«Avec le conflit en Ukraine, tout l’environnement médiatique a changé. Il fallait se demander s’il ne valait pas mieux suspendre le message qui vante de retrouver la paix dans son complexe immobilier, message qui pourrait se retrouver entre deux images d’immeubles explosés à Marioupol», explique la directrice de la stratégie pour lg2, Stéfanie Forcier. (Photo: lg2)
Lorsqu’une crise comme l’invasion en Ukraine ou la première vague de COVID-19 prend d’assaut l’ensemble de l’espace médiatique, il n’est pas rare que des marques se fassent lyncher pour avoir manqué d’empathie ou transmis un message insensible.
Le spectre du marketing que les anglophones qualifient de tone deaf — de «déphasé» ou d’«insensible», selon l’Office québécois de la langue française — garde sur le qui-vive les membres de l’équipe de l’agence de communication lg2.
« Il n’y a pas une semaine qui ne passe sans qu’on se demande si notre client a la légitimité ou pas de prendre la parole, avoue d’entrée de jeu sa directrice de la stratégie, Stéfanie Forcier. Notre travail, c’est donc de se demander si on a la place, selon quelles conditions, et ce qu’on doit en faire. »
Lorsque l’armée de Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine, lg2 s’est empressé de retirer une publicité qui avait pourtant bien été reçue pendant les Jeux olympiques, car elle mettait en vedette un personnage russe. « Tout d’un coup, oui t’as des investissements médias, oui t’as des coups de production qui devraient être amortis, mais on ne peut plus la diffuser. Il faut avoir la capacité de s’adapter et de changer le message », illustre celle qui cumule près de six ans dans l’agence.
Si une organisation souhaite communiquer en temps de crise, elle doit éviter d’essayer d’attirer du capital de sympathie sur sa marque, ou de tirer profit d’une situation dramatique, sans quoi elle court le risque de se faire apposer l’étiquette d’opportuniste.
Pour ce faire, l’entreprise doit se poser quatre questions, estime Stéfanie Forcier. Elle doit d’abord se demander quelle est sa réalité d’affaire par rapport à ce qui se passe. Ensuite, elle doit remettre en question le ton de ses initiatives marketing.
« Avec le conflit en Ukraine, tout l’environnement médiatique a changé. Il fallait se demander s’il ne valait pas mieux suspendre le message qui vante de retrouver la paix dans son complexe immobilier, message qui pourrait se retrouver entre deux images d’immeubles explosés à Marioupol », explique la stratège, car le ton n’aurait pas été approprié.
L’entreprise doit aussi revoir s’il est pertinent d’agir, de détourner l’attention de son auditoire — et vers quel genre de message —, tout en étudiant dans quel contexte celui-ci sera diffusé.
Prendre en compte ce dernier point n’est pas une pratique nouvelle en soi, concède Benoit Cordelier, professeur au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal. Toutefois, il observe aujourd’hui une plus grande sensibilité à l’égard des mouvements sociaux et politiques.
« On a traversé, ces dernières années, des controverses qui rendaient la prise de position sur ces enjeux difficiles pour les marques. Le consommateur pouvait condamner autant les messages maladroits que [les entreprises] qui évitaient de se prononcer », illustre-t-il.
Stéfanie Forcier abonde dans le même sens, estimant que leurs attentes sont «très élevées. Ils sont exigeants et intransigeants». Après en avoir discuté avec le directeur général de l’agence ukrainienne de marketing Provid, Yuriy Duma, elle conclut que les marques doivent d’abord poser des gestes concrets avant d’avoir la légitimité de se prononcer sur des sujets houleux.
Avant de diffuser une prise de parole, l’équipe marketing doit se demander si elle «est performative, pour se donner en spectacle, ou si elle sert vraiment à avoir une influence sur les communautés», ajoute Judikaela Auffrédou, vice-présidente à la stratégie de l’agence de communication Cossette.
Avant de diffuser une prise de parole, l’équipe marketing doit se demander si elle «est performative, pour se donner en spectacle, ou si elle sert vraiment à avoir une influence sur les communautés», ajoute Judikaela Auffrédou, vice-présidente à la straté
Réparer les pots cassés
Tout compte fait, ce sont les réactions de l’audience qui permettront de déterminer si le message est déphasé ou insensible. L’organisation réprimandée devra donc rapidement faire amende honorable et preuve d’humilité, estime Benoit Corderlier.
Il n’existe toutefois pas de recette miraculeuse pour protéger une image de marque lorsqu’elle est écorchée par «un mauvais message, au mauvais auditoire, au mauvais moment», estime Judikaela Auffrédou.
Pour réduire les dégâts, chaque entreprise doit comprendre qui sont ses détracteurs, afin de corriger le tir à court et à long terme.
Lorsqu’une publicité de son client Maxi a été qualifiée de grossophobe, l’entreprise n’a eu qu’à la retirer, reconnaître son erreur et s’excuser pour réparer les pots cassés, car elle «a beaucoup de capital de sympathie», explique Stéfanie Forcier.
Pour Les producteurs de lait du Québec, elle a plutôt adopté un nouveau genre de message, mettant de l’avant leurs bonnes pratiques en matière de bien-être animal pour être en accord avec l’opinion publique et les préoccupations changeantes.
«Être capable de reconnaître un faux pas est indispensable pour rétablir le lien de confiance avec le consommateur, affirme la stratège. L’écoute sociale est un outil très puissant pour nous aider à nous aligner.»