Rémunération des médias: Facebook fera des «tests au Canada»
La Presse Canadienne|Publié le 25 mai 2021Facebook Canada refuse de révéler la valeur totale estimée des ententes, invoquant des raisons de confidentialité. (Photo: La Presse Canadienne)
Tandis qu’Ottawa s’apprête à légiférer pour forcer les géants du numérique à rémunérer les éditeurs de presse, Facebook a annoncé mardi avoir conclu des ententes avec une série de médias canadiens afin de tester une façon de payer pour certains contenus publiés sur sa plateforme.
Les éditeurs participants seront rémunérés «pour qu’ils puissent créer des liens vers des articles supplémentaires qui ne sont pas encore publiés» sur le réseau social, a indiqué une firme de relations publiques embauchée par Facebook Canada dans un courriel transmis à La Presse Canadienne.
Concrètement, les médias ne recevront pas de rémunération pour les textes consultés par l’entremise de leur page publique de Facebook, mais uniquement pour les clics sur des contenus publiés sur des sections dédiées de la plateforme, comme celles relatives à la COVID−19 et aux changements climatiques. Facebook Canada n’exclut pas de créer de nouvelles sections au cours des prochaines années.
Le Devoir et la CN2i – qui possède Le Soleil, Le Nouvelliste, La Tribune, La Voix de l’Est, Le Droit et Le Quotidien – sont les principaux médias québécois participant au «News Innovation Test». Ailleurs au pays, Facebook Canada s’est entendu avec FP Newspapers, qui publie notamment le Winnipeg Free Press.
Le projet−pilote permettra à Facebook de se «rapprocher encore plus des éditeurs pour les aider à construire des modèles économiques durables», a indiqué Kevin Chan, directeur mondial et chef des politiques publiques pour le Canada, dans une déclaration écrite.
Facebook Canada refuse de révéler la valeur totale estimée des ententes, invoquant des raisons de confidentialité.
Pour le directeur général du quotidien «Le Soleil», Gilles Carignan, le projet représente «un pas dans la bonne direction». Un avis partagé au quotidien Le Devoir, où le directeur général et éditeur, Brian Myles, estime que Facebook «jette les bases d’une relation de confiance renouvelée» avec les médias traditionnels.
«Le Devoir obtient ce qu’il a toujours demandé au terme d’une négociation équitable, affirme−t−il. L’entente respecte notre modèle d’affaires basé sur l’abonnement et elle est bénéfique pour Le Devoir qui souhaite accroître son lectorat et toucher davantage de Québécoises et de Québécois. D’ailleurs, la redirection de l’ensemble du trafic vers notre plateforme permettra de cultiver la relation avec les utilisateurs.»
Ottawa garde le cap
Bien qu’il se réjouisse des efforts «de compagnies dans la recherche de solutions», le gouvernement Trudeau a réitéré mardi avoir l’intention de déposer «dans les meilleurs délais» un projet de loi pour forcer les géants du numérique à partager leurs revenus publicitaires avec les médias d’information canadiens.
«Nous croyons toujours qu’il est nécessaire d’établir un cadre de rémunération durable, équitable et cohérent pour tous les éditeurs au pays, quelle que soit leur taille ou l’endroit où ils opèrent au Canada», a soutenu le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, dans une déclaration écrite transmise à La Presse Canadienne.
Et ce cadre réglementaire sera enchâssé «dans une loi», a−t−il précisé.
À la fin mars, M. Chan avait laissé entendre devant un comité des Communes que Facebook pourrait répéter le «black−out» de nouvelles qu’il a imposé en Australie un mois plus tôt si la législation le pousse à le faire. Le géant numérique avait alors bloqué toutes les actualités sur sa plateforme pendant cinq jours en réponse à une proposition de loi qui l’aurait obligé à payer des redevances aux médias d’information pour les liens vers leurs contenus.
Faire «dérailler» le projet de loi
Ces ententes représentent de l’argent frais pour les médias, mais fournissent aussi des arguments à ceux qui s’opposent au projet de loi fédéral, ce qui pourrait le faire «dérailler», puisque Facebook finance désormais le journalisme, a expliqué un professeur de journalisme à l’École des médias de l’UQAM, Jean−Hugues Roy.
Selon ses calculs, le travail journalistique a permis à Facebook d’engranger environ 210 millions $ en revenus publicitaires au Canada en 2020.
Les 8 millions $ que Facebook Canada planifiait jusqu’à présent dépenser sur trois ans dans des projets liés au journalisme représentent donc 1,27 % des revenus calculés par le professeur Roy.
«L’information rapporte à Facebook, a insisté M. Roy. C’est ce qu’ils n’ont jamais reconnu et qu’ils ne reconnaissent pas. Jamais ils ne vont reconnaître que les contenus journalistiques ont de la valeur pour eux.»
Facebook et Google s’accaparent désormais 80 % des revenus publicitaires au Canada, révèle un rapport de Médias d’Info Canada, réclamant du même souffle d’Ottawa qu’il agisse pour «que les David de ce monde puissent se battre à armes plus égales contre les Goliath».
En ce moment, le ministre Guilbeault tient «un fusil sur la tempe» de Facebook, note M. Roy, avant d’ajouter: «Gardez−le là».
Le professeur estime cependant que le projet de loi longtemps promis ne sera pas déposé avant les prochaines élections fédérales ou qu’il mourra au feuilleton. C’est «très peu probable qu’on voit la couleur de ces redevances−là», a−t−il déploré.
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Facebook finance une bourse d’une valeur d’un million $ qui permet depuis un an l’embauche de 10 journalistes supplémentaires à La Presse Canadienne. Certaines organisations médiatiques qui recevront du financement par l’entremise de ce projet sont des clients de l’agence de presse.