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Être fidèle envers son employeur, quelle erreur!

Olivier Schmouker|Publié le 11 avril 2023

Être fidèle envers son employeur, quelle erreur!

Le risque de la fidélité, c'est de n'être plus perçu que comme un bon toutou... (Photo: James Barker pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Ça fait des années que je travaille pour la même entreprise, et je n’ai jamais vu ça avant: les jeunes passent en coup de vent et on ne les revoit plus jamais! Comment ça se fait? Trouvent-ils vraiment une meilleure job ailleurs? Ne se nuisent-ils pas en faisant preuve d’un tel manque de fidélité?» – Jacques

R. – Cher Jacques, il est clair que la fidélité est une belle et grande qualité. C’est le signe qu’on est loyal, honnête, droit. Une personne fidèle respecte ses engagements, on peut se fier à elle sans hésiter. Elle est, de toute évidence, un membre précieux de son équipe, pour ne pas dire de l’organisation dans sa globalité.

Cela étant, il se pose tout de même une question: être fidèle, est-ce vraiment payant? Oui, la personne qui fait preuve de fidélité est-elle, au final, payée de retour?

Matthew Stanley est doctorant en psychologie et en neuroscience à l’école de commerce Fuqua de l’Université Duke, à Durham (États-Unis). Avec deux autres chercheurs, il a demandé à plusieurs centaines de gestionnaires de bien vouloir se prêter à une petite expérience: répartir les tâches au sein de différentes équipes, en fonction de scénarios fictifs.

Mine de rien, cela lui a permis de mettre au jour des choses fascinantes:

– Davantage de sollicitations. L’employé considéré comme «fidèle» envers son employeur est systématiquement invité à assumer des tâches supplémentaires. Ce qui n’est pas le cas de l’employé considéré comme «potentiellement infidèle».

– Toujours plus. Plus un employé fidèle accepte de tâches supplémentaires, plus il a de chances qu’on lui demande d’en faire encore et toujours plus. «Il s’agit là d’un cercle vicieux», notent les chercheurs dans leur étude.

– Zéro récompense. L’employé fidèle est celui à qui il est le plus souvent proposé d’en faire plus sans aucune récompense à la clé. Ce qui n’est pas le cas de l’employé considéré comme «potentiellement infidèle».

Bref, «si vous êtes un travailleur fidèle, vous êtes également susceptible d’être un travailleur exploité», résument Matthew Stanley et son équipe.

Comment expliquer ce phénomène? Les chercheurs considèrent qu’un trait caractéristique des personnes fidèles joue en leur défaveur au travail: ils sont disposés à faire des «sacrifices personnels» pour l’objet de leur fidélité. C’est-à-dire qu’ils sont prêts à agir conformément aux intérêts de leur employeur, «même si cela entraîne un coût personnel».

Les gestionnaires, de manière consciente ou pas, sentent que l’employé fidèle est prêt à en prendre davantage que les autres, sans pour autant réclamer quoi que ce soit en échange. Et nombre d’entre eux ont le réflexe de sauter sur l’occasion dès qu’elle se présente.

Pour revenir à votre interrogation, Jacques, il n’est pas nécessairement payant d’être fidèle, contrairement à ce que vous pensez. En vérité, il peut même être payant de se montrer «potentiellement infidèle» puisque ce sont à ces employés-là que les gestionnaires ont tendance à proposer une prime en échange de tâches supplémentaires à assumer. Je ne connais pas la raison exacte pour laquelle autant de jeunes recrues partent si vite de votre entreprise, mais on peut raisonnablement avancer que ça doit être parce qu’ils devinent que l’herbe est sûrement plus verte ailleurs…

En passant, le dramaturge français Étienne Rey a dit dans «De l’Amour de Stendhal»: «Il y a dans la fidélité de la paresse, de la peur, du calcul, du pacifisme, de la fatigue et quelquefois de la fidélité».