Véhicules électriques chinois: les tarifs de 100% ne serviront à rien, dit Philippe Couillard
Dominique Talbot|Mis à jour le 04 octobre 2024«On se donne l’illusion de se protéger avec des tarifs. Mais en définitive, c’est sur notre population que ça retombe.» Note Philippe Couillard lors de l’évènement Filière Batterie de Les Affaires. (Photo: Josée Lecompte)
Ce n’est pas l’imposition de tarifs douaniers de 100% sur les véhicules électriques chinois qui freinera leur arrivée dans le marché canadien, prévient Philippe Couillard, qui prédit des partenariats à venir avec des constructeurs nord-américains.
«La Chine domine massivement tous les secteurs de la transition énergétique. […] On ne réussira pas à bloquer l’arrivée des véhicules chinois avec des tarifs. Oubliez ça. Ils vont trouver toutes sortes de façons et ils vont baisser encore plus leurs coûts», affirme l’ancien premier ministre, dans une rare sortie publique depuis son départ de la vie politique en 2018.
Philippe Couillard participait plus tôt cette semaine à un événement Les Affaires sur la filière batterie, à titre de chef de la stratégie de la jeune pousse Eleqtrion, qui en est à la conception d’une batterie aluminium-ion.
Selon l’ex-politicien, le gouvernement fédéral fait fausse route en souhaitant éviter ce qui est «inévitable».
«Comme on dit en anglais : “’The writing is on the wall”. Ça va arriver. On se donne l’illusion de se protéger avec des tarifs. Mais en définitive, c’est sur notre population que ça retombe. Parce que ça augmente les coûts, et également, ça bloque l’accès à de meilleurs produits en termes de (diminution) du carbone et d’utilisation.»
Rappelons qu’à la fin du mois d’août, Ottawa a imposé des tarifs douaniers de 100% sur l’importation de véhicules électriques chinois, et de 25% sur l’acier et l’aluminium provenant de l’empire du Milieu. Ces tarifs seront imposés à partir du 15 octobre.
L’annonce du fédéral suivait celle des États-Unis, qui ont imposé les mêmes tarifs le 1er août. Nos voisins du sud souhaitaient que le Canada emboîte le pas afin de protéger l’industrie nord-américaine.
Dans une note confidentielle du ministère des Finances obtenues La Presse la semaine dernière en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, on apprenait que les hauts fonctionnaires et la ministre Chrystia Freeland s’inquiétaient de voir l’industrie automobile canadienne se faire écraser la concurrence chinoise.
«Compte tenu de leur position dominante, des économies d’échelle, de leur avance dans la fabrication et la conception de véhicules électriques, ainsi que des subventions gouvernementales à grande échelle, les producteurs chinois rendraient probablement difficile la croissance et la concurrence de l’industrie canadienne des véhicules électriques sur le marché canadien», soutenaient les fonctionnaires.
Des alliances à venir?
Mais c’est justement en raison de la taille de son économie et de son empreinte «tellement immense» dans la transition énergétique que la Chine est en position de contrôle actuellement, selon Philippe Couillard. «Qu’on le veuille ou non.»
Ensuite, soutient-il, la qualité des produits est maintenant au rendez-vous. «Je voyais récemment une délégation de General Motors qui est allée en Chine. Ils sont revenus très impressionnés par ce qu’ils ont vu là-bas», exprime l’ancien premier ministre.
«Est-ce qu’imposer des tarifs va freiner l’expansion chinoise dans le domaine de l’électrification et de la transition énergétique? Non. Est-ce que ça va arrêter leur industrie automobile? Non. Pourquoi? Parce qu’ils font des produits de grande qualité», insiste Philippe Couillard.
Selon lui, des alliances entre les producteurs nord-américains et chinois semblent de plus en plus probables.
«Ce que je pense qui va arriver, veut, veut pas, c’est qu’il y aura des partenariats entre les grands constructeurs américains et européens avec les constructeurs chinois. Avec des ententes de mise en marché. Sinon, ça ne sera pas viable. Les Chinois pourront toujours nous battre sur les prix.»
«Les coûts de production de leurs batteries sont rendus à des coûts inatteignables actuellement en Amérique du Nord. Comment on peut compenser ça? Avec des produits originaux, des produits de niche et de qualité. Là, on peut avoir une conversation qui est différente», pense-t-il.
En plus des prix beaucoup plus bas des véhicules chinois, Philippe Couillard se questionne sur l’effet que les tarifs imposés par Ottawa sur ses cibles de réduction des gaz à effet de serre.
«Sur la question climatique, pour la population, est-ce que l’on veut vraiment bloquer l’accès à des véhicules de très grande qualité à des prix plus bas? En termes d’impact de CO2, sur les émissions à gaz è effet de serre, ce n’est pas très positif comme attitude», tranche-t-il.
Ces deux arguments sont revenus à plusieurs reprises cet été lors de l’annonce de l’imposition des tarifs au mois d’août. Pour défendre l’action de son gouvernement, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, avait avancé que les consommateurs canadiens «comprenaient la concurrence déloyale de la Chine».
«Les consommateurs veulent un véhicule électrique qui respecte l’environnement, les droits des travailleurs et des valeurs fondamentales que nous avons», avait-il avancé en conférence de presse.
À son avis, l’imposition des tarifs soutiendra non seulement l’industrie automobile canadienne, mais amènera celle-ci à faire mieux et à travailler pour produire des batteries moins chères.
«Ce que j’entends chez les manufacturiers, c’est que tout le monde s’en va vers une batterie moins chère pour avoir un véhicule moins cher. On sait que l’adoption est en fonction du prix. Tout le monde le comprend.»