Le démarketing au service d’une consommation plus responsable
Katia Tobar|Édition de la mi‑octobre 2022Dans le projet LocoMotion, du le collectif Solon, on fait du marketing, ou plutôt du démarketing à l’ancienne. (Photo: Katia Tobar)
«Don’t buy this jacket» («N’achetez pas cette veste»). En 2011, la marque d’équipements sportifs Patagonia devient une référence du démarketing. En décourageant l’achat de nouveaux produits, elle promeut une consommation plus responsable. Depuis, la tendance a fait des petits. De nombreuses marques vantent la durabilité de leurs produits ou services, flirtant parfois avec de l’écoblanchiment. Alors, comment mettre en place une campagne de démarketing convaincante? Les Affaires a demandé à LocoMotion et à La Transformerie, deux initiatives d’ici qui visent un changement de paradigme.
Le démarketing est une façon d’«encourager la réduction de la consommation d’une catégorie de produits», explique le professeur Marcelo Vinhal Nepomuceno, titulaire de la Chaire de recherche de HEC Montréal sur la prise de décision du consomma-teur et expert en style de vie anticonsommation.
Le démarketing, outil d’éducation
Pour promouvoir le projet LocoMotion, lancé par le collectif Solon, les équipes d’ambassadeurs composées de citoyens impliqués font du porte-à-porte et rencontrent les citoyens des quartiers montréalais à la sortie des écoles. Ils font du marketing, ou plutôt du démarketing à l’ancienne. On ne vend pas des biens ou «des services sur un mode simplement mercantile»; on propose des solutions de mobilité durable afin de réduire l’utilisation de l’auto solo, explique Bruno Armand de l’équipe de développement.
En décrivant sa stratégie de communication, il insiste sur l’«importance de raconter une histoire», créée en éduquant (grâce à des guides et à des tutoriels) et en accompagnant les citoyens dans «un parcours du changement» par des événements, des défis (comme le défi Partage ton auto), ou des jeux (Fresque de la mobilité).
Les citoyens agissent en tant qu’«influenceurs hyperlocaux», explique-t-il. Quant aux événements, ils créent une «attraction», voire une viralité autour du message, et permettent à LocoMotion de se bâtir une réputation et de croître. Autrement. Sans recherche de profit.
On fait «la promotion de l’usage de communs […] On veut vendre aux gens une vision commune, raconter une histoire où la mobilité n’est plus subie, mais choisie», précise-t-il.
Lien de confiance
Avec le projet Rescapés, l’organisme La Transformerie lutte contre le gaspillage alimentaire en vendant des tartinades fabriquées à partir de la collecte d’invendus auprès de plusieurs épiceries montréalaises.
«On ne veut pas produire un million de pots par semaine, explique le chef Guillaume Cantin, directeur général et co-initiateur du projet. Ce serait une antithèse. On ne va pas demander aux commerçants d’avoir plus d’invendus et plus de gaspillage. On va stabiliser la production quand le projet s’autofinancera», assure l’entrepreneur.
Le projet Rescapés agit comme un outil d’éducation. «C’est une carte de visite qui permet de créer un lien de confiance et d’avoir l’écoute de différents acteurs du milieu.»Si les méthodes de marketing pour vendre les tartinades restent traditionnelles (réseaux sociaux, présence dans les médias), le message, lui, diffère des arguments de vente habituels en mettant en avant le problème du gaspillage, la qualité des invendus et le travail des bénévoles derrière le projet.
Démarketing ou écoblanchiment?
«Les stratégies de démarketing peuvent ressembler à du greenwashing», confirme Valérie Vedrines, fondatrice de l’OBNL Masse critique, qui vise à réduire l’empreinte carbone de l’industrie des communications et du marketing.
Face à la sensibilisation croissante de la population aux changements climatiques, même les enseignes spécialisées dans la fast fashion s’y mettent. «Ça montre l’impact de ce discourslà», observe le professeur Nepomuceno. «Tu ne peux pas juste utiliser un emballage vert quand tu lances un produit, illustre Valérie Vedrines. Il faut être authentique.»Elle conseille de miser sur des campagnes plus sobres, plus ciblées, et de changer le narratif pour rester cohérent, en mesurant l’empreinte carbone de sa campagne, en privilégiant des séances photos locales, ou en évitant un tournage en 8K pour la diffusion d’une publicité sur les réseaux sociaux.
En contexte d’inflation, le professeur Nepomuceno confirme que le démarketing peut vendre un «changement de paradigme». «Aujourd’hui, la source de bien-être est liée à la consommation, mais cela n’a pas toujours été le cas. Avant, le bien-être était lié à la communauté, à la famille.»
«La publicité a un pouvoir énorme, […] on peut montrer qu’est-ce qu’une belle vie aujourd’hui, à quoi ressemble une normalité plus responsable», insiste Valérie Vedrines.