Protéger les réseaux de télécoms des changements climatiques
Maxime Johnson|Publié le 13 septembre 2023Les feux de forêt historiques de cet été au Canada ont mis à risque de nombreuses infrastructures. (Photo: Ryan Chrisp pour Telus)
TECHNO SANS ANGLES MORTS décortique les technologies du moment, rencontre les cerveaux derrière ces innovations et explore les outils numériques offerts aux entreprises du Québec. Cette rubrique permet de comprendre les tendances d’aujourd’hui afin d’être prêt pour celles de demain.
TECHNO SANS ANGLES MORTS. Des feux de forêt aux inondations printanières en passant par les tempêtes de verglas, les opérateurs de réseaux de télécommunications doivent de plus en plus souvent faire face à des événements météorologiques extrêmes. Le premier vice-président, Réseaux de Telus Nazim Benhadid partage comment ses équipes affrontent les changements climatiques.
Plus de 110 millions de dollars: voilà combien d’argent l’opérateur Telus a dû débourser au cours des cinq dernières années pour réagir aux changements climatiques, que ce soit en investissant dans des tours de téléphonie cellulaire à énergie solaire, en soulevant des installations dans des zones sujettes aux inondations ou en ajoutant de la redondance au réseau dans les endroits à risque. «Et ça va coûter de plus en plus cher», prévient Nazim Benhadid.
Une lutte à l’année
«Affronter les événements météorologiques extrêmes, c’est un travail qui se fait à l’année», lance celui qui est responsable de tout ce qui touche aux réseaux de l’opérateur canadien, de leur planification à leur déploiement. Si ses équipes ont eu un été chargé avec les feux historiques et les inondations au pays, celles-ci avaient au moins des plans bien établis.
«Après chaque événement, on met à jour nos playbooks, et on se demande ce qu’on pourrait faire de différent», illustre Nazim Benhadid. Ses équipes vont par exemple aussi remplir les génératrices dans les tours de communications qui en sont dotées avant les tempêtes hivernales, et émonder des arbres autour des fibres optiques avant la saison des feux.
«L’un des gros changements pour nous cette année est qu’on a parfois eu à faire face à plusieurs événements en même temps. C’est quelque chose sur lequel il faudra se pencher pendant les prochains mois», prévoit-il.
Cellule de crise
Pendant les événements graves, plusieurs efforts sont déployés notamment pour protéger le réseau et assurer la connectivité dans les endroits les plus importants. «Si on voit qu’un hôpital ou un poste de police est dans une zone à risque, par exemple, on va déployer des sites cellulaires mobiles», note Nazim Benhadid. Ces tours placées sur des remorques peuvent couvrir de grandes superficies, et être reliées au reste du réseau par un lien micro-ondes.
L’entreprise peut aussi déployer des réseaux mobiles, par exemple dans les zones forestières où les pompiers combattent les incendies. «Même si ces sites sont reliés à un réseau satellitaire, ils permettent aux travailleurs d’utiliser leur téléphone personnel», explique-t-il.
Le premier vice-président, Réseaux de Telus Nazim Benhadid (Photo: Melany Bernier)
Lors des feux de forêt, la collaboration est d’ailleurs étroite entre les services d’urgence, les opérateurs et les fournisseurs d’électricité comme Hydro-Québec. «Pour les communautés, un réseau de télécommunications est équivalent à l’eau courante», estime Nazim Benhadid.
Certains secteurs importants, entourant par exemple une fibre optique qui dessert une grande région à elle seule, ou une tour cellulaire près d’une communauté, peuvent donc être protégés prioritairement, en faisant du débroussaillage d’urgence ou encore en utilisant des retardateurs de flamme.
«Et ça fonctionne: parfois, après un feu, on va voir une forêt complètement dévastée, mais avec une petite zone intacte, le long d’une fibre optique ou autour d’une tour de communications cellulaires», explique le vice-président. Plusieurs sites auraient été sauvés des flammes cet été, selon Telus.
Telus n’est évidemment pas le seul opérateur de services de télécommunications aux prises avec les changements climatiques. En 2022 seulement, les conditions météorologiques extrêmes ont par exemple coûté 27 millions de dollars à Bell. Plusieurs mesures ont été mises en place par l’entreprise à la suite du passage de l’ouragan Fiona, comme une amélioration des processus d’approvisionnement en carburant et l’installation de génératrices permanentes supplémentaires.
Une planification à long terme
Même si ses équipes améliorent leurs tactiques année après année, les problèmes reliés aux changements climatiques s’empirent. «On regarde des événements qui arrivaient tous les 100 ans, aujourd’hui, ils arrivent tous les 10 ans. Il faut planifier en conséquence», explique Nazim Benhadid.
L’opérateur installe donc de plus en plus souvent des génératrices permanentes sur ses sites, et finance différentes entreprises qui œuvrent dans le domaine. Le Fonds pollinisateur de Telus a par exemple investi cet été dans Flash Forest, une entreprise ontarienne qui utilise des drones pour reboiser les forêts.
Ses équipes planifient évidemment aussi en fonction des changements climatiques lorsqu’ils déploient de nouveaux réseaux, en analysant par exemple non pas seulement les zones inondables actuelles, mais aussi les prévisions pour les 100 prochaines années.
S’il est bien équipé pour les prévisions à court terme, Nazim Benhadid avoue qu’il aimerait être mieux outillé pour les analyses de plus longue durée. «On a tendance à planifier en fonction des scénarios médians quand on prévoit les effets des changements climatiques. Mais j’aimerais pouvoir jouer avec la sensibilité des prévisions. Si on se rend compte qu’avec juste un peu plus d’investissements, on serait beaucoup plus protégés contre les risques des changements climatiques, ça vaudrait probablement la peine de le faire. C’est quelque chose qu’on analyse déjà, mais je ne suis pas encore pleinement satisfait de nos outils», avoue-t-il.
Les opérateurs de réseaux cellulaires sont aux premières loges pour constater les effets des changements climatiques. «On le voit un peu plus que les autres, car on est directement touchés, note Nazim Benhadid. Mais c’est un défi de société. Chaque entreprise doit en faire plus, par exemple en améliorant son bilan carbone. On ne peut pas seulement laisser ça au gouvernement et aux citoyens».