«Les coûts de transport seraient moins chers, l’empreinte écologique du transport de marchandises diminuerait et les besoins en main-d’œuvre seraient moins importants», souligne à Les Affaires Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en énergie à HEC Montréal. (Photo: 123RF)
Le gouvernement du Québec doit investir «des dizaines de milliards de dollars» afin de développer une alternative au transport de marchandises par camion quand c’est possible, en favorisant la construction de nouvelles voies ferrées et de centres logistiques intermodaux.
«Le Canada et le Québec se sont bâtis sur le train. Rebâtissons ces infrastructures», affirme à Les Affaires le spécialiste en énergie Pierre-Olivier Pineau, qui vient de faire paraître L’équilibre énergétique, chez Robert Laffont.
Dans ce livre de 161 pages, le directeur de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal décortique plusieurs enjeux liés à la transition énergétique, aux limites de la croissance économique ainsi qu’aux innovations technologiques.
Ce dernier thème est particulièrement intéressant.
Pierre-Olivier Pineau affirme que les technologies les plus efficaces pour décarboner l’économie sont souvent les vieilles technologies qui ont fait leurs preuves comme le train et le bateau.
En moyenne, ces deux modes de transport de marchandises émettent beaucoup moins de gaz à effet de serre (GES) que le camionnage, selon une analyse comparative effectuée par les Armateurs du Saint-Laurent.
Ainsi, le camion émet 75,5 grammes de CO2 par tonne métrique par kilomètre comparativement à 14,4 grammes pour le train et 11,9 grammes pour le bateau.
Le transport ferroviaire consomme aussi beaucoup moins de carburant que le transport routier.
Par exemple, avec un camion, une tonne métrique de marchandise parcourt 35 kilomètres avec 1 litre de carburant. Pour un train, on parle de 213 km, puis de 243 km dans le cas d’un bateau.
Peu d’amélioration énergétique dans le camionnage
Dans son livre, Pierre-Olivier Pineau critique d’ailleurs le bilan énergétique de l’industrie du camionnage.
«Plus de camions, plus de kilomètres, presque pas d’amélioration de l’efficacité énergétique. C’est une tendance désastreuse contre laquelle les gouvernements d’Amérique du Nord n’ont rien fait de significatif jusqu’à présent», écrit-il.
C’est pourquoi ce spécialiste affirme que le transport ferroviaire doit redevenir une priorité nationale, et que le gouvernement ne doit pas hésiter à investir «des dizaines de milliards de dollars» pour développer ce mode de transport.
Pour justifier ces sommes importantes, il rappelle que le gouvernement de François Legault était prêt à investir 10G$ (dans sa version initiale) pour construire un troisième lien entre Québec et Lévis — la nouvelle mouture du projet s’élève à 6,5G$.
Or, ce tunnel aura des avantages logistiques «extrêmement minces», affirme Pierre-Olivier Pineau.
«Si on est capable d’envisager 10G$ pour un tunnel, on peut envisager 20 ou 30G$ pour développer un réseau de chemin de fer et améliorer les voies ferrées. Ce sont des investissements qui s’amortissent sur 50 ans et qui sont structurants», dit-il.
À ses yeux, le gouvernement du Québec doit investir dans le réseau ferroviaire comme il investit dans le réseau routier, car les transporteurs ferroviaires (et les chemins de fer locaux partenaires) ne font que le strict minimum.
«Ils investissent pour entretenir leurs réseaux, mais ils n’en construisent pas de nouveaux», fait remarquer Pierre-Olivier Pineau.
À ses yeux, il faut accroître l’offre ferroviaire dans l’axe Montréal-Québec, mais aussi dans l’axe du fleuve Saint-Laurent, jusqu’en Gaspésie.
Entre la métropole et la capitale nationale, il propose même de construire un nouveau chemin de fer, et ce, afin que le réseau actuel du Canadien National (CN) ne soit dédié qu’au transport des marchandises.
Ainsi, VIA Rail serait le seul à utiliser cette nouvelle voie ferroviaire pour transporter des passagers entre Montréal et Québec.
Dans son livre, Pierre-Olivier Pineau décortique plusieurs enjeux liés à la transition énergétique, aux limites de la croissance économique ainsi qu’aux innovations technologiques. (Photo: courtoisie)
Les pour et les contre du train
Bien entendu, passer du camion au train pour transporter des marchandises entraînerait des inconvénients pour les entreprises, reconnaît Pierre-Olivier Pineau.
«Les délais seraient plus longs pour faire livrer une cargaison du point A au point B, sans parler d’une étape supplémentaire dans la chaîne logistique», dit-il.
Par exemple, transporter un équipement par train entre Montréal et Québec nécessite trois mouvements:
- Le transport par camion d’une usine au terminal ferroviaire à Montréal.
- Le transport par train entre les deux villes.
- Le transport par camion du terminal ferroviaire à Québec aux installations du client.
Par conséquent, le transport ferroviaire est donc moins adapté au juste à temps, une méthode de gestion de la production en flux tendu.
En revanche, le transport de marchandises par train procure aussi plusieurs avantages pour les entreprises, mais aussi pour l’ensemble de la société, selon Pierre-Olivier Pineau.
«Les coûts de transport seraient moins chers, l’empreinte écologique du transport de marchandises diminuerait et les besoins en camionneurs seraient moins importants», dit-il.
Par exemple, un conducteur de train peut transporter 100 conteneurs à lui seul. En revanche, il faut pratiquement 100 chauffeurs de camion pour transporter 100 conteneurs.
À ses yeux, le gouvernement doit manier la carotte et le bâton pour inciter des entreprises à utiliser davantage le transport ferroviaire au Québec.
La carotte, en construisant de nouvelles infrastructures (incluant des centres logistiques intermodaux) afin de faciliter l’utilisation du train dans certains axes économiques comme celui entre Montréal et Québec.
Le bâton, en taxant davantage l’industrie du camionnage pour lui faire payer «sa juste part» pour l’utilisation du réseau routier, et ce, par souci d’équité à l’égard des Canadien National et autre Canadien Pacifique de ce monde.
«Actuellement, les transporteurs routiers ne paient que la taxe sur l’essence pour l’entretien des routes. Or, l’entretien du réseau ferroviaire est à la charge des transporteurs ferroviaires», souligne Pierre-Olivier Pineau.
Bref, à ses yeux, si les entreprises payaient les vrais coûts du transport routier, elles seraient davantage incitées à utiliser le transport ferroviaire, d’autant plus si l’offre était bonifiée et plus fluide.