Comment trouver l'oiseau rare? Nous avons posé la question à cinq professionnels ayant des expertises différentes.
«On ne veut pas investir dans Google, on veut trouver le prochain Google !» Ce commentaire, les journalistes financiers l’entendent régulièrement en entrevue. Très bien, mais comment trouver cet oiseau rare ? Nous avons posé la question à cinq professionnels ayant des expertises différentes.
Définir les prochains leaders à la Bourse peut faire rêver. Malgré les revers récents, investir dans une des FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix et Alphabet, la société mère de Google) aura été un pari payant. Du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2018, les enfants prodiges de la techno ont largement excédé les rendements du S&P 500, à New York. Durant cette période de cinq ans, elles se sont appréciées de 201,7 % en moyenne, comparativement à 35,6 % pour le S&P 500.
Ce phénomène n’est pas une anomalie dans l’histoire de Wall Street. Par le passé, le marché boursier américain a été propulsé par un nombre étonnamment restreint d’entreprises. Entre 1926 et 2016, cinq entreprises ont à elles seules générer 10 % de la création de valeur enregistrée durant cette période. Elles ne représentaient que 0,02 % de l’échantillon de titres.
Réussir à désigner les grands gagnants n’est toutefois pas une mince affaire. Il est facile de se dire que la domination de Google et compagnie était inévitable après coup, mais cette affirmation n’était pas une évidence initialement, rappelle Marc L’Écuyer, gestionnaire de portefeuille chez Cote 100, à Saint-Bruno. «Si on remonte au départ de Google, les risques étaient élevés. Il n’aurait fallu qu’un ou deux facteurs différents pour que l’entreprise ne soit plus là aujourd’hui. Ce n’est pas facile de trouver les gagnants. Il vaut mieux en choisir plusieurs, et des fois, il y en a un qui réussit parmi eux.»
La meilleure façon d’augmenter ses chances est de «choisir des sociétés qui génèrent un rendement élevé sur le capital et de les détenir à long terme», conseille M. L’Écuyer. Il donne l’exemple d’Alimentation Couche-Tard (ATD-B, 73,58 $). L’exploitant de dépanneurs de Laval n’est pas une techno prometteuse de Silicon Valley, mais elle n’a pas à rougir devant le conglomérat technologique qu’est devenu Google. Depuis son entrée en Bourse en 2004, Alphabet, la société mère de Google, a multiplié sa valeur par près de 21 fois. Les actionnaires de Couche-Tard ont vu la valeur de leur placement multiplié par 15. C’est un rendement moins élevé, mais on doute que ses actionnaires s’en plaignent.
Avant de nous aider dans notre quête des prochains FAANG, Mark Lin, associé principal et chef des investissements chez Applied Research, tient à faire une précision sur cette idée qu’il faille déjà passer au suivant. «Je ne pense pas que les FAANG soient chose du passé, nuance-t-il. Amazon performe bien, Google aussi. Facebook doit augmenter ses dépenses pour protéger ses données, mais l’avenir d’Instagram semble encore prometteur. Par contre, je pense qu’Apple a des défis beaucoup plus importants.»
Dans le marché privé
Il est peut-être inutile de chercher les prochains FAANG à la Bourse. Ils se cachent peut-être dans les marchés privés. La Bourse a perdu en attrait pour les start-up. Elles ont un accès plus facile à d’abondants capitaux privés depuis une quinzaine d’années, constate Maria Pacella, vice-présidente principale, Capital privé, chez Gestion de capital Pender, à Vancouver. «C’est beaucoup plus difficile de trouver ce genre d’occasion dans les marchés publics, commente-t-elle. La réglementation est contraignante et l’obligation de publier des résultats trimestriels détourne l’attention des dirigeants des enjeux à long terme. C’est particulièrement vrai dans le secteur de la technologie quand les dirigeants ne veulent pas rendre publiques des technologies qui sont encore en développement.»
Philippe Bergeron-Bélanger, président d’Espace MicroCaps, partage ce constat. Certaines de ces entreprises privées pourraient cependant faire un jour leur entrée en Bourse, en espérant que les bons rendements n’aient pas tous été réalisés avant le premier appel public à l’épargne. Il donne l’exemple du producteur de «viande végétarienne» Beyond Meat. Contrairement à la galette de pois chiche de votre ami qui, malgré ses enthousiastes promesses ne goûtent pas vraiment comme une galette de boeuf, les produits de Beyond Meat ont la particularité d’imiter assez fidèlement le goût et la texture de la viande. «La viande végétale, c’est une tendance forte qui va changer l’industrie de l’alimentation dans les 15 à 20 prochaines années», prédit l’investisseur qui fait également de la consultation pour le Fonds Rivemont Microcap.
La société de Los Angeles a émis un prospectus à la Bourse du Nasdaq en vue d’un premier appel public à l’épargne. La date d’entrée et le prix d’émission n’ont pas été déterminés. La taille de l’offre pourrait représenter jusqu’à 100 millions de dollars américains. La société a réservé le sigle BYND.
Le marché potentiel de Beyond Meat pourrait être important. Le marché de la viande représente 1,4 billion de dollars américains dans le monde, selon des données de Fitch Solutions Macro Research citées dans le prospectus. En comparaison, la société souligne que les producteurs de produits laitiers à base de plante (lait de soya, lait d’amande, etc.) accaparaient près de 13 % du marché des produits laitiers en 2017, selon Mintel Reports.
Il est important de mentionner que le pari demeure incertain. En pleine expansion, la société n’est pas rentable. L’entreprise a affiché une perte de 22,4 M $ US dans les neuf premiers mois de l’année 2018. La perte succède à des pertes de 30,4 M $ US en 2017 et de 24,1 M $ US en 2016.
Dans son prospectus, Beyond Meat met d’ailleurs en garde les investisseurs quant aux risques liés à ses projets d’expansion. Elle affirme que ses dépenses en capital et ses coûts d’exploitation vont augmenter de «manière substantielle» afin d’accroître sa clientèle, de développer ses activités manufacturières et son réseau de distribution. «Nos projets d’expansion pourraient se révéler plus chers que nous l’anticipons et nous pourrions ne pas réussir à augmenter suffisamment nos revenus et nos marges pour compenser ses dépenses plus élevées», peut-on lire dans le prospectus.
L’entreprise admet aussi avoir de nombreux concurrents, notamment Boca Foods et Morningstar Farms, sans compter les producteurs de viandes traditionnels dont les poches sont profondes.
Dans les nouvelles technologies
Quels changements technologiques pourraient donner naissance aux prochains FAANG ? Nous avons posé la question à Andrew Popliger, associé chez PwC Canada, à Montréal. Il identifie quatre secteurs d’où pourrait émerger un leader de marché : l’intelligence artificielle, l’Internet des objets, la chaîne de blocs et les véhicules autonomes. «Les cinq prochaines années, je les vois comme les plus intéressantes de notre histoire récente en ce qui concerne le développement technologique, s’enthousiasme-t-il. La question est de savoir quand ces technologies seront accessibles et abordables pour un plus large public.»
Si les promesses de l’intelligence artificielle nourrissent les espoirs les plus fous – mais aussi les craintes, diront certains -, il est difficile de cerner une entreprise qui puisse accaparer les fruits de cette avancée, croit M. Popliger. «On ne voit pas encore de leader dans ces secteurs-là. Il y a beaucoup de start-up ou d’entreprises établies qui ont des projets de recherche, mais il n’est pas possible de trouver un leader, pour l’instant.»
C’est une des difficultés quand on tente d’anticiper le prochain leader à partir des avancées technologiques, ajoute M. Lin. Il donne l’exemple de l’impression 3D, qu’il juge comme une innovation importante. «Il n’y avait pas d’entreprises vraiment rentables et qui se sont démarquées», précise-t-il.
Dans le secteur de la santé
Pour ce qui est des avancées technologiques, la prochaine licorne pourrait bien être une biotech, croit Mme Pacella. «Les entreprises qui innovent dans le domaine de la santé commencent à ressembler de plus en plus aux sociétés technologiques, explique-t-elle. Quand vous avez des professionnels de la santé et des ingénieurs informatiques qui se rassemblent pour trouver des solutions à un problème, vous pouvez trouver des solutions innovantes. La prochaine licorne pourrait venir de ce secteur et elle pourrait devenir publique, éventuellement.»
Au sein de cette industrie, Mme Pacella pense que le spécialiste des ultrasons médicaux Clarius est une société privée qui a un grand potentiel. La société de Vancouver permet de prendre des images à distance (à partir d’une ambulance, par exemple) et de les transférer aux professionnels de la santé. «La technologie est très efficace et les images sont d’une grande qualité, ce qui est important dans le domaine de la santé.»
Le potentiel à long terme est important pour l’entreprise. «Les physiothérapeutes peuvent s’en servir pour évaluer les dommages au tissu mou ou pour faire une injection, commente-t-elle. Pour l’instant, seulement 10 % des physiothérapeutes utilisent des ultrasons. De plus, leurs machines font des apprentissages automatiques, qui permettront aux professionnels de la santé de prendre de meilleures décisions.»
Encore une fois, il est difficile de trouver des occasions dans ce secteur à la Bourse. M. Bergeron-Bélanger donne l’exemple de deux biotechs qui ont des produits «prometteurs». La première, Imagia, est une entreprise privée de Montréal qui utilise l’intelligence artificielle et l’imagerie médicale pour déterminer le traitement contre le cancer qui serait le plus efficace pour chaque patient. La deuxième, Diagnos (ADK, 0,03 $), est une microcapitalisation de Brossard qui développe un outil automatisé pour déceler les signes précoces de perte de vision et, plus spécifiquement, la rétinopathie diabétique.
Les deux entreprises ont des technologies prometteuses, croit M. Bergeron-Bélanger, mais ce dernier préfère Imagia, qui est une société privée. Il juge qu’elle est plus avancée technologiquement et qu’il est plus facile pour elle de se financer. «Je ne peux pas investir dans Imagia et je ne veux pas investir dans Diagnos, pour l’instant. Les entreprises privées sont avantagées, car elles nagent dans le financement tandis que les microcapitalisations ont plus de difficulté à aller chercher du financement.»
Le retour d’un visage connu ?
Les prochains FAANG ne sont pas nécessairement de discrètes entreprises privées ou des start-up méconnues. Il n’est pas impossible qu’il s’agisse de visages bien connus, ajoute M. Lin.
D’ailleurs, plusieurs FAANG sont en fait des entreprises qui ont changé leur modèle d’affaires et connu une véritable renaissance. Netflix a commencé par distribuer des DVD par la poste, ce qui est loin d’être une activité porteuse en 2019. Son incursion dans la diffusion de séries en continu a sauvé sa pertinence. Le iPhone d’Apple a donné un deuxième élan au fabricant du Mac. Amazon, pour sa part, ne vendait que des livres avant d’être en mesure de combler presque tous nos besoins matériels.
M. Lin pense que Microsoft (MSFT, 106,89 $ US) est un bel exemple d’entreprise établie de la vieille garde qui pourrait connaître une résurgence. «Elle a été impopulaire pour un long moment, mais ils ont découvert que l’infonuagique pouvait être une avenue de croissance», souligne le chef des investissements.
Grâce à sa division Azure, dans l’infonuagique, le concepteur de Windows suscite un enthousiasme renouvelé parmi les analystes. Des 34 qui suivent le titre, 32 ont une recommandation d’achat. «La suite Office 365 et Azure procurent un engin de croissance pour plusieurs années et continuent d’afficher une force fondamentale et une amélioration des marges dans le secteur de l’infonuagique commercial grâce à l’exécution et à l’échelle, commente Ross MacMillan, de RBC Marchés des Capitaux. Les activités traditionnelles profitent par le fait même d’un effet d’entraînement. Nous pensons que le rapport risque/rendement est attrayant.»
Certains observateurs des marchés boursiers pensent que Disney (DIS., 109,20 $ US), qui concurrencera Netflix dans la diffusion en continu, et Walmart (WMT, 96,97 $ US), qui mène une chaude lutte à Amazon pour protéger sa domination dans le commerce de détail, pourrait revenir sous les projecteurs. M. Lin, pour sa part, en doute. «C’est difficile de dire si Walmart peut réussir à supplanter Amazon, mais je dois dire que ce sera vraiment difficile. Ils doivent composer avec leurs magasins, ce qu’Amazon n’a pas à faire. Quand leurs clients iront plus en ligne, qu’arrivera-t-il de leurs magasins physiques ? C’est un équilibre auquel ils doivent réfléchir. Disney a de très bonnes franchises avec Star Wars, Pixar et Marvel. C’est une entreprise très bien gérée, mais qui ne croît pas rapidement, un peu comme Nike.»
Des FAANG chinois ?
Les prochains FAANG pourraient bien venir de Chine, ajoute M. Lin. «Les pays émergents ont un potentiel de croissance beaucoup plus grand», commente-t-il. Il existe déjà des entreprises bien établies en Chine, notamment Tencent (TCEHY, 44,62 $ US), Alibaba (BABA, 168,71 $ US) et Xiaomi (XIACF, 1,37 $ US). «Un avantage des pays émergents est que, comme leur développement est plus récent, leurs entreprises ont moins à se questionner sur ce qu’ils vont faire avec les activités traditionnelles.»
Mme Pacella note qu’en Chine, particulièrement à Hong Kong, plusieurs biotechs travaillent sur des projets prometteurs. M. Popliger ajoute qu’il y a beaucoup d’investissement dans l’intelligence artificielle en Chine.
Shopify, un Canadien parmi les FAANG
Plus près de chez nous, Shopify (SHOP, 232,37 $) est l’une des sociétés technologiques qui attirent le plus l’attention. Depuis son entrée en Bourse en mai 2015, l’action de la société s’est multipliée par six. Le titre s’échange à 200 fois les prévisions de profit 2019, signe de l’espoir des investisseurs d’une forte croissance future pour cette entreprise qui n’est pas encore rentable.
Timothy Wili, de Marchés mondiaux CIBC, croit que Shopify a un fort potentiel de croissance devant elle. L’analyste pense qu’il y a une tendance séculaire de la migration des petites et des moyennes entreprises vers le commerce en ligne. Il croit aussi qu’il y a un bon potentiel d’expansion à l’international. Si elle n’est pas encore rentable, l’entreprise sera en mesure d’augmenter son efficacité opérationnelle dans les prochaines années, anticipe-t-il.
M. Lin est plus prudent au sujet de Shopify. «Ça pourrait être un des prochains FAANG, répond-il. C’est un leader dans son domaine. Par contre, une caractéristique des FAANG est de détenir de fortes barrières à l’entrée qui rendent difficile l’imitation. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas de Shopify. Ils ont des concurrents. La question est de savoir quelle taille ils pourront atteindre.»