(Photo: Getty Images)
CHRONIQUE. C’est grâce en bonne partie aux médias sociaux que des milliers de voyous ont attaqué le Capitole, le 6 janvier dernier, à Washington. Jamais un tel sacrilège n’aurait pu être imaginé il y a à peine quelques mois.
C’est certes à cause du charisme de Donald Trump, mais aussi grâce à la puissante capacité de mobilisation des médias sociaux que le président déchu a pu réunir la coalition de militants loyaux, d’activistes d’extrême droite, de complotistes et d’autres cerveaux brûlés qui ont pris d’assaut le temple de la démocratie américaine afin de faire avorter la confirmation par le Congrès du résultat des votes des grands électeurs, conformément à la Constitution américaine. Par ailleurs, conscients des dégâts et des risques pour la démocratie que l’utilisation malsaine de leurs plateformes a provoqués, les dirigeants de Twitter, de Facebook et d’autres médias sociaux ont vite interdit leur usage au président et à des milliers d’autres propagateurs de faussetés et d’incitation à la violence.
À première vue, on peut se réjouir de ces décisions, mais ne doit-on pas se questionner sur le fait que des sociétés privées puissent exercer un tel contrôle sur l’information? Autre particularité, les médias sociaux ne sont pas imputables pour les contenus que des tiers mettent sur leur plateforme, contrairement aux médias conventionnels, qui peuvent être poursuivis pour des propos de tierces personnes qu’ils diffusent.
En effet, parce qu’ils sont des conduits et non de vrais médias, les Facebook, Google et autres plateformes de ce genre peuvent diffuser sans contrainte véritable des mensonges, des propos haineux, de la pornographie, etc. Interpellés à quelques reprises par le Congrès en raison du coût social de ces abus, les dirigeants de ces plateformes se sont contentés de présenter des excuses et ont promis de mieux surveiller leurs contenus, mais sans obtempérer véritablement. L’insurrection récente changera peut-être la donne.
Puissants et dangereux Pourtant, l’instrumentalisation de ces plateformes dans le saccage du Capitole a prouvé qu’elles sont une arme puissante et vraiment dangereuse si elles sont utilisées à mauvais escient par des personnes mal intentionnées et immorales ou encore par des leaders populistes et autoritaires désireux d’imposer leurs vues, d’exercer leur autorité et même de prendre le contrôle de leur pays.
Chez nous, où 20 % des participants à un sondage CROP pour le Centre d’études sur les médias ont révélé croire à des affirmations douteuses du genre de celles que QAnon propage, des citoyens enragés, dérangés et frustrés utilisent les plateformes du Web pour insulter, détruire des réputations, propager des faussetés, tenir des propos haineux contre des élus, des personnalités publiques et des membres de groupes minoritaires. À cause de ce climat pourri et des menaces de mort qu’ils ont reçues, des maires ont décidé d’abandonner la vie politique.
Aux États-Unis, des élus républicains qui osent dénoncer le trumpisme ont renoncé à tenter de se faire réélire pour ne pas avoir à affronter des électeurs qui refusent à débattre d’opinions différentes des leurs. Désespérés et désinformés, ces électeurs s’informent généralement par les médias sociaux, où l’objectivité et les faits véritables font souvent figure de parent pauvre à côté de faits dits «alternatifs», de rumeurs, de théories du complot et d’autres idioties.
Steven Guilbeault en croisade À O ttawa, le ministre du Patrimoine, Steven Guilbeault, a entrepris de surveiller les propos haineux et de réglementer les médias sociaux qui les diffusent. Il entend suivre les recommandations de la Commission canadienne de l’expression démocratique qui propose d’obliger ces plateformes à surveiller leurs contenus, de créer un organisme qui ferait respecter cette obligation et de mettre en place un tribunal qui réglerait les litiges portant sur des contenus préjudiciables. Relativement aux pressions exercées sur son laxisme, Facebook s’est déclarée ouverte à cette démarche.
Selon un sondage fait pour la Fondation canadienne des relations raciales, 80 % des Canadiens appuient l’exigence qui serait faite aux médias sociaux de retirer dans les 24 heures un contenu haineux ou raciste reconnu par un organisme indépendant.
Mieux vaut tard que jamais, mais n’est-il pas étonnant que ces plateformes, qui sont la propriété de multinationales étrangères, n’aient jamais été encadrées, alors que les médias traditionnels à propriété canadienne le soient ? Steven Guilbeault veut aussi s’attaquer à la concurrence déloyale et aux privilèges fiscaux dont bénéficient Google, Facebook et d’autres multinationales du Web, par rapport aux sociétés canadiennes. À elles seules, Google et Facebook accaparent 80 % des revenus publicitaires en ligne au Canada. Ces deux entreprises utilisent gratuitement les contenus des médias nationaux pour attirer des usagers, obtenir leurs données personnelles, les offrir à des annonceurs et en tirer d’énormes revenus.
Steven Guilbeault entend s’inspirer de l’Australie, qui veut mettre en place un dispositif qui permettra aux médias de négocier un partage des revenus avec les géants du Web, à défaut de quoi l’État prélèvera 10 % de leurs revenus. Google et Facebook ont menacé l’Australie de quitter si on devait en venir là.
Pour donner du poids à son initiative, le ministre a pris contact avec la France, l’Allemagne et la Finlande pour qu’elles se joignent à l’offensive canado-australienne. Si elle tient, cette coalition fera sans doute réfléchir sérieusement les Big Tech avant de quitter ces marchés.
Les initiatives de Steven Guilbeault tranchent avec le laisser-aller des gouvernements précédents. Espérons que le ministre gardera l’appui du gouvernement et que ce dernier aura le temps de légiférer avant les prochaines élections.
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Au moment où ce texte était écrit, le gouvernement Legault s’apprêtait à signer avec Hydro-Québec l’entente qui permettra de réaliser le parc éolien Apuiat, sur la Côte-Nord. Construit au coût de 600 millions de dollars (M$) et ayant une puissance installée de 200 mégawatts, ce parc procurera des revenus de 250 M$à neuf communautés de la nation innue. À l’instar de la paix des braves, qui permet à la nation crie d’obtenir des revenus des aménagements hydroélectriques du bassin de la baie James, l’entente signée avec la nation innue reconnaît le droit au partage des revenus tirés de l’exploitation des ressources des territoires des Premières Nations.
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Alors que le Canada a acheté de quoi vacciner cinq fois sa population et que les pays riches se gargarisent de belles promesses d’aide aux pays moins développés, la bataille pour les achats de vaccins se livre aux dépens de ceux qui ont moins d’argent pour s’en procurer. Selon l’Organisation mondiale de la santé, seulement 20% de la population des 92 pays participants au programme d’aide COVAX pourra être vaccinée d’ici la fin de 2021.
Mieux vaut tard que jamais, mais n’est-il pas étonnant que ces plateformes, qui sont la propriété de multinationales étrangères, n’aient jamais été encadrées, alors que les médias traditionnels à propriété canadienne le soient ?