Le virage B2B d’un pionnier des programmes d’accélération
Diane Bérard|Édition de la mi‑février 2019AGENT DE CHANGEMENT — Start-Up Chile est un pionnier des programmes d’accélération. Lancé en 2010, il a inspiré une cinquantaine d’initiatives dans le monde entier et a lancé 1 600 jeunes pousses de 85 pays. Les inscriptions pour la prochaine cohorte se terminent le 13 février. Le PDG, Sebastián Díaz Mesa, nous parle de la prochaine étape.
Diane Bérard – Start-Up Chile est le premier accélérateur public au monde. Quelle était sa mission d’origine ?
Sebastián Díaz Mesa – Le gouvernement voulait développer une culture entrepreneuriale et faire du Chili une référence de l’innovation sud-américaine. La planète traversait une récession sans précédent à la suite de la crise financière. De plus, en février 2010, le Chili a subi un tremblement de terre qui a affecté deux millions de personnes. Il fallait relancer l’économie. Pendant ce temps, aux États-Unis, le gouvernement accordait ses cartes vertes et ses visas au compte-gouttes. Les étrangers diplômés des écoles de gestion devaient rentrer chez eux pour lancer leur entreprise. D’autres pays se sont refermés pendant la crise financière. Le Chili a profité de cette situation en ouvrant les portes de son accélérateur aux entrepreneurs étrangers.
D.B. – Vous avez accueilli des entrepreneurs étrangers plutôt qu’investir dans vos entrepreneurs locaux, pourquoi ?
S.B.M. – Il fallait montrer l’exemple, donner envie d’entreprendre. Parmi les exigences du programme, les entrepreneurs devaient donner des conférences et des ateliers. Au fil des ans, plus de 300 000 Chiliens ont participé à ces activités. Les médias ont parlé autant de ces événements que des entreprises de nos «accélérés». C’est ainsi qu’on bâtit une culture entrepreneuriale.
D.B. – Quels résultats avez-vous obtenus ?
S.B.M. – Prenons l’innovation. Depuis 2011, le Global Entrepreneurship Monitor établit un classement des pays où les jeunes pousses lancent le plus de produits originaux, comptant peu ou pas de concurrents. Au cours des sept dernières années, le Chili s’est classé dans le top 10 chaque année. Et la moitié des entreprises issues de Start-Up Chile (54,5 %) étaient toujours en affaires en 2017. Le taux de survie est légèrement plus élevé chez nos accélérés chiliens (59,9 %) que chez nos accélérés étrangers (52,5 %).
D.B. – En 2016, vous avez modifié votre mission. Pourquoi ?
S.B.M. – Nous voulons que nos accélérés contribuent non plus à changer la culture, mais à créer de la valeur économique. En 2011, par exemple, un de nos entrepreneurs étrangers a imaginé une entreprise exploitant la chaîne de blocs. Une technologie alors inconnue au Chili. L’entrepreneur a contribué à nos connaissances, mais il a lancé son entreprise ailleurs parce que notre marché n’était pas prêt. Start-Up Chile ne vise plus un transfert de connaissances, mais plutôt des solutions à nos problèmes économiques, environnementaux et sociétaux. Nous sélectionnons des entrepreneurs qui imaginent des produits et des services utiles ici. Nous avons adopté de nouveaux indicateurs de succès, comme les emplois créés, les ventes et le nombre d’accélérés en affaires au Chili après avoir terminé notre programme.
D.B. – Start-Up Chile est un pionnier des accélérateurs. Comment entrevoyez-vous l’avenir de ces programmes ?
S.B.M. – Il reposera sur la relation entre les grandes entreprises et les jeunes pousses. On voit se multiplier les accélérateurs d’entreprises. Les grandes sociétés n’arrivent pas à innover. Elles sont trop lourdes. Elles créent leurs propres accélérateurs et accueillent les idées des jeunes pousses. Pour moi, c’est une preuve de maturité de la relation entre ces deux groupes. Je crois que les grandes sociétés comprennent mieux la culture des jeunes pousses et vice versa.
D.B. – Pourquoi les gouvernements devraient-ils encourager les accélérateurs d’entreprises ?
S.B.M. – Le gouvernement veut une économie innovante. Il devient évident que pour innover, les grandes entreprises ont besoin des jeunes pousses.
D.B. – Le profil des accélérés de Start-Up Chile change. Expliquez-nous.
S.B.M. – Pour répondre à l’intérêt des grandes sociétés pour les jeunes pousses, nous accueillons davantage d’entrepreneurs qui développent des solutions B2B plutôt que B2C. Les premières années, 80 % de nos diplômés développaient des solutions pour les consommateurs (B2C). Aujourd’hui, 70 % se concentrent sur des produits et des services pour les entreprises.
D.B. – Il y a beaucoup d’accélérateurs dans le monde. La recette du succès doit être connue…
S.B.M. – En fait, non. Les accélérateurs expérimentent peu, ils reproduisent tous la même formule et le même type d’ateliers. Et il existe très peu d’analyse rigoureuse de l’efficacité des interventions des programmes d’accélération. Le livre Accelerators, de Mike Wright, fait exception. Pour notre part, Harvard a fait une étude de cas avec Start-Up Chile. Nous avons travaillé avec Stanford, Harvard et l’Université pontificale catholique du Chili. Et nous amorçons une collaboration avec le MIT.
D.B. – Quel est le mythe principal lié aux programmes d’accélération ?
S.B.M. – Que l’argent fait la différence. Les interactions humaines (mentorat individuel et comité «aviseur») influencent davantage le succès des jeunes pousses que le financement que leur offrent les accélérateurs.
CONSULTEZ LE BLOGUE DE DIANE BÉRARD