Marketing: communiquer les risques en gardant la confiance
Katia Tobar|Édition de la mi‑novembre 2022Selon Camille Alloing, directeur du LabFluens, de plus en plus de secteurs devront «faire des relations publiques, prendre en compte les risques et apprendre à communiquer avec les médias sans accentuer ces risques-là».
Pandémie, pénurie de main-d’oeuvre, bris dans les chaînes d’approvisionnement, les entreprises enchaînent les crises depuis plus de deux ans. Face aux conséquences de plus en plus manifestes des changements climatiques, elles ne semblent pas au bout de leurs peines. Recette pour garder vos actionnaires et vos clients dans un contexte où il y a des risques de crises.
Communiquer sur les risques, c’est demander au conseil d’administration d’une entreprise de mettre en place des mesures qui vont impliquer des investissements pour prévenir une crise qui ne s’est pas encore produite, explique Bernard Motulsky, professeur au Département de communication sociale et publique à l’UQAM. Pour les entreprises, c’est un «défi de crédibilité».
Beaucoup d’entreprises vont communiquer «uniquement quand vient le temps de mettre en place des mesures de risque», explique quant à lui Yannick Hémond, professeur en résilience, risques et catastrophes au Département de géographie de l’UQAM. «Souvent, on gère l’intérêt du générateur de risques et non l’intérêt de ceux qui vont être exposés aux risques, ajoute-t-il. Il faut communiquer dès le début et à l’ensemble des étapes, accepter d’être critiqué et transmettre des informations. Ne pas rassurer, mais éduquer.»
Par exemple, pour s’adapter aux changements climatiques, «on demande aux entreprises de penser sur quinze ans, illustre Yannick Hémond. Mais on ne sait pas ce qui va se passer dans un quartier, dans une rue, dans une usine en particulier. On a des tendances régionales.» Voici donc quelques conseils pour établir une stratégie de communication de risque crédible.
Repérer les signaux d’alerte
Dans un premier temps, il faut détecter les signaux d’alerte émis à la fois en interne et en externe de l’organisation, conseille Camille Alloing, directeur du LabFluens, laboratoire sur l’influence et la communication. Concrètement, cela signifie éplucher les rapports internes de sécurité, sonder les syndicats afin de connaître les dysfonctionnements de l’entreprise, étudier les plaintes des collaborateurs, prendre en compte toutes les demandes d’amélioration de services et exercer une veille sur les réseaux sociaux pour connaître les rumeurs qui circulent.
«Les risques les plus grands sont ceux qu’on a relevés, mais qu’on ne comprend pas, insiste Camille Alloing. En effet, en cas de crise, on ne pourra pas intervenir […] Il faut établir la probabilité des risques, la probabilité que ces risques soient néfastes pour l’organisation», ainsi que la capacité d’adaptation de l’entreprise.
Il donne l’exemple de la crise dans les CHSLD qui a éclaté pendant la pandémie de COVID-19. «Il y avait des tonnes de signaux qui ont été ignorés, qui venaient à la fois de l’intérieur — du personnel — et de l’extérieur — des familles.»
Yannick Hémond souligne quant à lui l’importance de mettre à jour régulièrement sa stratégie de communication de risque. Il rappelle que des plans de perte massive d’employés en cas de pandémie avaient été préparés en 2009, alors que le virus H1N1 se répandait dans le monde entier, mais que ces plans avaient par la suite été «mis aux oubliettes».
Enfin, plus une entreprise est petite, moins elle pourra repérer facilement les risques externes, mais plus elle aura de souplesse en interne pour s’adapter, ajoute Camille Alloing. Contrairement aux grosses entreprises, qui auront plus de difficultés à prendre le pouls de leurs employés. Ces dernières devront également mobiliser plus de ressources, les former à la gestion de crise et «s’assurer de l’adhésion des employés, qui [en cas de crise] deviendront des porte-parole à l’externe», ajoute Marie-Ève Carignan, professeure au Département de communication de l’Université de Sherbrooke (UDS).
La «com» de risque, un secteur en demande
Pour Camille Alloing, «de plus en plus de secteurs vont devoir faire des relations publiques, prendre en compte les risques et apprendre à communiquer avec les médias sans accentuer ces risques-là». Relativement aux changements climatiques, il observe d’ailleurs la présence accrue d’étudiants en météorologie dans son cours «Communication de risque et de crise»à l’UQAM. «Les nouvelles générations sont plus sensibles aux questions de communication, à cette instantanéité de l’information, à la vitrine permanente à laquelle nous sommes exposés», présume Bernard Motulsky, qui voit aussi de plus en plus d’étudiants provenant de formations scientifiques fréquenter le DESS en résilience, risques et catastrophes offert par l’UQAM. L’UDS a d’ailleurs créé, à l’automne 2021, une maîtrise en communication politique internationale et risques démocratiques en partenariat avec Sciences Po Aix (en France) et l’Université catholique de Louvain, en Belgique. Très contingentée (15 étudiants), elle s’ajoute à la maîtrise en communication stratégique internationale qui vise à former des étudiants pour accompagner des organisations nationales et internationales dans la gestion de crises.
«Les crises se complexifient. Ces nouveaux programmes répondent au besoin de s’adapter à la nouvelle réalité», conclut Marie-Ève Carignan.