Le projet de règlement sur les services numériques vise à obliger les mastodontes comme Google, Facebook et Amazon à s'attaquer aux contenus illicites en ligne et à contrôler les biens vendus sur leurs plateformes. (Photo: 123RF)
Strasbourg — Des obligations et interdictions nouvelles imposées aux géants du numérique pour limiter leurs abus de pouvoir: le Parlement européen a approuvé mardi à une écrasante majorité la grande régulation de l’UE pour mettre fin aux zones de non-droit sur internet.
La nouvelle législation a déjà fait l’objet d’un accord au printemps entre les colégislateurs et devra encore recueillir l’aval définitif des États membres la semaine prochaine. Pionnière à l’échelle mondiale, elle pourrait inspirer d’autres pays, dont les États-Unis.
Elle se compose de deux textes présentés par la Commission en décembre 2020.
D’une part, un règlement des marchés numériques (DMA) qui doit endiguer les pratiques anticoncurrentielles des GAFAM — Google, Apple, Meta (Facebook), Amazon et Microsoft.
D’autre part, un règlement des services numériques (DSA) dont l’objectif est de réguler les contenus en ligne en contraignant les grandes plateformes à respecter les lois et à coopérer avec les régulateurs.
Le premier a été approuvé par 588 voix (11 contre, 31 abstentions) et le deuxième par 539 voix (54 contre, 30 abstentions) lors d’un vote des eurodéputés en séance plénière à Strasbourg.
«Il y aura un avant et un après DSA et DMA», a promis le commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton, initiateur des textes avec sa collègue à la Concurrence, Margrethe Vestager. «Beaucoup pensaient que la régulation prendrait des années ou bien serait impossible, trop compliquée, le lobby trop fort…», a-t-il fait valoir.
«Nous avons repris le contrôle de la technologie. Il était temps», s’est réjouie l’eurodéputée danoise Christel Schaldemose (S&D, sociaux-démocrates).
Recrutements à Bruxelles
Mais l’Allemand Andreas Schwab (PPE, droite), rapporteur du DMA, a prévenu que le succès des nouvelles règles dépendrait des moyens octroyés à l’exécutif européen, désormais investi de pouvoirs de régulation. Il faut «que la Commission recrute suffisamment de personnel», a-t-il commenté sur Twitter.
Cette inquiétude a été relayée tant par les organisations de consommateurs (BEUC) que par le patronat européen (Business Europe) qui saluent la nouvelle législation.
En réponse, Thierry Breton a annoncé le recrutement de 100 experts à plein temps d’ici à 2024 et la création d’un centre européen de haut niveau sur la transparence des algorithmes.
Le DMA marque un changement de philosophie dans la lutte contre les abus des grandes plateformes.
Après des années à courir en vain après leurs infractions dans des procédures judiciaires interminables, Bruxelles veut agir en amont, en leur imposant des règles à respecter sous peine d’amendes dissuasives. Objectif: agir avant que les comportements abusifs n’aient détruit la concurrence.
La législation établit un contrôle de Bruxelles sur chaque opération de rachat de ces géants, quelle que soit la taille de la cible.
Google se verra interdire tout favoritisme envers ses propres services dans les résultats de son moteur de recherche, comme il a été accusé de le faire avec son site de vente en ligne Google Shopping.
La nouvelle loi empêchera également Amazon d’utiliser les données générées sur ses sites par des entreprises clientes pour mieux les concurrencer.
«Règles complexes»
Le deuxième volet, le DSA, entend mettre fin aux dérives des réseaux sociaux qui ont souvent défrayé la chronique: assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty en France après une campagne de haine en octobre 2020, assaut de manifestants sur le Capitole aux États-Unis en janvier 2021 en partie planifié grâce à Facebook et Twitter…
Le texte concerne aussi les plateformes de vente envahies de produits contrefaits ou défectueux, qui peuvent s’avérer dangereux à l’instar de jouets d’enfants ne respectant pas les normes de sécurité.
Le nouveau règlement imposera le retrait rapide de tout contenu illicite (selon les lois nationales et européennes) dès qu’une plateforme en aura connaissance. Il contraindra les réseaux sociaux à suspendre les utilisateurs violant «fréquemment» la loi.
Le DSA obligera les sites de vente en ligne à contrôler en amont l’identité de leurs fournisseurs.
Il impose aux «très grandes plateformes», celles comptant «plus de 45 millions d’utilisateurs actifs» dans l’UE, d’évaluer elles-mêmes les risques liés à l’utilisation de leurs services et de mettre en place les moyens appropriés pour retirer des contenus problématiques. Elles se verront imposer une transparence accrue sur leurs algorithmes et seront auditées une fois par an par des organismes indépendants.
«Le moment de vérité pour le DSA, ce sera sa mise en œuvre» par les entreprises, a averti l’association CCIA, lobby des géants de la tech, s’interrogeant sur leur capacité à appliquer «ces règles complexes».