Mélanie Dunn: «L’IA permet réellement de dégager du temps pour être créatifs et innovants»
Catherine Charron|Édition de la mi‑septembre 2024Mélanie Dunn, présidente de Plus Compagnie Canada et cheffe de la direction chez Cossette (Photo: Martin Flamand)
LE TÊTE-À-TÊTE. Plus Compagnie Canada vient d’ouvrir son nouveau campus devant le Square Victoria, à Montréal, un pôle où toutes ses branches présentes sur le marché d’ici sont réunies. Plein feu sur la stratégie de l’entreprise pour défier les vents et marées qui bousculent le secteur de la publicité et du marketing avec celle qui est à la fois sa présidente et cheffe de la direction de Cossette.
Vous avez ouvert un nouveau bureau à la fin janvier 2024 où sont rassemblées toutes les bannières de Plus Compagnie à Montréal. Quel était votre objectif ?
On revient avec une mouture postpandémie adaptée au travail hybride qui résout les problèmes rencontrés par nos employés. Ce qui m’obsédait toutefois le plus dans ce bureau, ce n’étaient plus les espaces physiques. Après 50 ans à travailler dans des campus, [Cossette] maîtrise l’aménagement de l’espace. On a toujours été en avant des tendances.
Maintenant, on s’intéresse plus aux attitudes et aux comportements que ça prend pour faire vivre ce concept dans le monde d’aujourd’hui, à aller plus loin lorsque l’environnement est optimisé pour favoriser le vivre-ensemble, la collaboration et l’innovation.
Comment assurer une telle collaboration ?
Si tu veux que les gens partagent, il faut que tes mesures incitatives financières soient alignées. S’il y a des guerres de clochers entre deux marques, entre des leaders d’agence qui n’ont pas intérêt à partager leurs services parce qu’ils pourraient en vendre plus à des clients, ça va nuire à la collaboration.
Depuis quelque temps, tous nos dirigeants ont à la fois des objectifs individuels, mais aussi collectifs. L’imputabilité financière est en grande partie partagée. Les modèles de compensation ont des composants qui sont partagés avec leurs pairs. Ça enlève un irritant au fait de collaborer.
On a aussi changé notre langage pour s’aligner avec les comportements et attitudes attendus. On a beaucoup parlé, durant la pandémie, de l’efficacité, surtout individuelle. Aujourd’hui, on s’intéresse à l’efficacité collective. Ça teinte le discours des leaders et la façon qu’on recrute. On est à la recherche de gens qui s’intéressent au gain collectif, qui veulent cultiver une confiance entre collègues.
On travaille aussi à ce que les outils utilisés, la structure organisationnelle et les échelles salariales soient les mêmes d’une agence à l’autre. Ces repères amènent plus de fluidité entre elles.
Quel est l’intérêt d’avoir autant de bannières, sachant qu’elles ont accès aux mêmes installations de production ou de services connexes ? Pourquoi ne pas opérer que sous l’entité de Plus Compagnie ?
Tous nos clients ont des valeurs, des méthodes de travail et des moyens différents. On souhaite que tout le panier de services soit disponible, mais d’une façon qui correspond à ce marché. On a de petites agences qui sont capables de travailler vite, pas cher, mais qui ne peuvent couvrir tous les marchés canadiens. D’autres peuvent travailler avec un volume quotidien énorme. Le type de créativité proposé sera aussi différent. On ne prétend pas qu’une seule bannière peut servir toutes les marques canadiennes et être un couteau suisse.
Les valeurs sont communes, mais il n’y a pas qu’une manière d’exprimer sa marque sur un marché unique à chacune de nos agences. Si un client requiert une grande palette de services, il ne collabore toutefois qu’avec une seule porte. Tous nos leaders sont habilités à collaborer avec les autres marques. C’est plus facile que de coordonner cinq agences différentes.
L’industrie du marketing n’en est pas à son premier bouleversement. Comment l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) générative transforme-t-elle vos méthodes de travail ?
C’est un outil de plus dans le coffre de nos employés afin qu’ils fassent mieux et plus rapidement des tâches autrefois manuelles, comme l’itération, la traduction ou même l’idéation pour ne nommer que celles-là.
Ça leur permet réellement de dégager du temps pour être créatifs et innovants. Un de mes collègues dit souvent « l’intelligence artificielle générative, c’est un super stagiaire, mais il faut que tu le surveilles ». Il faut que tu appliques ton jugement.
L’autre chose que je trouve de plus en plus intéressante avec l’IA générative, c’est la possibilité pour nous de développer de nouveaux outils qu’on peut offrir à nos clients. On a plusieurs projets d’investissements du genre qui sont développés en interne ou avec des partenaires.
On pourrait par exemple développer un focus group entièrement virtuel en dépersonnalisant et en synthétisant de la donnée qui alimente l’IA afin qu’elle reproduise la rétroaction d’un groupe témoin.
Tout le monde a accès à des outils comme ChatGPT, mais tout le monde ne peut pas en extraire quelque chose d’ingénieux. C’est grâce à notre créativité et à l’intelligence humaine que l’on va se démarquer. C’est là que nos employés apportent leur contribution.
On voit apparaître des échelles d’utilisation de l’IA. Adhérez-vous à ce genre de transparence ?
Tout au début, on a eu des clients qui nous ont demandé de ne pas utiliser d’IA générative. On a donc compris que les clients étaient curieux de savoir si on y a eu recours ou pas. Comme notre modèle d’affaires est basé à l’occasion sur des honoraires, on nous a demandé plus de transparence sur ce qui était fait automatiquement ou par un humain. Ça influe sur notre mode de compensation et sur ce que l’on peut facturer. Cette transparence-là, on y est donc habitués, et on l’embrasse.
On invite même nos clients à assister à nos ateliers Allo IA — on y partage ce qui s’est fait au sein du groupe, mais aussi ailleurs — pour savoir exactement ce qui se tramait, où on introduit l’IA générative.
De façon spontanée, nos employés ont aussi commencé à indiquer dans leurs courriels si Gemini les a par exemple aidés à faire un compte-rendu.
Pour l’instant, on n’a pas ressenti le besoin d’avoir plus de gouvernance, mais qui sait !
Comment accompagnez-vous vos employés afin que la démocratisation de l’IA générative ne les rende pas désuets ?
On offre de la formation en continu à tous nos employés. On n’aborde toutefois pas l’IA comme une menace. Les gens qu’on embauche sont ouverts à l’innovation et aux changements. On a un bon tamis à l’entrée pour avoir une main-d’œuvre qui sera capable de pivoter, de transférer des compétences dans d’autres rôles.
Je ne pense pas qu’ils deviendront désuets. Des rôles et des postes devraient cependant changer de façon importante. Ça se produit déjà. Il y a eu de la relocalisation, mais ce n’est pas nouveau. Quand le numérique est apparu, plusieurs postes ont disparu. Beaucoup de compétences sont transférables.
Les jeunes sont moins attirés par les postes de leadership. Est-ce un phénomène que vous observez ?
Je sens de plus en plus d’ouverture à du leadership décentralisé, partagé dans une équipe. Ça commence à s’exprimer sur les campus. Dans certaines de nos agences, on a décidé de façon informée de ne pas nécessairement avoir la typique équipe de direction, et ça fonctionne bien.
Je ne sais pas si c’est à cause de nouveaux employés qui ont des aspirations différentes, ou si c’est une tendance de fond.
On observe aussi que l’ambition change. Ce n’est plus nécessaire de devenir patron. Les campus nous aident parce que quelqu’un peut avoir une ambition qui est de développer une nouvelle expertise ou compétence. Comme on a une douzaine d’agences qui offrent des services différents, on peut faire des mouvements latéraux dans l’organisation.
Au moment de votre union avec la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et de la fondation de Plus Compagnie, vous disiez souhaiter doubler la taille du réseau de Cossette d’ici 2026. Comment ça se passe ?
Bien. Cossette a maintenant des activités d’un océan à l’autre. On développe aussi plusieurs nouveaux marchés qu’on déploie à partir d’ici. Quand la CDPQ dit « on importe les rendements, on exporte les talents », c’est ce qu’on fait chez Cossette et Plus Compagnie.
On développe aussi de nouveaux services, comme une offre en marque employeur ou de communication sur les plans de développement durable. Grâce à notre partenariat avec la CDPQ on a aussi investi pour développer de nouvelles plateformes technologiques pour mesurer l’engagement client.
Qu’est-ce qui attend Plus Compagnie Canada ?
Depuis 2021, Plus Compagnie est dans un parcours de croissance, mais aussi d’acquisitions, comme la firme de martech Munvo. De l’ajouter à notre campus a ouvert plein de possibilités à nos autres agences.
On continue de se développer par expansion géographique. Au Canada, on a pas mal couvert le territoire. Le groupe mondial fait maintenant des acquisitions aux États-Unis, en Europe et en Asie.
Tout ce qu’on fait ici au Canada sert nos agences à l’extérieur du pays. On ne le dit pas assez, mais Plus Compagnie, c’est un réseau mondial détenu par des intérêts canadiens, dont le leadership se trouve ici.
On continue l’expansion géographique, à diversifier le portefeuille de services surtout en technologie, et on le fait avec l’aide d’un fonds de pension canadien. Il n’y a jamais eu un meilleur moment pour être un dirigeant à Plus Compagnie qu’en ce moment.