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Rémi Marcoux: «Pas question de laisser mourir Les Affaires!»

Les Affaires|Édition de février 2024

Rémi Marcoux: «Pas question de laisser mourir Les Affaires!»

«Mon objectif, avec l’acquisition du journal «Les Affaires», c’était de produire un journal qui, en se faisant l’écho des réalisations de nos entreprises, contribuerait à leur essor. Avons-nous été à la hauteur de nos ambitions? Je le crois.» (Photo: courtoisie)

SPÉCIAL 95 ANS D’INNOVATION. La légende veut qu’à l’aube des années 1980, la toute jeune PME qu’était Transcontinental (aujourd’hui TC Transcontinental) rachète un journal déficitaire alors vieux de 50 ans. Le portrait est sombre: la publication doit 60 000$ à l’imprimeur, les prêteurs se font timides et les employés n’ont pas reçu de paie depuis trois semaines. Qu’importe. Rémi Marcoux flaire la bonne affaire.

 

Les Affaires — Vous avez racheté le journal Les Affaires, alors sur le bord de la faillite, trois ans après avoir fondé Transcontinental. Qu’est-ce qui vous a convaincu de faire cette acquisition?

Rémi Marcoux: Il faut se rappeler le contexte. Nous sommes à l’aube de la percée des premières grandes entreprises du Québec inc. Les quotidiens commencent à y consacrer des sections régulières, mais qui se limitent généralement à des colonnes de cotes boursières accompagnées de quelques courts articles. Diplômé de HEC Montréal, j’étais convaincu que de plus en plus de gens s’intéresseraient à l’économie. Il y avait donc de la place sur le marché pour une bonne publication afin de soutenir le développement de nos entreprises et fournir une information de pointe aux lecteurs. Il n’était pas question de laisser mourir notre seul journal francophone à caractère économique! J’en faisais une affaire de fierté. J’ai rencontré le fils du propriétaire qui venait de décéder et lui ai dit: «J’achète le journal, j’efface ta dette auprès de notre imprimerie et paie ce que tu dois en arrérages à tes employés.» Soulagé, il a accepté sur-le-champ.

 

L. A. — En 2013, vous racontiez qu’au moment de l’acquisition, vous étiez prêt à «tomber dans le rouge» jusqu’à 400 000$» pour relancer le journal. Quels étaient les défis qui se dressaient devant vous?

R.M. : J’étais conscient depuis le jour 1 que la relance demanderait beaucoup de patience, de persévérance et… de gros sous. Nous partions de tellement loin! Le journal ne traitait pas suffisamment des entreprises québécoises. On se contentait surtout d’y reproduire des communiqués de presse et de publier de longs textes d’universitaires. Tout de suite après l’acquisition, nous nous sommes retrouvés sans rédacteur en chef ni journaliste. Ils m’avaient fait savoir leur désaccord avec la nouvelle orientation du journal que je leur avais présentée. Ils ont démissionné. Je me disais que de toute façon, ces gens-là auraient fini par quitter. Il n’en demeure pas moins que notre relance était tout un défi!

 

L. A. — Aviez-vous toujours eu l’intention de vous lancer dans les produits médiatiques? Est-ce que ç’a toujours fait partie de la vision que vous aviez de ce qu’allait devenir Transcontinental?

L. A. — Aviez-vous toujours eu l’intention de vous lancer dans les produits médiatiques? Est-ce que ç’a toujours fait partie de la vision que vous aviez de ce qu’allait devenir Transcontinental?

R.M. : C’est une question complexe. Au moment de l’acquisition du journal Les Affaires, mes deux associés et moi étions entièrement concentrés à lancer nos activités d’impression et de distribution de porte en porte de matériel publicitaire. Nos projets d’expansion nous coûtaient beaucoup d’argent. Mais à notre usine de Saint-Laurent, nous côtoyions tous les jours les éditeurs des journaux de quartier que nous imprimions et étions sensibilisés par eux à la réalité et aux défis de l’industrie. Nous avions même acquis un journal de quartier en faillite technique, Contact-Laval. Nous imprimions aussi le quotidien Le Jour. Ajoutez à cela que comme chef de l’exploitation à Québecor au début des années 1970, j’avais eu à m’occuper, en plus des imprimeries, de ses deux quotidiens,

Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec. C’est donc un univers que je connaissais suffisamment, et que je respectais. Alors, il ne s’agissait pas d’un saut dans l’inconnu ou contre nature pour moi. Est-ce que je l’envisageais si tôt? Sûrement pas. Mais quand une occasion se présente en affaires, il faut être capable de réagir vite. Avec l’acquisition du journal Les Affaires et d’un petit magazine, SIC, qui deviendra Les Affaires Plus, c’est donc par la presse économique et financière que Transcontinental a fait son entrée dans l’industrie des médias. Un créneau embryonnaire dont nous deviendrons le leader au Québec et dans lequel

Les Affaires continue de rayonner sur plusieurs plateformes, au sein d’une nouvelle entreprise, Groupe Contex, qui appartient à mon fils Pierre. Et j’en suis très fier.

 

L. A. — En peu de temps, le journal est devenu un incontournable dans le monde des affaires. Quelle a été, selon vous, la recette de ce succès?

R.M. : Je voulais un journal moderne, professionnel, représentatif du milieu des affaires et au contenu bien étoffé. Mais en affaires, une raison d’être n’est pas suffisante si elle n’est pas soutenue par des leaders qui partagent les mêmes valeurs, dont le travail d’équipe, et possèdent eux-mêmes un fort esprit entrepreneurial. Même si c’est un mot que je n’aime pas, je dirais que ce serait ça, la «recette» que j’ai suivie tout au long de ma carrière. Dans ce cas-ci, il me fallait trouver l’éditeur assez audacieux pour risquer l’aventure dans une publication alors sans notoriété, et au sein d’une toute jeune entreprise. Rosaire Morin, un éditeur du milieu, a accepté de me donner un coup de main à court terme. Entre-temps, j’ai réussi à convaincre le fondateur du journalisme économique au Québec, Claude Beauchamp, à se joindre à l’aventure. C’est Claude qui avait mis sur pied à La Presse dans les années 1970, la première véritable section économique dans un quotidien. Il a accepté de quitter Le Soleil, où il poursuivait sa carrière comme rédacteur en chef et éditeur adjoint. Il en fallait, du courage et une bonne dose de vision! Il a monté une équipe de grande qualité autour de lui: Rosaire Mailloux à la publicité, Michel Lord, Serge Therrien… Un nom ressort: celui de Jean-Paul Gagné, qu’il est allé chercher au Soleil et qui dirigera et incarnera Les Affaires pendant plus de 30 ans. Il en est d’ailleurs toujours un collaborateur important. Quand Claude a quitté Transcontinental, en 1990, le journal Les Affaires était devenu le premier hebdomadaire économique francophone en Amérique du Nord.

 

L. A. — Comment avez-vous convaincu Claude Beauchamp de se joindre à vous?

R.M. : Ce qui a joué en ma faveur, c’est que son intérêt pour Les Affaires ne datait pas de la veille. Il y avait travaillé tout en poursuivant ses études de droit. Il m’a signifié vouloir être actionnaire, ce que j’ai accepté, conditionnel à la réalisation d’objectifs financiers qu’il a constamment dépassés. C’était un pacte entre deux entrepreneurs. Ce sera le début d’une fructueuse collaboration qui s’étendra sur dix ans. En cours de route, Claude deviendra le premier président de notre secteur des médias dont il jettera les bases à partir de nos publications économiques. Au milieu de la décennie 2000, Transcontinental formera le quatrième groupe de presse écrite au Canada. Une belle aventure commencée un jour de 1979 avec l’acquisition du journal Les Affaires.

 

L. A. — Pourquoi la liberté éditoriale était-elle fondamentale d’après vous?

L. A. — Pourquoi la liberté éditoriale était-elle fondamentale d’après vous?

R.M. : La croissance de Transcontinental dans toutes ses activités a toujours reposé sur l’esprit d’initiative de ses dirigeants. Nous recherchions des entrepreneurs, des dirigeants avec de bonnes valeurs et un bon jugement, et nous leur laissions la marge de manœuvre qui va avec. En matière éditoriale, après s’être entendu sur les grandes lignes, sur la philosophie du journal ou de nos publications, il en était de même.

 

L. A. — Quel est, selon vous, le rôle qu’a joué le journal au cours de l’essor du Québec inc. dans les années 1980?

R.M. : Mon objectif, avec l’acquisition du journal Les Affaires, c’était de produire un journal qui, en se faisant l’écho des réalisations de nos entreprises, contribuerait à leur essor. Un journal dans lequel elles trouveraient l’information pertinente pour poursuivre leur croissance. Un journal rassembleur et stimulant auquel elles s’identifieraient. Et qui fourniraient une information économique et financière de grande qualité à nos lecteurs. Avons-nous été à la hauteur de nos ambitions? Je le crois. Combien de fois, au hasard d’une rencontre, des gens d’affaires sont venus me dire leur intérêt pour notre journal ou simplement leur fierté d’avoir été cités dans un article!

 

L. A. — En 2024, quel est, selon vous, le rôle d’un média comme Les Affaires pour l’écosystème québécois? En quoi diffère-t-il de celui qu’il avait au moment où vous en avez repris les rênes en 1979?

R.M. : Les technologies évoluent, les outils se multiplient, les mentalités changent. Mais en affaires, les grands principes demeurent: se réinventer constamment, être à l’affût des tendances et satisfaire les nouvelles habitudes des consommateurs. Il faut continuer à se servir de la crédibilité unique de la marque Les Affaires, édifiée patiemment au fil des ans, pour répondre aux besoins des gens d’affaires du Québec, que ce soit par le site web lesaffaires.com, qui véhicule et analyse l’actualité en temps réel, par des conférences d’envergure destinées à répondre à des préoccupations et des enjeux importants, par des salons ou encore grâce à des offres marketing originales. L’équipe d’aujourd’hui continue de combler les nombreux besoins de ses audiences et partenaires d’affaires. Je suis content qu’elle mette de l’avant une culture entrepreneuriale. Tout cela me semble bien engagé et me rend très confiant en l’avenir.

 

L. A. — Étant l’un des grands bâtisseurs du Québec inc., quel message souhaitez-vous transmettre aux jeunes entrepreneurs? Quel est le secret de la pérennité en affaires?

L. A. — Étant l’un des grands bâtisseurs du Québec inc., quel message souhaitez-vous transmettre aux jeunes entrepreneurs? Quel est le secret de la pérennité en affaires?

R.M. : Il existe tellement d’outils de formation destinés aux jeunes entrepreneurs aujourd’hui. Je pense entre autres au Parcours Rémi-Marcoux de HEC Montréal, un programme d’incubation qui permet à de jeunes entrepreneurs d’acquérir des connaissances et des outils afin de démarrer ou de développer un projet technologique à fort potentiel de croissance. Mais au-delà de toute l’aide qui existe, je dirais ceci: aucune entreprise n’a de raison d’être si elle ne découvre pas de nouvelles façons de mieux servir les clients. On ne se lance pas en affaires pour imiter ce qui s’y fait déjà. Une fois cette raison d’être définie, sa réputation devient l’actif le plus important. L’intégrité est donc une valeur fondamentale. Comme je l’ai déjà mentionné, il faut aussi s’entourer de leaders forts. Et y mettre le temps. Rome ne s’est pas faite en un jour. Dans vos décisions quotidiennes, ne perdez jamais de vue le long terme.

 

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Un peu d’histoire…

Rémi Marcoux est originaire de Saint-Elzéar-de-Beauce, au Québec. Avec ses partenaires Claude Dubois et André Kingsley, il fonde Transcontinental en 1976. En 1979, il rachète Les Affaires et lui donne un nouveau souffle. Il a été nommé membre de l’Ordre du Canada en 2007 et admis officier de l’Ordre national du Québec en 2008.

 

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