«L’imposition d’une telle restriction enverrait un mauvais signal à l’industrie et limiterait ainsi son développement au Québec» dit Bitfarms. (Photo: 123RF)
LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.
LES CLÉS DE LA CRYPTO. Lorsque des juridictions mettent en place des encadrements spécifiques pour le minage de cryptomonnaie, cela stabilise la demande d’énergie. Hydro-Québec se félicite d’en avoir fait la démonstration concrète. Une démonstration par l’absurde, serait-on encore tenté de conclure dans l’industrie des cryptomonnaies.
Pionnière de l’énergie renouvelable, la société d’État n’exporte pas que ses surplus d’électricité au-delà des frontières canadiennes, mais également son savoir-faire. C’est ainsi que Kim Robitaille, directrice de l’approvisionnement en électricité chez Hydro-Québec, a dernièrement exposé aux députés fédéraux de Belgique la stratégie mise en place pour canaliser l’énergivore industrie du minage de cryptomonnaies.
Pour résumer ces trois dernières années de polémique sectorielle, Hydro-Québec a préféré se rendre indésirable pour l’écosystème du bitcoin. Avec un éventail de conditions commerciales pensé comme une arme de dissuasion massive.
«La crise du bitcoin»
«Depuis 2018, Hydro-Québec, de concert avec les gouvernements québécois successifs et la Régie de l’énergie, a établi des règles spécifiques à l’usage cryptographique appliquées aux chaînes de blocs», a rappelé la directrice de l’approvisionnement. «Ce qui fait que le Québec dispose aujourd’hui d’un encadrement réglementaire exigeant qui diminue l’intérêt pour les mineurs de cryptomonnaies de s’y installer.»
Le narratif n’a officiellement pas changé pour le fournisseur et distributeur d’énergie québécois. Sa gestion du dossier crypto concrétisait «la nécessité d’agir» face à « la crise ». Au printemps 2018, un nombre exagérément élevé de demandes de raccordement inonde Hydro-Québec. Le volume théorique pour satisfaire ces nouveaux besoins est estimé à 18 000 MW. Ce qui représenterait la moitié de la consommation totale de la province. Des solutions devaient donc être trouvées pour freiner la demande, car l’énergéticien s’avouait incapable d’y répondre compte tenu des moyens d’approvisionnement en électricité existants et la capacité limité de son réseau de distribution et de transport.
Rentabiliser cet engouement ?
Entreprise historique avec un actionnaire naturellement intéressé par les retombées financières, Hydro-Québec n’allait pas totalement bouder son plaisir. L’idée sera d’établir un seuil minimal de fourniture d’énergie, à prix fort.
«Afin de tirer le maximum de bénéfices de cet engouement, il est proposé de rendre disponible un bloc de MW fixe dont l’attribution se ferait par un appel de propositions, favorisant les projets avec le plus de retombées économiques et environnementales», a expliqué Kim Robitaille.
Le gouvernement québécois vient soutenir HQ en lui permettant de suspendre l’alimentation pour ces demandes, à défaut de quoi le client doit payer un tarif dissuasif de 15 cents du KWh, contre 8 cents en moyenne pour le tarif général.
Les aléas réglementaires
Avec le soutien du régulateur, la Régie de l’énergie, Hydro-Québec, crée une nouvelle catégorie d’utilisateurs « blockchain » avec un bouquet de conditions spécifiques. Mais le tarif dissuasif est maintenu.
De petits entrepreneurs crypto de la province se sentaient à l’époque engagés dans un massacre de gladiateurs avec le bras énergétique tout-puissant du gouvernement. Même un compétiteur québécois de carrure plus imposante, Cogeco, était à son tour entré dans l’arène réglementaire. L’important groupe télécom s’inquiétait du tarif blockchain d’Hydro-Québec.
La société d’État veut lancer un appel de propositions. Elle a déjà conclu des ententes avec des clients crypto pour 158 MW. De leur côté, les dix petits réseaux municipaux ont également profité de l’engouement et conclu des ententes totalisant 210 MW. Avec le nouveau bloc fixe, c’est donc un total de 658 MW. Autrement dit, près de 30 fois moins que les estimations initiales.
Hydro-Québec ne lancera l’appel qu’en octobre 2019 et d’ici à sa clôture, compte tenu des délais réglementaires, le cours du bitcoin aura considérablement diminué. Et vu les conditions plus contraignantes pour participer à l’appel, les soumissionnaires devant payer les coûts de raccordement et évaluer les retombées, l’opportunité de s’investir dans l’industrie du bitcoin échappe. Seulement 32 MW ont trouvé preneur.
«La consommation totale d’électricité au Québec pour l’usage cryptographique appliqué aux chaînes de blocs est stable actuellement à environ 150 MW», a indiqué la directrice d’approvisionnement. «Ces conditions ont fait que peu de projets se sont matérialisés. On ne reçoit à peu près plus de demandes. Le contexte d’affaires pour opérer est plus contraignant qu’auparavant. Des ventes additionnelles semblent peu probables.»
Contexte de nouveau propice
Cela fait plus de trois ans que le dossier attend d’être finalisé, plusieurs joueurs importants dans le secteur et opérants déjà au Québec tentent de contester les règles applicables. Qui voudrait miner de la crypto à ce prix-là ?
Mais Hydro-Québec a confirmé l’hypothèse politique: une réglementation stabilise la demande. Mais en contrepartie, la demande se déplace rapidement vers d’autres juridictions qui n’ont pas d’encadrement propre à ce marché.
«L’imposition d’une telle restriction enverrait un mauvais signal à l’industrie et limiterait ainsi son développement au Québec», argumentait récemment devant la Régie le géant québécois Bitfams.
Depuis 2018, le marché du minage de cryptomonnaie a évolué de manière considérable. La valeur des actifs digitaux et la rentabilité de l’activité de minage n’ont plus aucune commune mesure.
«On a vu récemment une forte hausse de la valeur des titres des compagnies actives dans ce domaine et les nombreuses manifestations d’intérêt. Le fait que la Chine ait restreint de manière significative le minage de cryptomonnaie sur son territoire apporte au dossier actuel devant la Régie une nouvelle perspective», a aussi plaidé devant le régulateur de l’énergie la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).
Pour ne plus louper ce rendez-vous, recevez les «Clés de la crypto» dans votre boîte de courriels !