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Des PME dénoncent une «injustice fiscale»

François Normand|Publié le 18 janvier 2021

Des PME ne sont pas admissibles à la DPE, car elles ont peu d'employés et d'heures de travail rémunérées.

De très petites entreprises interviewées par Les Affaires déplorent une «injustice fiscale» qui fait en sorte qu’elles paient beaucoup plus d’impôts que leurs concurrents dont la taille est plus grande.

Ces PME évoluent dans les secteurs des services et de la construction. Elles affirment pâtir de cette situation, car elles ne peuvent pas bénéficier de la déduction pour petite entreprise (DPE) depuis quelques années.

Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), une PME du Québec qui est admissible à la DPE est imposée à 5% en 2020 comparativement au taux général qui s’élève à 11,5%.

Or, pour bénéficier de ce taux réduit de 5% (qui passera à 4 % en 2021), une petite entreprise doit employer au moins trois employés (dont deux à temps plein) et rémunérer au moins 5 500 heures de travail par année.

Cette exigence est en vigueur depuis 2017, mais elle ne s’applique pas aux secteurs manufacturier et primaire.

 

Trois cas de PME

Le cabinet comptable Blais et Mc Martin, à Québec, pâtit de cette situation, déplore sa directrice, Kathleen Mc Martin.

«Cette année, on a fait environ 7 000$ de profit, et je le donne à l’impôt!», dit-elle au bout du fil, en expliquant que son cabinet ne peut pas rémunérer 5 500 heures de travail par année.

Elle confie trouver «tellement injuste» de devoir payer plus d’impôts uniquement parce que Blais et Mc Martin est un petit cabinet comptable.

Comme toutes les entreprises, la femme d’affaires souligne qu’elle a besoin de réinvestir une partie de ses profits dans la PME. En revanche, elle doit s’ajuster puisqu’elle n’a pas droit à la DPE.

«Par exemple, au lieu de changer nos ordinateurs aux cinq ans, on va le faire aux 7 ans, car on essaie de réduire nos coûts.»

Pour avoir droit à la DPE, son cabinet devrait employer trois personnes à temps plein. Or, le modèle d’affaires de l’entreprise ne permet pas d’accroître ainsi sa masse salariale, explique Kathleen Mc Martin.

«Nous ne ferions plus de profit, et nous pourrions même perdre de l’argent», dit-elle.

Patrice Clerbois, copropriétaire avec sa sœur de la PME familiale Chaussures Roger, à Saint-Eustache, déplore aussi cette situation qui réduit sa marge de manœuvre financière.

«Nous payons de 2 000 à 3 000$ de plus d’impôts par année, raconte l’entrepreneur qui a racheté le commerce de son père en 1989. Si nous avions cet argent dans nos poches, nous pourrions par exemple embaucher un employé à temps partiel pour nous aider.»

Hélène Bélanger, propriétaire d’Aerofun, une PME de Mirabel qui loue des structures de jeux gonflables, vit aussi la même situation.

Comme son entreprise ne peut pas accumuler au moins 5 500 heures rémunérées par année, elle ne bénéficie pas de la DPE. «C’est un aménagement déloyal», affirme l’entrepreneure.

Sa PME est actuellement fermée, comme toutes les entreprises dans l’événementiel.

Toutefois, Hélène Bélanger appréhende la réouverture de l’économie. Aerofun devra rembourser ses dettes, mais elle ne partira pas sur la même ligne de départ que d’autres entreprises du secteur.

«On aura moins d’argent dans nos poches comparativement à la compétition qui fait plus de 5 500 heures rémunérées par année et qui paie donc moins d’impôts», déplore-t-elle.

 

La FCEI demande l’abolition de cette règle

François Vincent, vice-président pour le Québec de la FCEI, estime que le gouvernement provincial doit abolir la restriction sur le nombre d’heures rémunérées pour avoir droit à la DPE.

«Toutes les entreprises du Québec devraient avoir le même accès au taux d’imposition réduit pour les entreprises, comme c’est du reste le cas dans les autres provinces canadiennes», insiste-t-il.

La FCEI, qui fait actuellement des représentations à ce sujet auprès du gouvernement en prévision du prochain budget, souhaite que ce dernier mette en place «un régime fiscal qui soit juste» pour l’ensemble des entreprises.

«Nous souhaitons un régime qui accorde un taux réduit d’imposition aux entreprises, mais sans tenir compte du nombre d’employés, du nombre d’heures rémunérées et du secteur dans lequel elles évoluent», dit-il.

Joint par Les Affaires pour obtenir des commentaires, le ministère des Finances à Québec a indiqué dans un courriel qu’il est bien au fait de la situation avancée par la FCEI.

«Cet ajustement fiscal a été mis en place par le gouvernement précédent [les libéraux de Philippe Couillard, NDLR] à la suite au dépôt du rapport Godbout», écrit la directrice des communications, Fanny Beaudry-Campeau.

Selon le ministère, l’objectif du taux d’imposition plus faible «est de soutenir la croissance des PME en leur laissant davantage d’argent».

Québec rappelle que le nombre d’heures exigées afin de profiter du taux réduit représente l’équivalent de 3 employés à temps plein, ce qui est un nombre qui est atteint rapidement par une entreprise qui désire prendre de l’expansion.

Or, cette approche laisse de côté de nombreuses entreprises, comme en témoignent les trois chefs d’entreprises interviewés par Les Affaires. Par contre, la FCEI n’est pas en mesure d’indiquer combien d’entreprises se retrouvent dans cette situation.

Quant aux intentions du gouvernement, le ministère des Finances a refusé de se prononcer.

«Pour ce qui est de l’intention ou non du gouvernement de faire des ajustements, étant donné qu’il s’agit de mesures fiscales, nous ne pouvons pas nous prononcer, car cela aurait une influence sur le comportement des entreprises», écrit Mme Beaudry-Campeau.