Selon une étude, nous sommes incapables de dire si notre salaire actuel est «bas» ou «élevé», ou encore de dire s’il serait justifié, ou pas, de réclamer une hausse salariale à l’occasion d’un changement d’emploi. (Photo: 123RF)
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Q. – «Je suis tentée par l’idée de changer d’employeur afin de décrocher un poste plus intéressant, plus en lien avec mes compétences. Mais j’ai peur que mon futur employeur en profite pour me proposer un salaire équivalent à celui que j’ai à présent, voire moindre…» – Elyzabeth
R. — Chère Elyzabeth, vous craignez qu’un mouvement professionnel positif ne soit pas accompagné d’un mouvement salarial lui aussi positif. Car vous pensez que le réflexe premier d’un employeur est d’accorder un poste «au plus bas soumissionnaire», de rogner au maximum sa «charge salariale».
Avez-vous raison ou tort? Une récente étude pilotée par Simon Jäger, professeur d’économie au Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Cambridge (États-Unis), va nous permettre de trancher.
Avec trois autres chercheurs de Berkeley, de la London School of Economics et de l’Université de Cologne, Simon Jäger a croisé les informations issues de deux vastes bases de données, l’une sur les travailleurs allemands et l’autre sur le marché du travail allemand. L’objectif était de voir si les employés qui venaient ou qui s’apprêtaient à changer d’emploi avaient une juste idée de leur valeur financière réelle ou pas.
Les résultats sont très instructifs.
- En général, les travailleurs considèrent qu’ils auront beau changer d’employeur, cela ne changera pas vraiment leur rémunération.
- Ce fatalisme salarial est particulièrement répandu auprès des travailleurs les moins bien payés. «Pauvres ils sont, pauvres ils resteront», sont-ils convaincus.
Selon l’étude, deux raisons principales expliquent ce phénomène.
– Une profonde méconnaissance de la distribution des salaires. Les travailleurs se trompent presque toujours lorsqu’on leur demande où ils se placent entre les salaires les plus élevés et les salaires les plus bas en vigueur dans leur profession: ils répondent «au milieu».
– Une profonde méconnaissance du marché du travail. Les travailleurs se trompent aussi presque toujours lorsqu’on leur demande quel est le salaire médian dans leur profession. C’est-à-dire le niveau de salaire qui permet de séparer les travailleurs en deux groupes égaux: les 50% les mieux payés et les 50% les moins payés. En général, les gens à qui l’on pose la question sous-estiment le salaire médian.
Autrement dit, vous, comme moi, nous sommes incapables de dire si notre salaire actuel est «bas» ou «élevé», ou encore de dire s’il serait justifié, ou pas, de réclamer une hausse salariale à l’occasion d’un changement d’emploi. Nous sommes en plein flous. Et qui en tire profit? Les employeurs, bien sûr.
Une donnée mise au jour par l’étude pilotée par Simon Jäger le met en évidence: si tous les travailleurs avaient une juste connaissance des salaires en vigueur dans leur profession, les postes qui figurent parmi les 10% les moins bien payés ne trouveraient jamais preneurs ; ils n’existeraient tout simplement plus du tout.
Par conséquent, Elyzabeth, votre peur n’est pas rationnelle. Ce n’est pas parce qu’on change d’emploi qu’on ne peut pas apprécier son salaire. Bien au contraire, c’est souvent là une belle occasion de gagner davantage, à poste et tâches équivalents. D’autant plus que cela ne devrait en aucun cas choquer l’employeur approché:
– Si votre salaire actuel est «bas», il trouvera logique que vous lui demandiez davantage.
– Si votre salaire actuel est «dans la grosse moyenne», là encore, il trouvera logique que vous lui demandiez davantage.
– Si votre salaire actuel est déjà «élevé», il trouvera toujours ça logique que vous continuiez à gagner davantage que la plupart des autres, et même que vous demandiez à gagner encore «un poil plus» qu’auparavant après avoir rejoint ses rangs.