La «rouille professionnelle» peut faire d'horribles dégâts... (Photo: Brandon Moltiwenik pour Unsplash)
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Q. – «Mon travail est devenu si répétitif que je peux vous dire exactement ce que je fais à chaque minute de chaque journée de la semaine. C’est à mourir d’ennui. Alors, dès que j’ai un instant à moi, je regarde sur LinkedIn s’il n’y a pas une job moins plate pour moi…» – Adèle
R. — Chère Adèle, si cela peut moindrement vous rassurer, je peux vous dire que vous n’êtes pas la seule à mourir d’ennui au travail. Un récent sondage mené par le magazine Cosmopolitan a mis au jour le fait que — tenez-vous bien — 65% de ses lectrices trouvaient que leur job actuelle avait un impact négatif sur leur santé mentale. Et la moitié d’entre elles déplorent, dans un même souffle, que leur travail n’a tout simplement pas de sens…
Il semble qu’un phénomène relativement nouveau soit en train de s’implanter un peu partout sur la planète: non pas le burnout (épuisement professionnel, en français), que nous connaissons bien à présent, mais ce que certains experts commencent à appeler le «rust-out» (rouille professionnelle, en français). Cette rouille est plus profonde et préoccupante que l’ennui. Elle se traduit souvent par le sentiment que l’on ne fait rien d’utile, par l’impression que l’on est coincé dans une impasse professionnelle, par la conviction qu’il nous est désormais impossible d’être reconnu à notre juste valeur. Un peu comme vous, Adèle, qui avez la sensation de tourner en rond en pure perte, à l’image d’un hamster qui serait conscient qu’une course effrénée dans sa roue ne l’aidera jamais à progresser.
Selon Teena Clouston, professeure de bien-être au travail à l’Université de Cardiff, au Pays de Galles, et auteure du livre «Challenging Stress, Burnout and Rust-Out», la rouille professionnelle peut avoir un grave impact sur la santé mentale. «On peut finir par tomber en dépression, par se sentir englouti dans des sables mouvants, incapable de bouger et terrorisé à l’idée que notre situation est irréversible», note-t-elle, en indiquant que les premiers symptômes de la rouille correspondent, la plupart du temps, à «un désintérêt croissant pour nos tâches professionnelles et un retrait progressif de notre quotidien au travail».
Fort heureusement, il est possible de corriger le tir, estime Teena Clouston. Le truc, c’est de «rééquilibrer notre vie professionnelle, en veillant à ce que le bien-être soit aussi important que le travail», par exemple en procédant aux quatre étapes suivantes:
1. Reconnaître que la rouille nous gagne. Il n’est pas toujours facile de s’avouer que ça va mal au travail, et même que cela affecte notre efficacité et notre bien-être. C’est là le premier pas à faire, sûrement le plus difficile, considère la professeure de l’Université de Cardiff.
2. Réfléchir à ce qui donne du sens à notre travail. Il se peut qu’un événement ait changé la donne dans votre travail, au point de vous amener à commencer à rouiller: par exemple, ça peut être l’arrivée d’un nouveau boss et sa décision de vous confier des tâches moins tripantes qu’auparavant. À cette étape, l’important n’est pas de chercher la cause de votre rouille, mais juste de faire la liste des tâches qui vous permettent, en général, de vous épanouir et de celles qui vous déplaisent, en général aussi.
3. Rencontrer notre gestionnaire immédiat. L’idée est de prendre une heure avec lui pour lui indiquer que la rouille est en train de vous gagner et que cela provient en grande partie de tâches que vous devez accomplir, mais qui sabotent votre efficacité et votre bien-être. Ensemble, vous réfléchirez alors à des modifications qu’il est possible d’apporter à votre quotidien au travail afin que vos tâches aient davantage de sens. Soulignez au passage que cela sera bénéfique également à toute l’équipe, et même à l’entreprise.
Bien entendu, si jamais le problème principal est votre boss lui-même, peut-être gagneriez-vous à rencontrer à la place son supérieur. Sinon, la personne responsable des ressources humaines.
4. Rencontrer une nouvelle fois notre gestionnaire. Après cette première avancée, il convient d’en enregistrer une seconde, histoire de s’assurer que la rouille soit partie une bonne fois pour toutes. L’idée est cette fois-ci d’établir ensemble un plan de progression pour votre carrière, ou à tout le moins pour l’année à venir. Cela vous permettra de mettre encore plus l’accent sur les tâches qui vous permettent de vous épanouir.
Si jamais une telle discussion est difficilement envisageable, cherchez dès lors des programmes de formation qui vous intéresseraient et demandez l’autorisation d’en suivre un. Ou bien, cherchez-vous un mentor.
La psychologue britannique Audrey Tang estime que la rouille professionnelle est avant tout le signe d’un grave dysfonctionnement organisationnel. Le problème ne vient pas de l’employé, mais de l’employeur. C’est que ce dernier est visiblement incapable de donner du sens au travail qu’il demande à sa main-d’œuvre. D’où l’importance d’oser parler de la rouille au travail lorsqu’elle se met à sévir sur certains, le risque du silence étant une contagion généralisée. Ni plus ni moins.
Bref, Adèle, je vous invite à oser parler de la rouille qui vous gagne, avec la personne qui serait la plus à même de vous aider à la retirer de votre quotidien au travail. L’important est de bien souligner que le problème ne vient pas de vous, mais que vous êtes la victime d’un phénomène nouvellement mis au jour et auquel il est possible de remédier. Pour le plus grand bien de tous, en particulier de votre organisation.
En passant, il est dit dans Le Livre des proverbes: «Ôtez la rouille de l’argent, et il s’en formera un vase très pur».