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Réglementation MiCA: comment construire un nouveau monde avec de vieux outils?

François Remy|Mis à jour à 17h28

Réglementation MiCA: comment construire un nouveau monde avec de vieux outils?

Claire Balva est experte en chaîne de blocs, autrice-conférencière et vice-présidente de la stratégie chez Deblock, la néobanque crypto créée en France par des ex-cadres de Revolut et Ledger. (Photo: LinkedIn)

LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.

LES CLÉS DE LA CRYPTO. Je vous invite cette semaine, en direct de Bruxelles, à prendre le temps de la réflexion sur une actualité européenne aussi déterminante qu’insoupçonnée. Il ne s’agit pas de commenter ici le glissement du pays des Lumières vers un obscur illibéralisme, au lendemain d’élections législatives qui ont porté aux nues la droite radicale française. Il n’est pas non plus prévu de pérorer sur le championnat majeur du ballon rond se tenant en Allemagne, même si les Bleus rencontrent aujourd’hui les Diables rouges.

Non, penchons-nous sur un détail de taille, car une nouvelle réalité économique a émergé dimanche dans une insouciance générale: la mise en application ce 30 juin d’un cadre légal avant-gardiste pour le marché des cryptoactifs dans toute l’Union européenne, la réglementation MiCA pour les stablecoins. Pesant ensemble un peu moins de 200G$ dans l’écosystème du bitcoin, ces monnaies numériques dites stables sont dites stables, car leur fonctionnement repose sur la représentation sur blockchain d’un sous-jacent moins volatil tel que le dollar.

J’ai eu la chance, pour les besoins d’un article dans la presse belge, d’aborder les enjeux d’un marché unique de la crypto pour 450 millions de consommateurs européens avec Claire Balva, experte en chaîne de blocs, autrice-conférencière et vice-présidente de la stratégie chez Deblock, la néobanque crypto créée en France par des ex-cadres de Revolut et Ledger.

Cet échange a produit bon nombre d’interrogations sur ces nouvelles règles pourtant censées clarifier la situation et faire de l’UE le premier marché régulé des actifs numériques.

Période d’incertitudes au nom de la protection des consommateurs

Ce nouveau règlement européen place la barre haut en exigeant des jeunes entreprises émettrices de stablecoins de se conformer aux standards de gestion, de gouvernance, de solvabilité dignes de l’industrie bancaire post-crise des subprimes.

Mais le sort réservé aux acteurs crypto ne se pliant pas encore au cadre reste une grande énigme. L’accès aux stablecoins récalcitrants, à l’instar du chef de file mondial, l’USDT, dont la capitalisation de marché dépasse les 100G$ et dont l’émetteur Tether estime inopportune la conformité, devrait être coupé aux Européens. Quand? Comment? Sous le contrôle effectif de quelle entité? Sous quel risque de représailles? Nul ne le sait véritablement à l’heure actuelle. Même les régulateurs internationaux n’ont pas fourni de ligne de conduite.

Les entreprises émettrices de cryptos stables ne possèdent pas l’unique responsabilité de l’accès régulé depuis l’Europe. Les plateformes d’échanges sur lesquelles les investisseurs transigent, conservent ou convertissent ont un rôle et devraient mécaniquement se prêter aux nouvelles règles.

Les banques à la rescousse?

Se pose alors plus largement la question sur la manière dont l’Europe va gérer ce nouveau marché des cryptos stables. Car la place était jusque-là dominée par les stablecoins dollar émis et distribués par des entreprises principalement établies aux États-Unis ou surtout hors UE. Installer un cadre réglementaire contraignant va-t-il automatiquement créer un appel d’air qui sera comblé par des stablecoins euro ou «fabriqués en Europe»?

Des entreprises américaines, comme Circle dont le stablecoin dollar, l’USDC, vaut quelque 30G$, ambitionnent de jouer la carte européenne avec leur version tokenisée de l’euro.

« Les banques, qui ont cet avantage réglementaire parce qu’elles ont déjà les licences nécessaires, vont probablement se lancer dans la course et commencer à émettre ces stablecoins », m’a indiqué Claire Balva dans un exercice d’anticipation.

On sent naturellement l’empreinte de l’industrie bancaire historique dans ce règlement MiCA, très inspiré par la finance traditionnelle. Est-ce réaliste et souhaitable de vouloir créer une nouvelle économie avec les outils de l’ancien monde ?

D’ailleurs, aussi innovante qu’elle se veut, la réglementation MiCA rate déjà plusieurs cibles. La plupart des stablecoins décentralisés, qui ne sont pas émis par des entreprises, mais des structures de type DAO, lui échappent. Leurs réserves sont basées sur des crytpos stables centralisés qui ne sont pas nécessairement régulés.

L’expérience utilisateur, un angle mort ?

Il ne faut pas seulement que les stablecoins plaisent aux régulateurs mais aussi, et avant tout, aux utilisateurs. Existe-t-il des stablecoins euro ou dollar déjà conformes aux règles de l’Europe qui soient solides, liquides, accessibles aisément sur les exchanges ?

Difficile de prédire quel stablecoin va émerger comme favori, d’autant que la réglementation ne se montre fondamentalement pas favorable.

Si elles valident en soi l’utilité, sinon sociale à tout le moins mercantile, des cryptomonnaies, les 400 pages du règlement MiCA ne constituent pas une lettre d’amour aux technologies popularisées par Bitcoin. Et certainement pas en faveur des stablecoins en Europe. Faut-il rappeler que c’est le prototype crypto de Facebook qui avait électrochoqué la conscience des décideurs politiques ?

« À la lecture de MiCA, on perçoit la volonté de limiter au maximum les stablecoins, de les cadrer le plus possible, pour que si jamais il y en a, ils soient à la merci de la Banque centrale européenne. L’institution monétaire peut, en cas de volumes journaliers jugés trop importants, interrompre le projet en claquant des doigts », analyse l’experte.

L’euro numérique, le seul véritable stablecoin pour l’UE?

Faut-il voir dans MiCA, modèle d’encadrement des cryptos pour les juridictions du monde, de l’interventionnisme pour tailler le marché sur mesure pour l’euro numérique à venir ?

« Cela peut être l’une des raisons de cette réglementation. On peut supposer que l’Europe a plutôt envie d’avoir un euro numérique fort et pas une myriade de stablecoins qui viennent de l’étranger ou même de l’UE », concède Claire Balva.

« Ceci dit, cela pourrait être une belle solution d’avoir une sorte d’euro numérique distribué sous forme de stablecoin euro par les plateformes ou les banques commerciales, en tout cas des entités régulées. Une belle solution au sens technique du terme. Cela pose évidemment toute une série d’autres questions, sur le plan de la vie privée notamment. Une offre plurielle de stablecoins, avec plusieurs émetteurs régulés, semble être une alternative plus saine pour le marché qu’un euro numérique, complètement dépendant d’une institution. »

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