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ENTREPRENEURIAT. L’euphorie de la période pandémique est bien loin pour les start-ups québécoises qui ont été frappées de plein fouet par le resserrement du crédit et la hausse des taux d’intérêt.
L’an dernier, seulement 1,8 milliard de dollars ont été récoltés par les entreprises technologiques innovantes d’ici, selon des données de Québec Tech et Dealroom.co. C’est le plus faible total depuis 2016 et deux fois moins qu’en 2022 et 2021 où la barre des 4 milliards de dollars en investissement de capital de risque avait été fracassée.
« Depuis six mois, j’ai parlé à une dizaine de fondateurs qui ont une incapacité de trouver du financement, affirme l’entrepreneur en série PDG de Connect&GO et blogueur pour Les Affaires, Dominic Gagnon. L’écosystème de start-ups ne va pas très bien selon moi. On dirait qu’il y a de moins en moins de création d’entreprise. L’engouement de se lancer et de prendre des risques s’est perdu. »
La PDG d’Anges Québec Geneviève Tanguay reconnaît aussi que le financement se fait rare. « C’est beaucoup plus difficile d’en obtenir, autant pour créer une entreprise que pour poursuivre sa croissance. On était en progression depuis 2009 environ, mais là on a reculé. »
Christine Beaubien, cofondatrice et associée directrice d’Accelia Capital estime que les start-ups qui sont moins avancées en matière de commercialisation ont vraiment de la difficulté à trouver de l’argent. Celles qui allaient bien commencent également à sentir la soupe chaude. « Elles ont étiré leurs liquidités, car elles ne voulaient pas retourner vers le marché des capitaux parce que les valorisations ont baissé, dit-elle. Mais là, cela fait un an et demi que cela se fait. Leur dilemme : essayer d’allonger encore au péril de la croissance ou de plonger avec moins de valorisation et se faire diluer davantage par les nouveaux investisseurs. »
Elle souligne également qu’au niveau commercial, le ralentissement économique nuit aux jeunes pousses, car les grands donneurs d’ordre coupent dans des dépenses moins essentielles. Néanmoins, Christine Beaubien remarque que l’assouplissement du marché de l’emploi a été bénéfique. « On avait auparavant de la difficulté à trouver des employés en technologie, mais c’est maintenant plus facile. Les start-ups arrivent à recruter, car de grandes firmes ont laissé aller de bons développeurs. »
Geneviève Tanguay rappelle que le capital de risque est cyclique. Elle s’attend donc à voir davantage d’argent être investi dans la prochaine année, car certains fonds qui sont restés sur les lignes de touche depuis un an et demi vont devoir déployer leur capital. De plus, la baisse des taux d’intérêt rend plus attrayants les rendements que peuvent procurer les start-ups malgré le risque qu’elles représentent.
Moins de ressources
Pour celles à un stade précoce, ce creux a été exacerbé par une disparition de certaines aides gouvernementales. Par exemple, Martin Enault, entrepreneur en chef du Centech, souligne qu’une enveloppe de 25 000 $ qui servait à soutenir les entrepreneurs dans un programme de propulsion n’existe plus. De son côté, le fondateur et directeur de Distric, 3, Xavier-Henri Hervé, note qu’une subvention pour les voyages a disparu pour les entrepreneurs.
« Il y a moins de fonds pour l’émergence entrepreneuriale, constate Louis-Félix Binette, directeur général du Mouvement des accélérateurs d’innovation du Québec (MAIN). Les fonds pour le prédémarrage ont été mis dans le repreneuriat et pour les start-ups qui ont un produit et qui veulent aller à l’international. C’est une stratégie qui se tient. »
C’est dans cette optique que Québec Tech a vu le jour en juillet. Autrefois appelée Startup Montréal, cette organisation, qui souhaite devenir un centre olympique pour les start-ups les plus prometteuses, a été bien accueillie.
« Je suis assez critique de ce que l’État fait, mais je trouve que les décideurs ont été à l’écoute et ont fait le bon choix avec Québec Tech, affirme David Charbonneau, associé directeur et cofondateur de la firme d’investissement Boreal Ventures. L’environne-ment est plus positif qu’avant. »
Toutefois, certains craignent qu’on néglige ainsi la création de start-ups. « C’est bien d’avoir un centre olympique, mais s’il n’y a personne qui se présente, cela ne donne rien, prévient Xavier-Henri Hervé. Ce sont les meilleurs qui vont créer de la valeur économique, de l’exportation, mais en même temps, il faut alimenter l’entonnoir. »
Cette approche incarnée par Québec Tech vise à faire en sorte que les start-ups les plus performantes croissent plus rapidement et s’imposent à l’étranger.
« Cette stratégie de récolte est bien pour avoir des gagnants, juge Louis-Félix Binette. Est-ce que tu peux faire ce travail de récolte et ne pas travailler dans le jardinage, soit le préamorçage ? À long terme, j’ai des doutes. Ma préoccupation est qu’il faut fédérer les jardiniers, les incubateurs, et continuer à identifier le plus tôt possible les projets porteurs pour s’assurer de fournir les bonnes ressources. »
La décision du gouvernement Legault de concentrer davantage le financement dans certains incubateurs est généralement très bien perçue afin d’éviter l’éparpillement. Toutefois, les milliards de dollars versés à la multinationale suédoise Northvolt font grincer des dents dans le milieu de la start-up.
Où est Québec inc. ?
Depuis une quinzaine d’années, le gouvernement du Québec s’est engagé dans le démarrage d’entreprise et leur croissance. En dix ans, la valeur de l’écosystème technologique québécois a décuplé pour s’établir à environ 95 milliards de dollars cette année, selon Québec Tech et Dealroom.co.
L’État québécois a multiplié ses contributions dans des fonds de capitaux de risque privés ou grâce des investissements réalisés à travers des organisations comme Investissement Québec.
Malgré cette présence étatique importante qui est saluée par l’ensemble des acteurs de l’écosystème de start-ups d’ici, les jeunes pousses font face à deux problèmes structurels.
Le premier est le manque de capitaux privés, un désavantage marqué, surtout comparé à ce qui existe au sud de la frontière ou en Europe.
« Ici, il y a moins d’argent lousse de gens qui ont fait fortune dans la techno, moins d’anges investisseurs, croit Louis-Félix Binette. Les fonds sont plus rares pour explorer, pour faire des prototypes et pour évaluer l’adéquation entre le produit et le marché. Il y a surtout des programmes de 50 000 $ avec plein de paperasse. »
Dominic Gagnon regrette que les tenants de Québec inc. n’appuient pas davantage les start-ups. « On a une aversion au risque au Québec par rapport à l’étranger, déplore-t-il. C’est difficile de financer des idées ambitieuses et innovantes. »
De son côté, l’entrepreneur en série Luc Giguère, qui enseigne à l’Université Laval, se veut moins tranchant. « On est entre l’Europe et les États-Unis, juge-t-il. On prend plus de risque que les Européens, mais moins que les Américains. »
L’autre problème majeur pour les start-ups québécoises est le manque d’appui des grandes entreprises, afin d’essayer leurs technologies et de les aider à les développer.
« Le plus grand défi, c’est de trouver le premier client et ici les grandes entreprises ont tendance à vouloir tester des solutions éprouvées, soutient Patrick D’Astous, associé, secteur des technologies, média et télécommunications pour l’est du Canada, chez EY et professeur à l’ÉTS. Il n’y a pas beaucoup d’incitatifs pour les potentiels clients à réduire leurs risques ou de prendre une chance avec une solution qui est nouvelle. »
Selon lui, subventionner des donneurs d’ordre pour qu’ils essayent des technologies québécoises aurait comme effet de propulser la croissance des start-ups en leur fournissant les premiers revenus si difficiles à toucher tout en accélérant le développement de leur produit.
Le programme Primo-adoptant du gouvernement du Québec vise à atteindre cet objectif. De plus, Québec Tech veut aussi accroître les maillages entre start-ups et grandes entreprises qu’elles soient d’ici ou d’ailleurs.
« La Suède a super bien réussi ça avec son programme Ignite Sweden et on travaille actuellement avec ses dirigeants sur un projet pour tester des initiatives de là-bas afin de créer ces connexions-là ici », mentionne le directeur général de Québec Tech Richard Chénier.
Stimuler l’entrepreneuriat scientifique
Avec ses nombreuses universités, le Québec compte sur un extraordinaire bassin de chercheurs qui peuvent devenir des pépinières d’entreprises innovantes. Xavier-Henri Hervé de District 3 vante les vertus du Programme québécois d’entrepreneuriat scientifique qui incite les universitaires à se lancer en affaires. « La participation a augmenté depuis cinq ans avec ce programme, dit-il. Il y a une force technique qui est de plus en plus présente sur le marché. Il y a quelques années, on avait remarqué que 10 % des chercheurs scientifiques à Boston allaient vers l’entrepreneuriat tandis que c’était moins de 1 % ici. Cela a évolué pour le mieux depuis. »
Malgré deux années difficiles, les acteurs de l’écosystème des start-ups demeurent optimistes quant à la capacité de créer des entreprises innovantes qui percent à l’étranger. Plusieurs ne survivront pas, mais celles qui passeront à travers seront plus résilientes. Cet échec n’est pas négatif selon Patrick D’Astous.
« Comme on dit en anglais : “Fail often and fail early” (“échouez souvent et échouez rapidement”), évoque-t-il. Si tu n’y arrives pas, laisse tomber et recommence. Il faut que notre culture change par rapport à ça, car c’est normal que nos start-ups échouent. »
Les statistiques montrent que les probabilités de réussite sont plus élevées à une deuxième ou troisième tentative. Les start-ups seront-elles en nombre suffisant dans les prochaines années, afin de voir l’innovation fleurir au Québec ?
La patience de l’État et des contribuables ainsi qu’un engagement plus ferme de Québec inc. semblent nécessaires pour que davantage de jeunes pousses sortent de terre.