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Alerte pour les banques: les prêts en crypto progressent

François Remy|Publié le 07 mars 2022

Alerte pour les banques: les prêts en crypto progressent

Les consultants estiment que garantir des prêts avec des cryptomonnaies est une approche très risquée. (Photo: 123RF)

LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.


(Illustration: Camille Charbonneau)

 

Ce segment du marché financier est encore loin d’atteindre la maturité mais le développement des prêts en cryptomonnaies et la demande des clients progressent tellement que les banques auraient à s’en (pré)occuper.

Un petit drapeau rouge vient de se lever quelque part dans l’armée de consultants qui suivent l’avancée des cryptomonnaies. Un avertissement que lancent aux banques Dimitrios Goranitis et Andrada Tanase, deux responsables du conseil en gestion du risque et de la réglementation du cabinet Deloitte. La mécanique financière et économique serait en train d’entamer un basculement historique.

Pendant des siècles, l’argent était emprunté par les banques aux épargnants pour le prêter aux personnes qui veulent entreprendre, remémorent les deux experts dans une note. Mais l’écosystème des cryptomonnaies emploie désormais le même principe. En quête de revenu passif, les détenteurs de cet argent digital sont disposés à les prêter à d’autres.

« La demande pour cette nouvelle fonctionnalité est massive, avec un nombre significatif d’utilisateurs demandant pour son implémentation, étant donné l’attractivité des taux d’intérêt offerts. Sur certaines plateformes, les dépôts en bitcoin peuvent atteindre des rendements de 8,5% par an. Et pour certains stablecoins, ce chiffre peut aller jusqu’à 14%, ce qui surpasse bien des classes d’actifs », fait-on remarquer chez Deloitte.

Quelle alternative bancaire ?

Comment l’industrie bancaire pourrait-elle réagir? Qu’ont de plus ces plateformes crypto telles que BlockFi, Celsius et consorts? S’agirait-il seulement d’un risque supplémentaire à ajouter aux activités des banques ?

Les risques associés à ces nouveaux rouages financiers pour les prêts en cryptomonnaies ne seraient pas difficiles à cerner, selon les consultants. Garanties de crédit, identification des clients, origine des fonds, autant de points d’attention qui ne semblent pas insurmontables.

Mais ce marché émergent cristallise certains dangers sans commune mesure dans la finance traditionnelle. Des cryptomonnaies peuvent disparaissent du jour au lendemain. Ou être volées dans des quantités impossibles à mobiliser autrement. Deloitte rappelle sans le nommer le hack de Poly Network lors duquel l’équivalent de 600 millions de dollars américains avaient été subtilisés. Cas extraordinaire puisque le pirate informatique a restitué son énorme butin.

En ce qui concerne les contreparties financières, les consultants estiment que garantir des prêts avec des cryptomonnaies est une approche très risquée, surtout lorsque le marché tangue et plonge. Beaucoup d’investisseurs crypto ont tendance à liquider leur position. Mais ces dynamiques de prix ou même de valorisation des actifs digitaux échapperaient à tout autant de banquiers.

«Jouer avec le feu»

Ces préoccupations n’ont rien d’inédit ou de récent. Même l’ancien gouverneur de la banque centrale canadienne avait avoué en pleine flambée du marché que le bitcoin l’empêchait de dormir. Mais le dédain maladif et la critique pauvrement argumentée des responsables, monétaires, financiers ou réglementaires, ont laissé se développer les cryptomonnaies une sorte de zone franche en marge de l’économie réelle: «de sorte que l’on peut jouer avec le feu même si les implications et les risques ne sont pas pleinement compris», épingle-t-on chez Deloitte.

Qui n’est pas à la recherche d’un rendement élevé, pour un risque aussi faible que possible ? Mais les seuils de tolérance au danger varient fortement. Au fil des actualités plus ou plus sensationnelles, les gendarmes monétaires et financiers multiplient les sursauts de conscience et tentent d’encadrer cette nouvelle forme «d’argent d’Internet». Difficile de canaliser, limiter les abus, voire d’interdire, avant de comprendre les enjeux industriels et sociétaux.

Les banques et les régulateurs perçoivent cet «avenir radieux et moins volatile pour le marché des cryptomonnaies, avec une réduction des fraudes, du blanchiment d’argent et des pièces volées», indique la note de veille du cabinet de conseil.

Mais attendre une miraculeuse normalisation de ce marché naissant pour lui faire pleinement confiance, c’est courir le risque ultime de le laisser progresser jusqu’à un stade de maturation où il sera trop tard pour y occuper une position déterminante.