Son arrestation il y a un an a provoqué une crise sans précédent entre la Chine et le Canada: une dirigeante du chinois Huawei comparaît à partir de lundi devant un tribunal de Vancouver qui devra déterminer si elle doit être extradée vers les États-Unis.
Meng Wanzhou, directrice financière du géant des télécoms, avait été interpellée lors d’une escale à l’aéroport de cette ville de l’ouest canadien, le 1er décembre 2018 à la demande des Etats-Unis. La justice américaine l’accuse d’avoir contourné les sanctions américaines contre l’Iran et veut la juger pour fraude.
Pékin n’avait pas tardé à réagir: quelques jours plus tard, deux Canadiens étaient arrêtés en Chine et accusés d’espionnage. Les autorités chinoises ont ensuite gelé des milliards de dollars d’importations de produits agricoles canadiens. Des mesures largement considérées en Occident comme des représailles.
La semaine d’audiences qui s’ouvre lundi doit être consacrée à la question de la «double incrimination»: pour pouvoir être extradée vers les Etats-Unis, Mme Meng doit y être poursuivie pour une infraction existant également au Canada.
Si la justice canadienne décide que l’infraction reprochée n’a pas d’équivalent au Canada, comme le plaideront ses avocats, Meng Wanzhou pourrait recouvrer sa liberté rapidement. Sinon, le processus d’extradition passera à une nouvelle étape et, avec de nombreuses possibilités d’appel, pourrait durer encore plusieurs années.
Une issue rapide reste possible: le ministre de la Justice David Lametti peut intervenir à tout moment et ordonner sa remise en liberté, notent plusieurs experts.
«Le ministre de la Justice a le pouvoir d’interrompre le processus d’extradition à tout moment», explique à l’AFP Gary Botting, avocat spécialisé dans les questions d’extradition. C’est arrivé par le passé, pour des raisons humanitaires par exemple.
«La façon la plus évidente de mettre fin à tout ça, c’est de la relâcher», ajoute-t-il. Pour lui, comme pour plusieurs responsables politiques, le Canada a été «naïf» en acceptant de sacrifier ses propres intérêts pour honorer son accord d’extradition avec les États-Unis.
«Il était prévisible que la Chine ne serait pas contente, et le Canada aurait pu s’éviter les retombées» de cette arrestation, insiste M. Botting.
Diplomatie des otages
Les Etats-Unis accusent Mme Meng d’avoir menti à la banque HSBC sur la relation entre Huawei et Sky Com, une filiale qui vendait des équipements de télécommunications à Téhéran. HSBC s’exposait ainsi à violer à son insu les sanctions américaines contre l’Iran, selon les Etats-Unis.
«Pour dire les choses simplement, il existe des preuves montrant qu’elle a trompé HSBC pour que celle-ci continue à fournir des services bancaires à Huawei», a expliqué le procureur dans son argumentaire. Ces accusations de fraude existent au Canada, et justifient son extradition vers les États-Unis, selon lui.
La directrice financière, qui vit en liberté conditionnelle dans sa luxueuse maison de Vancouver, a toujours nié ces allégations. Ses nombreux avocats devraient plaider que leur cliente ne peut être extradée parce que la violation des sanctions contre l’Iran n’est pas un crime au Canada, où ces sanctions n’existent pas.
Le père de Meng Wanzhou, le fondateur de Huawei Ren Zhengfei, a estimé dans une interview au Globe and Mail que sa fille était «utilisée comme un pion» par les États-Unis dans leur bras de fer avec Huawei, qu’ils soupçonnent d’espionnage au profit de Pékin.
Au Canada, plusieurs voix, dont celle de l’ancien Premier ministre Jean Chrétien, se sont élevées pour demander à Justin Trudeau de relâcher Meng Wanzhou, dans le cadre d’une sorte « d’échange de prisonniers » avec Pékin.
L’actuel Premier ministre s’est toujours retranché derrière l’indépendance de la justice canadienne. De plus, une telle décision risquerait de légitimer la «diplomatie des otages» mise en place par Pékin, selon plusieurs experts consultés par l’AFP.
Elle pourrait également compliquer un peu plus les relations entre le Canada de Trudeau et les États-Unis de Donald Trump.
«Je ne crois pas que les États-Unis se poseraient des questions si le Canada refusait de l’extrader», estime toutefois M. Botting. «Le Canada s’est retrouvé mêlé à tout ça contre son gré, mais franchement les États-Unis s’en fichent complètement».