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L’intelligence artificielle en veut-elle à votre emploi?

Morningstar|Publié le 04 août 2023

L’intelligence artificielle en veut-elle à votre emploi?

Challenger, Gray & Christmas, qui produit des rapports mensuels sur les licenciements, a signalé pour la première fois 3900 pertes d’emploi liées à l’IA en mai 2023 sur un total de 80 000, et ce, toutes dans le secteur technologique. (Photo: 123RF)

Sam Altman, fondateur d’OpenAI, a récemment affirmé que l’intelligence artificielle (IA) pourrait éventuellement multiplier la productivité par 30. C’est possible. Un jour peut-être…

En attendant, Preston Caldwell, responsable de l’économie américaine à Morningstar, rappelle que la croissance de la productivité du travail s’est établie à 0,8% au cours de la décennie qui a précédé la pandémie, contre une moyenne historique de 1,9% sur 70 ans. «Je pense que l’IA et d’autres facteurs contribueront à rapprocher la croissance de la productivité de 1,5% au cours de la prochaine décennie», prédit-il.

Robert Atkinson, président de la fondation Information Technology and Innovation, a un point de vue similaire: «Nous aurons de la chance si, dans dix ans, nous atteignons une croissance annuelle de la productivité de 2%, mais elle ne sera certainement pas de 4%». Les prédictions de Preston Caldwell et Robert Atkinson d’une augmentation annuelle de la productivité de l’ordre de 1,5 à 2% signifient un doublement du taux actuel — qui «devrait être considéré comme une crise», soutient le président d’Information Technology and Innovation.

La duplication par deux de la productivité, ce n’est pas rien, mais ce n’est certainement pas beaucoup, surtout si l’on se souvient que «la productivité a oscillé autour de 3% dans les années 1960 et s’est maintenue à 2,3% en 1985», rappelle Robert Atkinson.

 

Les gains de productivité sont difficiles à obtenir

Il semble difficile d’obtenir une croissance de la productivité. En 1987, l’économiste Robert Solow a affirmé que les ordinateurs étaient partout, sauf dans les chiffres de la productivité. Malgré la boutade, il semble que les ordinateurs aient effectivement amélioré la productivité, note Robert Atkinson, la faisant passer de 1,5% en 1990 à 2,5% en 2008.

En 2018, le McKinsey Global Institute (MGI) a affirmé que la croissance de la productivité pourrait atteindre 2% par an, dont 60% proviendraient de la numérisation. Cinq ans plus tard, cela ne s’est pas encore concrétisé, alors qu’elle est restée à des niveaux historiquement bas, même si nous avançons à grands pas dans la «révolution de l’IA».

Aujourd’hui, dans une étude plus récente centrée sur l’IA générative de type ChatGPT, McKinsey aborde à nouveau la question, en affirmant qu’elle pourrait ajouter à l’économie mondiale environ 7000 milliards de dollars américains (G$ US), pour un poids économique potentiel total de toutes les technologies de l’IA d’environ 21 000G$ US.

McKinsey prévoit que 75% des bénéfices de l’IA proviendront de quatre domaines:

1. Les opérations avec les clients;

2. Le marketing et les ventes;

3. L’ingénierie logicielle;

4. La recherche-développement.

Robert Atkinson, quant à lui, voit plutôt les répercussions de l’IA dans la robotique et son utilisation dans l’industrie manufacturière.

 

Les pertes d’emplois à grande échelle semblent peu probables

La crainte d’une décimation des emplois par la technologie n’est pas nouvelle. En 1961, en pleine récession économique, John Kennedy a créé un bureau de l’automatisation et de la main-d’œuvre au sein du ministère du Travail. Il affirmait que le principal défi national des années 60 était de maintenir le plein emploi à une époque où l’automatisation remplaçait les hommes.

«Mais l’économie a rapidement rebondi, générant des millions d’emplois, un faible taux de chômage et une forte croissance des salaires, de sorte que tout le monde a rapidement relégué cette question dans le rétroviseur», se souvient Robert Atkinson.

Cela ne veut pas dire que des emplois ne seront pas perdus. Après tout, «plus de 50% des gens travaillaient dans l’agriculture il y a 150 ans, et ils ne sont plus que 2% aujourd’hui, souligne Preston Caldwell. La “destruction” de ces emplois a constitué une amélioration historique du bien-être humain.»

Mais la perspective d’une perte d’emplois à grande échelle provoquée par l’IA n’est pas fondée, estime Robert Atkinson. Une étude de 2013 qui a largement circulé prévoyait que 47% des emplois pourraient être supprimés par la technologie, principalement l’IA, au cours des 20 prochaines années. Dix ans plus tard, ce n’est pas encore le cas, et le taux d’emploi n’a jamais été aussi élevé.

Les études qui prédisent des licenciements massifs liés à l’IA sont nombreuses, mais celles qui les dénombrent sont inexistantes. Challenger, Gray & Christmas, qui produit des rapports mensuels sur les licenciements, a signalé pour la première fois 3900 pertes d’emploi liées à l’IA en mai 2023 sur un total de 80 000, et ce, toutes dans le secteur technologique.

En 2018, lors d’un témoignage devant une commission gouvernementale, Robert Atkinson a estimé que seuls 8% des emplois étaient exposés à un risque élevé d’automatisation d’ici 2024. Cette prédiction s’est-elle avérée? «C’est difficile à cerner, répond-il. Je dirais que 10% serait un chiffre élevé. Si nous pouvions automatiser 10% des emplois en Amérique du Nord d’ici 2030, ce serait fantastique, mais je ne pense pas que cela se produira.»

 

Améliorer l’emploi plutôt que le décimer

On s’accorde de plus en plus à penser que ce ne sont pas tant les emplois qui seront automatisés, mais plutôt les tâches et les fonctions au sein des emplois qui seront améliorées par l’IA. «Les premières indications des directeurs d’informatique font état de gains d’efficacité de l’ordre de 25%, ce qui incite les développeurs de logiciels à accélérer l’innovation», rapporte Dan Romanoff, analyste principal d’actions à Morningstar.

Si l’histoire est un indicateur fiable, les gains de productivité de l’IA créeront des emplois au lieu de les décimer. Historiquement, l’augmentation de la productivité a toujours entraîné une baisse du chômage, affirme Robert Atkinson. Il se réfère à une étude de McKinsey selon laquelle, entre 1929 et 2009, la plupart des années ont été marquées par des gains d’emploi et de productivité simultanés.

Le président de l’Information Technology and Innovation en explique la logique sous-jacente. «Les entreprises investissent dans l’innovation des processus (innovations visant à accroître la productivité) afin de réduire les coûts et, grâce à des marchés concurrentiels, elles répercutent la majeure partie de ces économies sur les consommateurs sous la forme de baisses de prix (et sur les travailleurs sous forme d’une augmentation des salaires). Ce pouvoir d’achat supplémentaire n’est pas enterré; il est dépensé, et ces dépenses créent de nouveaux emplois. Cette dynamique est la même, que la productivité augmente de 1% par an ou de 10%.»

Preston Caldwell raisonne de la même manière: «Les gens trouveront de nouveaux emplois après l’IA, ou ils travailleront moins et profiteront des fruits du progrès sous forme de loisirs. La principale préoccupation n’est pas la perte d’emplois en soi, mais le risque d’inégalité si les gains de l’IA ne profitent qu’à un très petit nombre. C’est une question politique, pas économique.»