Chelsee Pettit a passé une grande partie de l’été à collaborer avec des designers pour créer et fabriquer des vêtements reflétant les valeurs autochtones. (Photo: La Presse Canadienne)
Toronto — Chelsee Pettit a passé une grande partie de l’été à collaborer avec des designers pour créer et fabriquer des vêtements reflétant les valeurs autochtones qu’elle espérait voir dans l’esprit des gens lorsque le Canada soulignerait sa deuxième Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
Mais dans les jours qui ont précédé le 30 septembre, elle a remarqué que plusieurs entreprises n’avaient pas eu la même prévoyance et s’efforçaient de passer des commandes groupées auprès de son magasin, Aaniin.
«C’est juste un peu drôle de voir comment d’autres organisations, qui sont toutes non autochtones, sont à la dernière minute, et elles repoussent ce [travail] sur les peuples autochtones», a observé Mme Pettit, une femme anichinabée.
«Nous ne sommes pas comme les magasins à grande surface qui n’ont que des t-shirts jetables et sont à la disposition de tout le monde. Travailler avec nous à l’avance, au lieu de simplement nous le demander une semaine avant le jour J, je crois que ce serait super utile.»
Mme Pettit a fait de son mieux pour répondre aux commandes de dernière minute, mais elle et d’autres membres de la communauté des affaires autochtones voient cette tendance comme un signe de la quantité de travail supplémentaire que les entreprises canadiennes doivent faire pour transformer le soutien aux communautés autochtones en un effort constant de 365 jours par année.
Alors que de nombreuses entreprises encouragent leur personnel à enfiler des chandails oranges — une tradition lancée en 2013 par la survivante des pensionnats Phyllis Webstad — ou à vendre des marchandises de cette couleur le 30 septembre, ces efforts s’estompent rapidement. Souvent, les entreprises ne font pas grand-chose de plus pour faire entendre les voix et les causes autochtones.
«Il est positif que nous assistions à l’éducation et à la sensibilisation, mais cela peut être assez éprouvant et nuisible pour les peuples autochtones qui y voient une journée d’action, puis rien pour le reste de l’année», a observé Tabatha Bull, présidente et cheffe de la direction du Conseil canadien pour l’entreprise autochtone (CCEA).
Mmes Bull et Pettit estiment que si un employeur cherche à laisser sa marque sur les objectifs de vérité et de réconciliation, il devrait également faire ce travail toute l’année.
Ces efforts devraient commencer par l’éducation du personnel sur les traumatismes anciens et nouveaux auxquels sont confrontés les peuples autochtones et sur la manière de soutenir les personnes touchées.
Les autochtones «sur leur garde» au travail
Mme Pettit se souvient avoir été au travail en 2021, lorsque les restes de 215 enfants ont été retrouvés sur un ancien site de pensionnat en Colombie-Britannique.
«Mon patron à l’époque était comme, “oh, eh bien, tout le monde savait déjà à ce sujet” et l’a un peu écarté du revers de la main, mais je me sentais très émotive ce jour-là pour des raisons évidentes, donc il y a des tonnes de travail qui doivent être fait», a-t-elle expliqué.
C’est ce qui ressort également des études.
Un rapport de 2021 de l’organisation d’équité Catalyst Canada a révélé qu’environ 52% des 86 répondants autochtones interrogés étaient «sur leurs gardes» au travail et qu’environ 60% ne se sentaient pas en sécurité psychologiquement au travail.
L’étude s’appuie sur un sondage réalisé auprès de 820 travailleurs canadiens de divers groupes sous-représentés, mais Catalyst a isolé les résultats des répondants autochtones pour ce rapport parce que leur besoin de se sentir sur leurs gardes ressortait particulièrement.
Krystal Abotossaway, présidente de l’Indigenous Professional Association of Canada, a indiqué qu’elle voyait de plus en plus d’entreprises réfléchir à ce qu’elles peuvent faire pour améliorer leur culture d’entreprise et soutenir les communautés autochtones au cours des dernières années.
La reconnaissance des territoires, qui indique quels peuples autochtones ont vécu et pris soin d’un site où des événements sont organisés, est un bon point de départ, et de plus en plus courant, a-t-elle souligné.
Mme Bull compte au moins 200 entreprises, dont la Banque de Montréal, Uber, Walmart et Rogers, parmi les membres du programme Relations progressistes avec les autochtones du CCEA, une initiative qui les aide à accroître leur sensibilisation culturelle et à faire progresser les plans de réconciliation.
Souligner d’autres journées?
D’autres n’ont pas encore entrepris ce travail. Mme Bull pense qu’ils sont plus lents à agir parce qu’ils se sentent dépassés et ont peur d’avoir des conversations difficiles.
«Certaines entreprises ne savent même pas quelle est la bonne question à poser, a-t-elle noté. Je pense que nous devons aller au-delà de cela, si nous voulons vraiment progresser en tant que pays.»
Mme Abotossaway a indiqué qu’ils pouvaient commencer par souligner d’autres journées autochtones et les utiliser comme une occasion d’éduquer leur personnel.
Parmi celles qu’elle a suggérées, mentionnons la Journée de la robe rouge, qui commémore la vie des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, et la Journée internationale des Inuits, la Journée nationale des peuples autochtones et la Journée Louis Riel, qui célèbre la vie du défunt chef métis.
Les efforts ne doivent pas s’arrêter là, a-t-elle ajouté. Les entreprises devraient réfléchir à la manière dont leurs structures de gouvernance, leurs politiques d’embauche, leurs réservoirs de talents et leurs programmes de formation de la main-d’œuvre s’alignent sur les besoins des autochtones, a-t-elle fait valoir.
«Nous avons vu apparaître beaucoup de contenu d’apprentissage et de développement, mais il ne s’agit généralement que d’un cours et cela peut ne durer qu’une heure, a-t-elle affirmé. Est-ce obligatoire ou non? Et combien de vos employés ou de votre effectif y participent?»
Mmes Abotossaway et Bull conviennent que toute action entreprise lors de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation ou d’autres jours devrait impliquer les peuples autochtones à chaque étape, même si l’action consiste à vendre des vêtements orange.
Mme Bull a insisté: «Si vous voulez créer un chandail orange, assurez-vous que vous travaillez avec un artiste autochtone, assurez-vous que la Orange Shirt Society ou une organisation autochtone en profite et que vous ne faites pas de profit sur le chandail orange ou le 30 septembre.»