Traiter un salarié comme un travailleur autonome peut avoir des conséquences financières importantes pour une ...
Traiter un salarié comme un travailleur autonome peut avoir des conséquences financières importantes pour une entreprise. Revenu Québec et l’Agence du Revenu du Canada (ARC) font régulièrement des vérifications et n’hésitent pas à intervenir s’ils jugent qu’un travailleur autonome est, dans les faits, un salarié.
Le principal problème qui se pose dans cette situation est fiscal, et il touche à la fois l’entreprise et le travailleur autonome. L’entreprise doit prélever des retenues d’impôt à la source, c’est-à-dire sur la paie de ses employés. Ce qu’elle n’aura bien sûr pas fait au moment de payer un travailleur autonome. Pour qui elle ne paiera pas non plus la part de l’employeur des cotisations au Régime des rentes du Québec (RRQ), à l’assurance-emploi ou au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP). Elle ne cotisera pas non plus pour lui au Fonds des services de santé (FSS) ou encore à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST).
Si certains de ses travailleurs autonomes sont requalifiés en salariés, l’entreprise verra sa masse salariale augmentée. Elle pourrait donc aussi voir modifiés les investissements requis en fonction de la Loi sur les compétences, qui exige de verser au moins 1 % de sa masse salariale en formation continue dès que cette dernière atteint au moins 2 millions de dollars. Sans compter le fameux «4 %», cette indemnité de vacances minimale obligatoire en vertu de la loi.
Si une entreprise change le statut d’un travailleur d’autonome à salarié, Revenu Québec et l’ARC émettront des avis de cotisations afin de récupérer tous ces impayés, assortis bien sûr d’intérêts et de pénalités. Ces dernières varient de 3 % à 10 % sur une première offense, mais peuvent atteindre 20 % si le problème est répétitif. «L’entreprise écopera aussi d’une pénalité pour ne pas avoir émis de T4 pour l’employé ou les employés concernés», souligne Mathieu St-Denis, associé de la firme comptable BDO. Cette pénalité varie entre 100 $ et 7 500 $, selon le nombre de travailleurs concernés. Il faudrait toutefois avoir omis les T4 de plus de 10 000 employés pour arriver à une amende de 7 500 $.
«L’entreprise peut discuter avec le vérificateur et faire prévaloir son point de vue quant aux cotisations que ce dernier veut lui imposer, explique Jean-Pierre Poulin, associé de Raymond Chabot Grant Thornton spécialisé en fiscalité. S’il reçoit tout de même un avis de cotisation, il peut s’y opposer auprès d’un autre département de l’ARC. Si la cotisation est maintenue, son dernier recours sera d’aller en cour.»
Le travailleur autonome considéré comme salarié pourrait aussi avoir des ennuis. Il se verra émettre des Relevés 1 et des T4, comme pour tout employé. Il devra refaire ses déclarations de revenus en fonction de ce nouveau statut. «Les dépenses d’entreprises qu’il avait déclarées ne seront pour la plupart plus admissibles», note M. Poulin. Cela fera augmenter son revenu imposable. À l’inverse, il pourrait récupérer des cotisations qu’il avait assumées en tant que travailleur autonome, par exemple celles de l’employeur au RRQ.
Pour réduire ce type de risque et diminuer leur niveau d’imposition, certains travailleurs autonomes décident de s’incorporer. De la même manière, des entreprises exigent que leurs travailleurs autonomes s’incorporent afin d’éliminer le risque d’un changement de statut. «Si le gouvernement décrète que le travailleur était en fait un salarié et n’avait donc pas le droit de s’incorporer, l’entreprise risque d’être à l’abri des pénalités, puisqu’elle payait une corporation et non un travailleur», précise M. Poulin. Le travailleur autonome, lui, devra refaire ses déclarations de revenus à titre de salarié et probablement payer plus d’impôts et de cotisations, ainsi que des intérêts et des pénalités.
Il peut aussi arriver qu’un travailleur – qui était au départ réellement un travailleur autonome – voie son statut changer en cours de route. «On peut penser à un vendeur qui aurait eu plusieurs clients et son propre véhicule au départ et qui, après quelques années, ne compte plus qu’un seul client qui lui fournit un véhicule et d’autres outils de travail, illustre Me Marie-France Dompierre, associée du groupe de droit des affaires du cabinet Lavery. Son statut aura alors changé, et l’employeur devra en tenir compte et le traiter fiscalement comme un salarié.»
Afin d’éviter bien des tracas, il faut rédiger un contrat qui établit clairement que le travailleur est autonome. «Précisez le plus d’éléments possible, comme le fait que le travailleur contrôle ses horaires de travail, fournit ses outils, paie lui-même ses déplacements, n’a pas d’allocation de dépense, etc.», conseille M. Poulin. Ensuite, il faut s’assurer de bien respecter les termes de ce contrat, car en fin de compte, ce sont les faits qui détermineront le statut du travailleur aux yeux des autorités fiscales.