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Voici pourquoi le Québec a besoin d’un vrai ministre du Numérique

Alain McKenna|Publié le 29 avril 2019

Voici pourquoi le Québec a besoin d’un vrai ministre du Numérique

«Il faudrait que le gouvernement fasse avec les données comme il a fait avec l’hydroélectricité», dit Frédéric Lalonde, fondateur de Hopper. (Photo: courtoisie)

Le jour où Jeff Bezos décide d’étendre la présence de son enseigne Amazon Go à l’ensemble du continent nord-américain, quel effet ça va avoir sur Alimentation Couche-Tard? Les dépanneurs Amazon Go fonctionnent pleinement avec seulement trois employés par succursale. Leur impact est tel que certains États américains, dont le New Jersey, songent à voter des lois interdisant ce type de commerces où tout est automatisé, ou presque.

C’est dire à quel point le secteur du détail est, d’une part, important pour l’économie locale, et d’autre part, mal préparé pour la révolution technologique qui s’en vient. Le Québec, comme on peut l’imaginer, est à la traîne face à tout ça, malgré qu’il possède quelques fleurons bien à lui dans le détail, tous genres confondus : Metro, Simons et Couche-Tard viennent en tête.

«Il y a une menace imminente pour tout ce qui est commerce de détail physique si on n’investit pas massivement dans l’intelligence artificielle. Je crains pour les grandes marques d’ici qui font du commerce mais qui n’investissent pas dans ces technologies simplement parce que le gouvernement n’offre aucun incitatif en ce sens», lance Frédéric Lalonde, qui était de passage la semaine dernière à notre balado Une Tasse de Tech.

«On a prouvé qu’on n’était même pas capable d’imposer une taxe à Netflix. Si on n’a pas réfléchi à long terme comme société, on aura un gros problème», s’indigne-t-il. Alors, la solution, c’est quoi? Que Couche-Tard ou Bombardier se lancent dans le financement de startups?

«Ça prend un ministère des données», assure l’entrepreneur québécois. «Il faudrait que le gouvernement fasse comme il a fait avec l’hydroélectricité, la santé et l’éducation. Il faut considérer l’utilisation et l’accumulation des données numériques de la même façon qu’on considère nos ressources naturelles, et si une entreprise étrangère veut utiliser ces données, qu’elle paie une redevance.»

D’un homme d’affaires à un autre, c’est le genre de projet qui devrait toucher une corde sensible à Québec, où le premier ministre se définit lui-même comme un entrepreneur, même à la tête d’un gouvernement provincial. Le parallèle entre données numériques et hydroélectricité a un double degré de similitudes, puisqu’il s’agit de tourner un objet un peu abstrait en un nouveau secteur économique à croissance rapide.

La question qui tue : est-ce que Frédéric Lalonde a votre vote? (ou pour le dire autrement, est-ce qu’un ministère du Numérique, chose qui existe déjà dans d’autres pays, semble si saugrenu lorsque présenté sous cet angle?)


De l’importance des sièges sociaux locaux

C’est plus qu’une question économique, c’est culturel, aussi. Au Québec, on dit souvent que l’objectif de la plupart des créateurs d’entreprises est de vendre à un plus gros rival américain, puis passer à autre chose. À plus grande échelle, quand on parle d’économie, on le fait à travers le nombre d’emplois créés, perdus ou protégés.

Encore aujourd’hui, quand un studio de jeu vidéo d’installe à Montréal, on le définit par le nombre de postes créés. «On crée des jobs, on paie nos taxes. Et quand on vend, les gens nous félicitent», résume Frédéric Lalonde, qui a vécu cette situation dans le passé.

En 2002, il a vendu sa société, Newtrade Technologies, à Expedia. Pour le site de voyage, le montant ainsi déboursé a été amorti en… douze jours. Créer de la richesse, c’est plus que de créer des emplois. «Si on se concentrait un peu plus sur la création de valeur, on aiderait beaucoup plus l’écosystème. D’où l’importance de vouloir garder ses sièges sociaux ici.»

Seattle est un centre techno en raison de Microsoft. Apple a vu le jour dans la Silicon Valley en raison de l’existence de Hewlett-Packard, et de Xerox avant elle. «Ça nous prend une dizaine de sociétés technos ayant 5000, 10 000, 15 000 professionnels au Canada ou au Québec. Ces jours-ci, on voit des investisseurs et des entrepreneurs qui commencent à avoir une vision comme celle-là.» Avec l’émergence de l’intelligence artificielle, pôle au sein duquel Montréal figure avantageusement, on voit bien que ce changement de culture entrepreneuriale est lié au secteur technologique plus qu’à tout autre.

Après la licorne, le narval…

Dans le monde des startups, la blague veut que le narval soit comme la licorne, à l’exception qu’il est bel et bien réel, et qu’il livre la marchandise. Si on avait à couper les cheveux (ou les poils de licorne) en quatre, on pourrait dire que les entreprises technos qui entrent en Bourse ces jours-ci, incluant la montréalaise Lightspeed, sont donc passées du statut chimérique de cheval magique à celui sensiblement plus concret d’animal exotique mais existant réellement.

En termes d’investissement, une licorne est une jeune entreprise (une startup) qui atteint une valeur d’un milliard de dollars en un très court laps de temps. On en compte plusieurs aux États-Unis, le Canada a notamment eu Shopify, et par un heureux hasard, on en voit quelques-unes émerger à Montréal ces jours-ci. Maintenant que Lightspeed est en Bourse, c’est au tour de la société Hopper d’arriver en tête de liste.

Fondée par Frédéric Lalonde, Hopper est une application qui magasine à la place des internautes pour trouver les meilleurs billets d’avion pour se rendre à la destination désirée. Le créneau ciblé est celui des voyages de plaisance (par opposition aux voyages d’affaires), qui représente un marché potentiel de 800 milliards de dollars, en termes de transactions totales. Strictement sur mobile, c’est environ le tiers de cette somme qui est donc à la portée de Hopper.

Hopper a une valeur aux livres d’environ 1 milliard $, en ce moment. L’automne dernier, l’entreprise a bouclé une ronde de financement de 100 millions $US, lui permettant de voir plus loin. M. Lalonde, qui a vendu son entreprise précédente à Expedia, voit ce coup-ci plus loin qu’une sortie rapide pour faire un coup d’argent. «On regarde sur un horizon de 30 ans. On peut avoir une valeur de 100 milliards $US», dit-il.

Grâce au mobile, Hopper peut utiliser les alertes pour entrer en contact avec ses utilisateurs au moment opportun. Ceux-ci étant de plus en plus nombreux, Hopper espère pouvoir faire pression sur les voyagistes pour faciliter la tâche du consommateur, plutôt que l’inverse. Et bientôt, l’application fera de même du côté de l’hébergement.

Contrairement à des sites qui compilent les offres de compagnies aériennes et qui leur vendent des espaces garantis dans leurs résultats de recherche, ou autres tours de passe-passe, Hopper n’a que l’intérêt de ses utilisateurs en tête en développant sa technologie, proposant souvent de ne pas acheter, plutôt que l’inverse.

Prioriser les intérêts de l’internaute, qui est de plus en plus synonyme de citoyen numérique, voire de citoyen tout court, c’est une approche plutôt rare dans le monde en 2019. C’est quelque chose que le Commissaire fédéral à la vie privée Daniel Therrien doit voir dans ses rêves les plus fous, lui qui déplore l’absence d’un cadre légal autour des données numériques au Canada.

Lui aussi serait probablement du genre à dire qu’un ministère du Numérique, non seulement est-ce une bonne idée, mais en plus, ça presse!

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