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«La crypto n’a commis aucun crime»

François Remy|Publié le 09 janvier 2023

«La crypto n’a commis aucun crime»

Le nombre d’utilisateurs actifs sur Bitcoin s’élève actuellement à plus de 900 000 adresses. (Photo: 123RF)

LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.


(Illustration: Camille Charbonneau)

Les attaques anti-crypto se répètent sans autre forme de procès. Profitant des vulnérabilités exhibées par l’industrie en 2022, régulateurs bancaires et institutions monétaires essaient de battre en brèche les technologies révélées par le bitcoin. Privée de défense attitrée, la crypto fait pourtant preuve de résistance. 

Du pari en ligne où la peur de rater une opportunité s’est transformée en peur de ne pas pouvoir s’échapper. Voilà en substance le message catastrophiste adressé par Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE (banque centrale européenne), pour dépeindre le marché crypto. Ce docteur en économie italien, dont la trajectoire professionnelle n’est jamais sortie des grandes institutions monétaires, appelle de ses vœux la fin des cryptomonnaies.  

Ce banquier central préfère la domination active, à grands coups de réglementation et de taxation. Il s’oppose à cette tendance chez certains intellectuels consistant à prôner le laisser-faire, vouant le bitcoin au bûcher des vanités et aux pratiques sulfureuses. Pas question pour Fabio Panetta de laisser les cryptos simplement partir en fumée, et avec elles des centaines de millions de dollars d’économies. 

«D’abord parce que, malgré leurs défauts fondamentaux, il n’est pas certain que les actifs crypto seront ultimement emportés par l’autocombustion. Ensuite, parce que le coût pour la société d’une industrie non régulée est trop élevé que pour être ignoré», objecte-t-il de façon imagée. 

«Les banques centrales préserveront la confiance dont dépendent les formes privées de monnaie» 

Ce directeur de la BCE insiste en remémorant à qui voudra bien le croire que les cryptos ne jouissent «d’aucune valeur intrinsèque», ne permettent «aucune fonction sociale ou économique utile» et que seuls des investisseurs rêvant de les revendre plus cher que leur prix d’achat les emploient. «Il s’agit d’un jeu de hasard déguisé en placement financier», affirme Panetta. 

En conséquence, il souhaite «attaquer de front les coûts sociaux significatifs des cryptomonnaies», ajoutant à la nature spéculative des cryptos leur facilitation de l’évasion fiscale et leur déplorable impact environnemental. Autant d’arguments qui démontrent, selon cet opposant affirmé sans nuances, que le temps presse pour installer des garde-fous dignes de ce nom et combler des lacunes réglementaires béantes. 

Le banquier central européen ponctue son plaidoyer à charge en estimant qu’une seule solution existe pour offrir de solides fondations à l’écosystème digital de la finance : «un actif numérique sans risque et fiable qui ne peut être fourni que par la monnaie de banque centrale» (sic). Une déclaration à apprécier dans le contexte actuel d’inflation galopante sur fond de croissance délurée du bilan des institutions monétaires… 

En tout cas, les banques centrales prêchent pour leurs chapelles et surtout leurs propres monnaies cryptées (MNBC), ces euros, yuans ou dollars «blockchainisés» dont les versions expérimentales ne parviennent pas à convaincre non plus. 

«Les crypto-actifs sont incompatibles avec des pratiques bancaires sécurisées et fiables» 

Dans la récente cacophonie du secteur crypto, banques centrales et régulateurs du monde entier en profitent pour accorder leurs violons et faire vibrer les cordes sensibles. Quasi simultanément à la sortie médiatique anti-crypto de la BCE, les mêmes sirènes alarmistes ont sonné aux États-Unis. La Federal Reserve, la banque centrale américaine, la FDIC, l’agence garante des dépôts bancaires, et l’OCC, le département du Trésor en charge de la supervision des banques nationales, ont jugé les crypto-actifs «incompatibles» avec les banques

Sur le ton de la découverte au terme d’une longue analyse, les régulateurs américains ont énuméré sans grande originalité ni finesse une liste de risques propres, selon eux, à l’écosystème né avec le bitcoin : «fraudes et escroqueries ; incertitudes juridiques ; déclarations inexactes ou trompeuses ; volatilité importante ; panique bancaire», etc. 

Il semble toujours nécessaire de rappeler que les réseaux publics décentralisés tels que Bitcoin et Ethereum n’étaient pas le problème et ne présentaient/ne présentent pas de risques fondamentaux. Les risques surviennent du comportement d’acteurs corrompus, usurpateurs des technologies. 

«Les cryptos semblent prêtes à retrouver leur propension à surperformer la plupart des actifs traditionnels» 

Ce que retiendront les manuels d’Histoire de l’année 2022 en ce qui concerne les cryptos n’est pas encore finalisé, contraste le stratégiste sénior de Bloomberg Intelligence, Mike McGlone. «Le code n’a commis aucun crime», assure-t-il avec l’aide d’analystes dans leur dernier rapport d’analyse, comparant le marché baissier du bitcoin à celui des actions liées à Internet au début des années 2000. 

«Les cryptos éprouvent des douleurs de croissance», note-t-on chez Bloomberg Intelligence. Bitcoin, Ethereum et consorts apparaissent encore comme des actifs émergents dans une classe d’investissement encore «au stade de l’enfance». Mais l’avancée des technologies migrerait vers un courant plus dominant, plus grand public. 

Les analyses graphiques et les données colligées soutiennent dès lors des perspectives plutôt optimistes pour les cryptos. «Dans cette évolution d’Internet, ce que les cryptos apportent à la finance traditionnelle paraît similaire à ce qu’ont apporté les contrats à terme et fonds négociés en Bourse. Il n’y a pas grand-chose qui puisse empêcher à long terme cette technologie de pointe de faire la même chose que les marchés à terme et les FNB. Les NFT et les plateformes d’échanges décentralisés en sont des avancées supplémentaires», considèrent les stratégistes. 

Dans la jeune vie des cryptos, il ressort que les réseaux décentralisés grandissent au travers de chaque cycle baisser de marché. «À chaque creux d’un marché durablement baissier, les spéculateurs et les investisseurs sur le court terme s’enfuient, les volumes rétrécissent brutalement, mais les adresses actives augmentent», remémore Bloomberg Intelligence. Le nombre de ces utilisateurs sur Bitcoin, par exemple, s’élève actuellement à plus de 900 000 adresses actives. Contre 600 000 lors du précédent hiver crypto. À méditer… avant de réglementer. 

 

À (re)lire: Retour sur l’info techno de 2022