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Selon Cogeco, les règles favorisent Bell, Rogers et Telus

La Presse Canadienne|Publié le 14 février 2024

Selon Cogeco, les règles favorisent Bell, Rogers et Telus

Cogeco présentera, jeudi, ses arguments au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), lors des audiences publiques sur le cadre des services d’accès haute vitesse de gros. (Photo: La Presse Canadienne)

Cogeco aimerait ne plus être contrainte de vendre aux grandes sociétés de télécommunications un accès à son réseau filaire. Prévu pour stimuler la concurrence, le cadre réglementaire canadien aide plutôt les plus gros joueurs de l’industrie, plaide le câblodistributeur montréalais. 

Le cadre réglementaire adopté à la fin des années 1990 pour stimuler la concurrence ne joue plus adéquatement son rôle, affirme le président de Cogeco Connexion, Frédéric Perron, en entrevue.

«Ça a été viré à l’envers, dénonce-t-il. C’est l’inverse qui se produit, où ce sont principalement les gros joueurs, donc les “Big Three”, Bell, Rogers et Telus, qui utilisent ce régime pour augmenter leur dominance sur notre réseau à nous.»

Les trois grandes sociétés de télécommunications représentent près de la moitié de la vente en gros sur le réseau de Cogeco, affirme M. Perron. «Ce régime−là était supposé aider les petits.»

Le phénomène a pris de l’ampleur dans les derniers 12 à 18 mois, observe l’homme d’affaires. «C’était beaucoup plus petit, c’est ce que je peux dire.»

L’industrie a d’ailleurs perdu plusieurs joueurs indépendants dans les deux dernières années. Bell a acquis Ebox et Distributel. Telus a mis la main sur Altima. Cogeco a elle−même consolidé l’industrie avec l’achat d’Oxio.

Cogeco présentera, jeudi, ses arguments au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), lors des audiences publiques sur le cadre des services d’accès haute vitesse de gros.

Le câblodistributeur ne réclame pas la fin des tarifs de gros, qui ont favorisé la concurrence, mais il aimerait que les trois plus grandes sociétés de télécoms ne puissent plus bénéficier du cadre réglementaire. Québecor, qui exploite les marques Vidéotron et Fizz, n’est pas visée par cette requête.

M. Perron trouve inéquitable que les trois grandes sociétés utilisent le réseau d’un joueur régional, comme Cogeco, pour lui faire concurrence. Cogeco n’a pas le choix d’effectuer la vente en gros à un tarif réglementé par le CRTC. «C’est une menace existentielle pour des joueurs régionaux comme Cogeco.»

Le dirigeant ne veut pas dévoiler quel volume représente la vente en gros par rapport à la vente directe aux abonnés pour des raisons concurrentielles, mais il répond qu’il s’agit d’une activité «assez importante». «Des fois, on doit faire de nouveaux investissements, juste pour aider nos concurrents, parce qu’on doit augmenter la capacité de notre réseau parce que leur présence est assez significative sur notre réseau.»

Même si Cogeco est bien connue au Québec, M. Perron souligne que l’entreprise est beaucoup plus modeste que les géants canadiens des télécommunications. Il donne l’exemple de Bell qui a annoncé la mise à pied de 4800 personnes, soit 9% de ses effectifs, la semaine dernière. «Les mises à pied, c’est presque le nombre d’employés total de Cogeco», évoque-t-il.

Invitées à réagir lundi, Bell, Rogers et Telus n’ont pas répondu à nos demandes.

 

Fibre optique 

Cogeco demandera également au CRTC de ne pas être contrainte d’offrir l’accès à son réseau de fibre optique jusqu’au domicile et que cette obligation ne s’applique qu’aux grands joueurs.

Le CRTC a fait un premier pas en novembre dernier avec une décision temporaire avant les audiences de février afin de forcer «les grandes sociétés de télécommunication» à partager leur réseau de fibre optique jusqu’au domicile au Québec et en Ontario.

Cogeco ne veut pas que cette obligation soit étendue à ses activités de manière permanente. Si le CRTC choisit tout de même cette option, Cogeco demande une période d’exemption, le temps de rentabiliser ses investissements.

«Pour ce qui est des nouveaux réseaux de fibre qu’on a bâtis en régions éloignées rurales, qu’on vient juste de bâtir, qu’on n’a pas eu encore notre retour sur l’investissement, de tels développements devraient être exclus du régime pour quelques années.»

Questionné à savoir si Cogeco pourrait réduire ses investissements dans les infrastructures si elle n’est pas satisfaite du cadre réglementaire qu’adoptera le CRTC, M. Perron se montre prudent. «Je ne voudrais pas spéculer parce que ça dépend: ce n’est pas noir ou blanc. Ça dépend de ce sur quoi ils vont statuer, mais possiblement oui.»

 

Un dilemme pour le CRTC 

Pierre Larouche, professeur en droit de la concurrence à l’Université de Montréal, juge que la proposition d’exclure Bell, Rogers et Telus de l’accès au réseau de Cogeco est «raisonnable», mais le CRTC voudra aussi éviter que l’entreprise montréalaise se trouve dans une situation monopolistique dans certaines régions éloignées. «Ce n’est jamais une bonne idée de se trouver avec un seul fournisseur.»

Le CRTC risque d’éprouver un certain dilemme en écoutant les arguments de Cogeco, estime M. Larouche.

«Ce sont des arguments qui sont très difficiles à départager.

«On (le CRTC) ne veut pas dire à Cogeco: “on accepte que vous soyez transformé en un joueur qui fait seulement de la revente en gros”. Il faut garder un certain encouragement pour que Cogeco continue à investir, ça prend des incitatifs.

«D’un autre côté, on ne peut pas non plus dire: “faites ce que vous voulez dans les régions où vous investissez”, nuance le professeur. Donc, vous seriez roi et maître jusqu’à ce qu’un de vos concurrents amène la connexion à la maison de vos clients.»

Une proposition mitoyenne pourrait être d’exclure les grandes sociétés de télécommunications, mais d’offrir la vente en gros aux plus petits joueurs indépendants, avance M. Larouche. «Disons que le dommage pour Cogeco serait moins grand.»

Stéphane Rolland, La Presse Canadienne