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Comment épauler vos employés chamboulés par les conflits armés

Catherine Charron|Publié le 11 mars 2022

Comment épauler vos employés chamboulés par les conflits armés

Une fixation sur les nouvelles est un des facteurs qui indiquent qu’un individu est anxieux. (Photo: Austin Distel pour Unsplash)

À mesure que l’armée de Vladimir Poutine pénètre en territoire ukrainien, le niveau de stress ou l’anxiété de certains membres de votre équipe pourrait être particulièrement exacerbé, affectant au passage leur performance au travail.

Voici ce que patrons et gestionnaires peuvent faire pour épauler leurs employés chamboulés par ce conflit.

Reconnaissez les signes de détresse

Tous les employés ne sauront identifier leurs émotions avec la même acuité. Or, certains signaux ne mentent pas quant à leur état de détresse psychologique. Selon la professeure titulaire au département de management à HEC Montréal, Estelle M. Morin, les personnes qui s’isolent, qui sont plus irritables, qui se plaignent ou qui font souvent mention du «manque de sens» sont celles qui devraient attirer votre attention.

Les images qui circulent présentement peuvent aussi affecter d’autres travailleurs qui ont vécu un conflit armé. La psychologue organisationnelle et conseillère en ressources humaines agréées, Ghislaine Labelle, souligne que tous changements de comportement, difficultés à se concentrer sur sa besogne, ou une fixation sur les nouvelles sont là des indices qu’un individu est anxieux. «Si l’employé a l’air d’avoir passé la nuit sur la corde à linge, c’est un signe», illustre la conférencière.

 

Créez un climat de confiance

Aborder la question avec les employés inquiets est un sujet délicat. Non seulement un patron ne connait pas tous les traumas vécus par son salarié, glisse Ghislaine Labelle, mais en plus les ressortissants de l’ex-URSS ont internalisé ce qu’Estelle M. Morin appelle «le contrôle social».

Celle qui fait partie du Consortium de recherche sur l’intelligence émotionnelle appliquée aux organisations souligne que tous ne seront pas à l’aise d’exprimer ce qu’ils ressentent à l’égard de ce conflit. Ils craignent les représailles autant pour eux que pour les membres de leur famille qui se trouvent coincés entre l’armée russe et la milice ukrainienne.

Les deux expertes vous recommandent donc de créer un climat de confiance et de proposer au collègue angoissé de le ou la rencontrer en privé, et de tendre l’oreille avec bienveillance.

En entamant la discussion avec des questions ouvertes, la personne stressée pourra, si elle le souhaite, partager ce qui l’inquiète. Cependant, Estelle M. Morin déconseille aux gestionnaires d’être insistants, et de s’attendre à des confidences dès le premier contact, ou même tout court. Tous n’auront pas envie d’en parler au boulot.

«De dire à l’employé qu’il est au travail et qu’il doit se concentrer, ce n’est pas très respectueux. […] C’est l’occasion d’affirmer son leadership relationnel de pouvoir faire ses suivis un à un, de prendre des nouvelles sur le moral et pas seulement que sur ses tâches», glisse Ghislaine Labelle.

 

Offrez du temps

Tous n’auront pas besoin du même coup de main de la part de leur organisation. C’est pourquoi la CRHA recommande de leur poser la question. «Certains préfèrent en parler en privé, via les programmes d’aide aux employés, d’autres souhaitent peut-être en discuter en petit groupe», énumère la spécialiste.

Estelle M. Morin vous encourage même à offrir un «soutien spécifique», qui permettra de «soulager la pression que ressent l’employé». En d’autres termes, proposez carrément de dégager du temps ou d’alléger la charge de travail. L’individu pourra par exemple contacter sa famille qui se trouve toujours sur les lieux, chose qu’il n’aurait probablement pas osé demander.

La flexibilité et la bienveillance sont ici, selon les deux expertes, des armes redoutables pour épauler les collègues chamboulés par le conflit.

L’apport des fournisseurs de programme d’aide aux employés peut aussi être bénéfique pour le moral des troupes. «On peut inviter ces entreprises à organiser des sessions de dialogues pour que les membres d’une équipe puissent se confier sur ce qu’ils ressentent, et leurs émotions», ajoute Ghislaine Labelle.

 

Mobilisez votre équipe

L’un des principaux facteurs qui contribuent au stress, c’est le sentiment d’impuissance devant une catastrophe d’une telle ampleur. «C’est dans l’action que l’humain parvient à soulager l’anxiété», affirme Estelle M. Morin, qui est aussi psychologue.

En plus de rencontrer individuellement les travailleurs les plus affectés, un gestionnaire peut mobiliser ses troupes, afin d’aider les Ukrainiens, conseillent les deux expertes. «Ce qui est désarçonnant, c’est l’impuissance. Engager une action collective en équipe – en amassant des fonds ou en épaulant des familles de réfugiés – redonnera une impression de contrôle», résume la professeure titulaire. Elles pourront aussi prévenir une poussée d’inquiétude.

Chose certaine, l’attitude bienveillante d’un cadre limitera le risque que le stress d’un employé «contamine» l’ensemble de son équipe, qui pourrait «raisonner par compassion», ajoute-t-elle.

Dans des périodes troubles, un patron peut même créer des rencontres où des collègues sont invités à voir un peu de lumière à travers tout le brouillard qui les entoure, conseille Ghislaine Labelle.

Troquez votre «positivisme toxique» pour de l’optimisme, comme Volodymyr Zelensky, le président de l’Ukraine. (Photo: 123RF))

Estelle M. Morin proscrit l’envie de dire des phrases et les injonctions comme «ça va aller» et «tout va bien se passer». Tenter de diminuer la gravité de la situation, ou de nier le problème doivent être évité à tout prix.

La professeure vous recommande plutôt de troquer votre «positivisme toxique» pour de l’optimisme, «comme Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, qui reconnait que les conditions sont difficiles, mais qui garde espoir», ce qui aidera les membres de votre équipe.

Si des employés émettent le besoin de parler de leurs sentiments à l’égard du conflit actuel avec d’autres collègues, Ghislaine Labelle vous suggère de vous assurer que ces échanges ne deviennent pas nocifs. Elle reconnait que ça puisse être ardu en télétravail. «Exprimer ses émotions peut être un levier apaisant, mais si ce n’est pas encadré et que les gens s’emballent, ça peut encourager une réaction anxiogène plus importante», prévient-elle.

Elle ajoute que les tensions qui prennent naissance à des kilomètres de votre lieu de travail pourraient s’y transposer.

 

Prenez soin de vous

Ghislaine Labelle ne peut s’empêcher d’avoir une pointe de sympathie pour les gestionnaires qui doivent redoubler de vigilance afin d’épauler les membres de leur équipe, alors que la crise sanitaire n’est toujours pas terminée.

«Pour aider les autres, il faut d’abord prendre soin de soi. [Ceux-ci doivent] s’assurer [de] mettre quelque chose dans leur réservoir de ressources personnelles et d’énergie, des moments de quiétude, de plaisir ou de satisfaction, suggère-t-elle. Je pense que c’est un défi qui s’ajoute. La coupe peut devenir trop pleine».

Or, les patrons ont plus d’un tour dans leur sac, rappelle-t-elle : «Ils ont déjà passer à travers 2 ans de pandémie, ils ont les outils pour traverser cette épreuve».