour avoir une plus grande présence sur les autres réseaux sociaux, TikTok, LinkedIn ou sur X (anciennement Twitter), puis YouTube», indique le rédacteur en chef, Philémon La Frenière−Prémont.
«On est en contact avec plusieurs médias étudiants à travers le Québec pour essayer de s’entraider et de proposer des idées entre nous», poursuit−il.
Le déploiement d’une infolettre transmise par courriel est évoqué par plusieurs, mais n’est peut−être pas la meilleure avenue pour les publications collégiales et universitaires, croit Samuel Lamoureux, professeur à temps partiel en journalisme à l’Université d’Ottawa.
«Le problème avec les médias étudiants, c’est que le lectorat change beaucoup d’année en année, c’est−à−dire qu’une fois que tu as ton diplôme, tu n’as plus vraiment intérêt à suivre ce qui se passe à l’UQAM, par exemple», mentionne-t-il.
Il propose notamment de contourner le blocage avec la création de groupes de discussion et d’exploiter davantage les autres plateformes.
Les algorithmes en cause
Les médias étudiants ont appris avec un certain étonnement qu’ils sont également touchés par le blocage de Meta, pensant que seules les grandes entreprises d’information en seraient la cible.
Selon M. Lamoureux, l’application de cette mesure découle d’un changement dans les algorithmes de Meta.
«Des algorithmes, ce ne sont pas des humains. Il n’y a aucune analyse en profondeur. Si tu as l’apparence d’un magazine ou d’un média, tu es fait», avance le professeur.
Meta explique avoir identifié «les entreprises de nouvelles sur la base des définitions législative et des orientations de la Loi sur les nouvelles en ligne».
«Les entreprises de nouvelles, selon la définition enchâssée dans la loi, comprennent les entreprises dont l’objectif principal est de produire du contenu d’information, sous quelque format que ce soit (y compris un format audio ou audiovisuel), qui rapporte, enquête ou explique des questions ou des événements d’actualité présentant un intérêt pour le public», fait valoir un porte−parole de l’entreprise par courriel.
Empêcher la diffusion de reportages des médias étudiants vient réduire l’accès à des nouvelles qui passeraient sous silence sans eux, déplore M. Lamoureux.
«Ça peut informer les gens de problèmes majeurs qui ont lieu sur les sites universitaires. Des problèmes que l’administration ne va jamais couvrir. Ce sont des chiens de garde de l’administration. Dans ce contexte, ils servent la vie étudiante et peuvent provoquer des débats», soutient−il.
Frédéric Lacroix−Couture, La Presse Canadienne