La nouvelle génération d’architectes influence les fondements de la profession. (Photo: 123RF)
ARCHITECTURE. Pas moins de 60 % des architectes du Québec ont moins de 45 ans. À quoi cette nouvelle génération aspire-t-elle ? Quelle est sa contribution à notre environnement bâti ? Comment le contexte actuel façonne-t-il sa pratique du métier ? Tour d’horizon d’une profession en mouvance.
Autonomes, ambitieux, motivés, mais également impatients : c’est ainsi que Charles-Antoine Perreault, architecte associé de la firme Archi- décrit les architectes de la relève. « Les jeunes sont habitués que ça aille vite. Or, l’architecture, c’est un métier qui s’apprend vraiment lentement, et les projets sont longs. Ça peut prendre plusieurs années avant de voir le résultat de son travail. »
Cédric Boulet, aussi associé d’Archi-, souligne qu’il existe une autre relève, celle-là un peu plus âgée, qui prend la tête des bureaux un peu partout au Québec. « Il y a une vague d’architectes de 35 à 45 ans qui montent au stade d’associés ou qui reprennent la firme où ils travaillent. On assiste à un changement de garde. »
« La relève a soif d’opportunités. Elle a hâte de se lancer dans de grands projets », estime de son côté leur (jeune) collègue Maude Desjardins, qui a obtenu son diplôme il y a cinq ans.
Plus de femmes et de nouveaux arrivants
Pour Pierre Corriveau, président de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ), cette nouvelle génération d’architectes se distingue d’abord par une forte féminisation, contrairement à celles qui l’ont précédée. Les chiffres sont éloquents : les femmes représentent désormais 44,4 % des membres de l’OAQ, alors qu’elles n’étaient que 31,6 % en 2012. Dans les programmes universitaires d’architecture, elles constituent même la majorité, à 65 %.
La profession se diversifie, aussi. La part des immigrants dans l’effectif d’architectes est passée de 22 % à 26 % entre 2016 et 2021. « Leur apport est très utile et très apprécié », remarque Pierre Corriveau.
Peu importe leur genre ou leur origine, les jeunes architectes sont touchés par l’urgence climatique, selon lui. « Je n’aime pas généraliser, mais ce désir de faire, d’agir, les rassemble. Ils veulent qu’on aille plus loin et ils nous poussent passablement là-dessus. »
L’OAQ constate en outre que les jeunes ne retournent pas dans leur région natale après leurs études. « Une très grande majorité des architectes est établie dans les grands centres. » L’Ordre entrevoit d’ailleurs l’offre d’architectes en région comme le défi de la prochaine décennie.
En raison de la pénurie de main-d’œuvre et d’un certain exode des architectes séniors des firmes vers les organismes publics, comme la Société québécoise des infrastructures (SQI), les bureaux n’ont pas d’autre choix que de faire de la place aux jeunes. « Il y a un manque d’architectes en mi-carrière », admet le président de l’OAQ.
Au-delà de l’architecture
Cédric Boulet observe une autre différence marquée entre sa génération et la nouvelle : son côté social. « Je n’en reviens pas à quel point les jeunes veulent être amis avec leurs collègues, dit-il. Le travail n’est pas qu’entre 9 h et 17 h. Ils organisent plein d’événements ensemble, ils prennent un verre après… »
Charles-Antoine Perreault est tout aussi étonné de ce constat. « Il y a une fusion qui se crée entre le travail et la vie personnelle, alors que pour nous, il y avait vraiment une distinction », remarque-t-il.
Archi- s’efforce donc de mettre la collaboration et son comité social à l’avant-plan. Le bureau propose de nombreuses activités et l’abonnement au gym. Les employés, jeunes et moins jeunes, participent aux discussions, partagent leurs connaissances. Les nouveaux bénéficient également d’un programme de mentorat. « Ils se voient assigner une personne-ressource plus expérimentée vers qui ils peuvent se tourner en cas de besoin », explique Maude Desjardins.
« Je pense que c’est important pour la relève de se sentir responsabilisée, de s’impliquer », remarque-t-elle.
Un vent de changement
La santé mentale, une question primordiale pour nombre de jeunes architectes, influence par ailleurs le choix de l’employeur. « En entrevue, l’avancement de carrière est important, mais les gens veulent surtout savoir si on offre un environnement de travail sain et respectueux », relate Cédric Boulet.
L’ambiance dans les bureaux d’architecture a évolué dans les dix dernières années au Québec. « Quand on a commencé dans le métier, c’était bien vu de mettre de la pression sur les employés, raconte Charles-Antoine Perreault. On était fiers de faire des heures supplémentaires et de travailler la fin de semaine. Ça ne passerait plus aujourd’hui. »
Ce changement de mentalité a des effets concrets sur la structure des firmes, du moins sur celle d’Archi-. « Au lieu d’avoir 30 employés qui travaillent 60 heures par semaine, on est 45, mais les gens travaillent 32, 35 ou 37 heures par semaine », illustre Cédric Boulet.