Elle se définit comme une «militante pour la surveillance publique des réseaux sociaux». (Photo: 123RF)
Frances Haugen, qui a livré mardi un témoignage accablant contre Facebook devant le Congrès américain, est convaincue de sa nouvelle mission: faire comprendre que le réseau social peut être aussi dangereux que bienfaisant et qu’il doit en conséquence être bridé.
Cette femme de 37 ans, ancienne membre d’une équipe dédiée à l’intégrité civique au sein du groupe de Mark Zuckerberg, a récolté des milliers de documents internes avant de quitter l’entreprise en mai.
Confiés notamment au Wall Street Journal, ils ont suffisamment alarmé les élus américains pour qu’ils organisent rapidement une audition sur la protection des enfants en ligne.
Frances Haugen avait déjà dévoilé son visage au grand public dimanche, dans l’émission « 60 minutes ».
Mardi, vêtue d’un tailleur noir, cheveux blonds sur les épaules, elle a livré un témoignage clair, calme et incisif devant les parlementaires.
Frances Haugen dit avoir vu un ami proche se perdre dans les méandres des théories conspirationnistes.
«C’est une chose d’étudier la désinformation, c’en est une autre d’y perdre quelqu’un», a-t-elle raconté dans une interview au Wall Street Journal.
Embauchée chez Facebook en 2019 avec l’espoir d’aider l’entreprise à corriger certains défauts, Frances Haugen s’est de plus en plus inquiétée des choix opérés par le groupe.
Témoigner
Pour gagner de l’argent grâce aux publicités, explique-t-elle, le réseau social doit faire en sorte que ses membres restent sur la plateforme le plus longtemps possible. Et pour ce faire, les contenus haineux et sources de discorde sont souvent les plus à même de retenir l’attention.
Facebook a bien mis en place des équipes pour limiter la désinformation au moment des élections et modifié ses algorithmes pour réduire la diffusion de fausses informations.
Mais son équipe, qui s’intéressait aux risques que pouvaient poser certains utilisateurs ou certains contenus à l’approche d’élections, a été démantelée peu après le scrutin présidentiel américain de novembre 2020.
À peine deux mois plus tard, le 6 janvier, le Congrès américain était envahi par des émeutiers.
Frances Haugen a alors vraiment commencé à mettre en doute la volonté du groupe de mettre suffisamment de moyens sur la table pour protéger ses membres. Facebook, conclut-elle, préfère privilégier ses profits.
En mars, elle s’installe à Porto Rico en espérant pouvoir continuer à travailler à distance. Les ressources humaines lui disent que ce n’est pas possible. Elle accepte alors de démissionner, a-t-elle expliqué au Wall Street Journal.
Mais il faut témoigner de ce qui se passe à l’intérieur du groupe, croit-elle fermement: les propres recherches de l’entreprise montrent bien que passer du temps sur Instagram peut nuire à la santé mentale des adolescents.
Elle collecte des documents sur Facebook jusqu’au dernier moment, s’attendant à être prise la main dans le sac à tout instant, et contacte en parallèle une ONG spécialisée dans l’aide aux lanceurs d’alerte.
«Je veux sauver» Facebook
Sur son compte Twitter, tout juste créé, elle se définit comme une «militante pour la surveillance publique des réseaux sociaux».
Ses premiers mots: «Ensemble nous pouvons créer des réseaux sociaux qui font ressortir le meilleur de nous-mêmes.»
Née dans l’Iowa, Frances Haugen raconte sur son site avoir participé tout au long de son enfance, avec ses deux parents, professeurs, aux primaires de l’élection présidentielle, ce qui lui a «instillé un fort sentiment de fierté pour la démocratie et l’importance de la participation civique».
Elle a assisté plusieurs fois au festival Burning Man, qui se tenait chaque année dans le désert du Nevada avant la pandémie, en tant que volontaire ayant pour rôle d’expliquer les règles aux participants et de les aider à résoudre les conflits.
Ingénieure de formation, elle se définit elle-même comme une spécialiste des algorithmes, une compétence qu’elle a exercée chez plusieurs géants de la tech. Elle a travaillé chez Google, pour l’application de rencontres Hinge, le site de recommandations de commerces Yelp, le réseau Pinterest, et finalement Facebook.
Le 17 mai, peu avant 19 h, elle se déconnecte pour la dernière fois du réseau interne à l’entreprise, a-t-elle raconté au Wall Street Journal.
Comme pour se justifier, elle laisse une dernière trace écrite: «Je ne déteste pas Facebook», tape-t-elle alors sur son clavier. «J’aime Facebook, je veux sauver» le groupe.