Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Miser sur la face cachée de l’IA

Denis Lalonde|Édition de la mi‑septembre 2023

Miser sur la face cachée de l’IA

(Photo: 123RF)

L’intelligence artificielle (IA) fait beaucoup parler d’elle depuis quelques années, surtout depuis l’arrivée des robots conversationnels, comme ChatGPT et Bard, lancés respectivement en novembre 2022 et en mars 2023. Derrière ces puissants logiciels se cache une infrastructure qui nécessitera des investissements de plus de 1000 milliards de dollars (G $US) au cours de la prochaine décennie, ce qui pourrait intéresser davantage les investisseurs que l’IA elle-même.

C’est d’ailleurs l’avis de la société d’analyse financière Huatai Financial Holdings, de Hong Kong, qui a révélé en juillet dernier qu’elle préférait, dans l’ordre, les entreprises présentes dans le secteur de l’infrastructure informatique, des semiconducteurs et autres composants, des robots conversationnels et des applications.

La note, qui porte sur les effets de l’émergence des grands modèles de langage, cite des données d’OpenAI, société derrière ChatGPT, qui indiquent que la puissance de calcul informatique allouée à l’IA à travers le monde double tous les trois à quatre mois. Ce rythme est beaucoup plus rapide que celui de la loi de Moore, qui laisse entendre que la puissance des ordinateurs devrait doubler tous les 18 à 24 mois.

À la fin du mois d’août, l’analyste Daniel Ives, de la société américaine Wedbush, estimait qu’au cours des dix prochaines années, les géants de l’infonuagique allaient dépenser la rondelette somme de 1000 G $US en processeurs graphiques, serveurs et autres composants pour augmenter la capacité des centres de données à nourrir l’appétit sans cesse grandissant d’analyse nécessaire à l’entraînement et à l’amélioration de l’IA.

«Le principal problème pour les entreprises qui fabriquent les processeurs graphiques qui permettent d’entraîner de grands modèles de langage (large language models, ou LLM) en IA, c’est qu’ils ne sont pas capables de répondre à la demande en ce moment», estiment des experts de l’équipe Gestion des actions fondamentales à Gestion de placements Manuvie. Ces derniers soutiennent que Nvidia (NVDA, 460,18 $US) possède la vaste majorité du marché des processeurs graphiques utilisés dans les centres de données dédiés à l’intelligence artificielle en ce moment, mais que la concurrence s’organise pour obtenir sa part du gâteau dans ce lucratif marché. La société commercialise entre autres ses populaires modèles A100 et H100 qui se vendent plusieurs dizaines de milliers de dollars américains chacun.

«Il ne faut pas non plus oublier que Nvidia s’approvisionne auprès de Taiwan Semiconductors Manufacturing Company (TSM, 93,10 $US), mieux connue sous l’acronyme TSMC, pour ses puces les plus performantes», disent-ils. Le titre de TSMC se négocie à un ratio d’un peu plus de 16 fois son bénéfice par action des 12 derniers mois, selon Yahoo Finance, ce qui est beaucoup plus raisonnable que celui de Nvidia (111 fois). Les experts de Manuvie attribuent cette faiblesse à la situation géopolitique à Taïwan.

Encore là, il ne faut pas oublier que l’IA est encore une industrie émergente et ne représente qu’une petite portion des revenus des entreprises présentes dans le secteur. Par exemple, l’analyste Sunny Lin, d’UBS, estime que la portion des revenus de TSMC liés à l’IA devrait osciller entre 3 % et 4,6 % en 2024 et entre 8 % et 11 % en 2025.

 

Qui gagnera la course ?

C’est la question à plusieurs milliards de dollars. Pour le moment, certains experts estiment qu’il vaut mieux éviter de répondre en investissant dans les fournisseurs de tous les leaders actuels du secteur.

Le président et gestionnaire de portefeuille de Bouthillier Capital (B-Cap), Mathieu Bouthillier, place des entreprises comme Broadcom (AVGO, 851,82 $US) au même échelon que TSMC. «Par contre, Applied Materials (AMAT, 144,36 $US), que nous détenons en portefeuille, produit les composants qui permettent à ces dernières de produire des gaufres et des semiconducteurs», dit-il.

De son côté, John Plassard, spécialiste de l’investissement à Mirabaud, cite aussi la néerlandaise ASML Holding (ASML, 651,01 $US) comme fournisseur pour TSMC, Broadcom et Marvell Technology (MRVL, 53,50 $US). Il n’hésite d’ailleurs pas à qualifier ce secteur de «face cachée de l’intelligence artificielle».

«Avec un investissement indirect, tu deviens un peu plus agnostique à savoir qui va gagner la course à l’intelligence artificielle, parce que l’entreprise qui aura la meilleure technologie va avoir besoin d’équipements», explique Mathieu Bouthillier.

 

Les géants de l’infonuagique s’organisent

Et des équipements, les exploitants de centres de données vont en avoir besoin. Une étude de McKinsey & Company estime que les dépenses mondiales destinées à la construction de centres de données ont atteint 31 G $US en 2022 et prévoit qu’elles progresseront à un rythme annuel composé de 5,4 % par année d’ici 2030 pour atteindre 49 G $US.

«Les sociétés à l’avantscène de l’industrie des centres de données forment un oligopole entre Amazon Web Services (AWS), filiale d’Amazon (AMZN, 133,26 $US), Microsoft Azure (MSFT, 322,98 $US) et Google Cloud, filiale d’Alphabet (GOOGL, 129,88 $US)», soutient Mathieu Bouthillier.

Ces entreprises, comme tous les autres exploitants de centres de données, ont des objectifs de réduction de coûts et travaillent à la conception de processeurs conçus sur mesure pour leurs infrastructures. Pour y parvenir, elles ont besoin de logiciels spécialisés en design numérique. «De ce côté, deux entreprises, Cadence Design Systems (CDNS, 232,51 $US) et Synopsys (SNPS, 442,24 $US), contrôlent 70% du marché mondial», raconte le dirigeant de B-Cap.

Le gestionnaire de portefeuille dit surveiller ces deux sociétés attentivement, tout en précisant que les titres, bien que de «bonne qualité», sont chèrement évalués. «Mais en Bourse, si tu achètes seulement des actions peu chères, tu te retrouves souvent avec un portefeuille qui ne vaut pas cher», dit-il, ajoutant que même dans l’éventualité où l’environnement économique se détériorait un peu partout dans le monde, les développeurs continueront de travailler sur leurs prochaines itérations de microprocesseurs, ce qui fait que les deux concepteurs de logiciels pourraient tirer leur épingle du jeu.

Il ne faut pas oublier Advanced Micro Devices (AMD, 102,25$US), qui a annoncé en juin dernier le lancement d’un nouveau processeur destiné à l’IA durant le troisième trimestre, qui doit être suivi par le début d’une production de masse au quatrième trimestre.

 

Miser sur les systèmes de refroidissement?

John Plassard pousse la réflexion encore plus loin en affirmant que la construction de cette puissance de calcul a un coût environnemental important. Citant le magazine français Le Big Data, ce dernier soutient que les centres de données produisent 2 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, ce qui est comparable à l’empreinte carbone de l’industrie du transport aérien. Cette proportion pourrait grimper à 14 % d’ici 2040, selon la même publication.

«Plus on a de mégadonnées, plus on a de centres de données, plus il y a un besoin de les refroidir. Dans certains pays, on installe même des centres de données sous l’eau parce qu’il y fait plus frais, plutôt que d’utiliser des climatiseurs qui consomment beaucoup d’énergie. Il s’agit d’une activité lucrative et compétitive», affirme-t-il, rappelant l’importance de trouver rapidement des technologies vertes pour réduire la dépendance de l’industrie aux énergies fossiles.

De ce côté, John Plassard estime que les entreprises Schneider Electric (SU, 156,52 euros, Bourse de Paris) et Vertiv Holdings (VRT, 37,50 $US) sont à considérer, tout comme la danoise Asetek A/S (ASTK, 8,68 couronnes norvégiennes, Bourse d’Oslo) et la suédoise Munters Group AB (MTRS, 139,00 couronnes suédoises, Bourse de Stockholm).

 

 

CONSEILS DE L’EXPERT

Miser sur les fournisseurs pour éviter les fluctuations liées aux innovations technos

Mathieu Bouthillier, président et gestionnaire de portefeuille, B-Cap (Photo: courtoisie)

«En investissant indirectement dans l’IA par l’entremise des fournisseurs de composants, on ne tente pas de prévoir qui va avoir la meilleure technologie. C’est un peu comme miser sur une entreprise qui vend de l’équipement à toutes les biotechs plutôt que de miser sur une société dont le titre peut bondir de 1000 % si elle trouve la bonne molécule, mais plonger de 90 % si les travaux de recherche sont infructueux.»

 

 

Les titres à mettre sur votre radar

Advanced Micro Devices (AMD, 102,25 $US)

Alphabet (GOOGL, 129,88 $US)

Amazon (AMZN, 133,26 $US)

Applied Materials (AMAT, 144,36 $US)

Asetek A/S (ASTK, 8,68 couronnes norvégiennes, Bourse d’Oslo)

ASML Holding (ASML, 651,01 $US)

Broadcom (AVGO, 851,82 $US)

Cadence Design Systems (CDNS, 232,51 $US)

Marvell Technology (MRVL, 53,50 $US)

Microsoft (MSFT, 322,98 $US)

Munters Group AB (MTRS, 139,00 couronnes suédoises, Bourse de Stockholm)

Nvidia (NVDA, 460,18 $US)

Schneider Electric (SU, 156,52 euros, Bourse de Paris)

Synopsys (SNPS, 442,24 $US)

Taiwan Semiconductors Manufacturing Company (TSM, 93,10 $US)

Vertiv Holdings (VRT, 37,50 $US)