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Non, le NFT n’est pas (encore) mort

François Remy|Publié le 25 septembre 2023

Non, le NFT n’est pas (encore) mort

Au-delà des portraits de singes las et autres punks pixélisés, au-delà de la spéculation qui a gangréné le marché des NFT, la technologie des tokens non fongibles recèle des promesses dont on ne mesurerait pas encore précisément les enjeux sociétaux. (Photo: 123RF)

LES CLÉS DE LA CRYPTO. Si vous vous dites que les cryptos sont broche à foin, qu’il ne se passe plus grand-chose autour du bitcoin à part des escroqueries ou que ce marché digital reste trop déconnecté de nos réalités, cette chronique est faite pour vous.

(Illustration: Camille Charbonneau)

Même si le vénérable magazine RollingStone titrait récemment Vos NFT sont en fait — enfin — totalement sans valeur, avec une pointe de jubilation en s’appuyant sur de nouvelles statistiques du marché, la réalité s’avère plus nuancée.

Les statistiques, c’est comme un maillot de bain. Ce qu’elles révèlent est suggestif. Ce qu’elles dissimulent est essentiel. Lorsqu’un jeune et peu connu site de paris en ligne diffuse du marketing de contenu en actant la «mort des NFT», on se demande ce que cela cache. Surtout quand les chiffres prennent une dimension stalinienne et arithmétiquement indiscutable.

«Sur les 73 257 collections NFT que nous avons identifiées, 69 795 ont une capitalisation de marché de 0 Ether (ETH)», a ainsi asséné le spécialiste en paris NFT de dappgambl.com. «Cette statistique signifie en fait que 95% des détenteurs de collections NFT détiennent actuellement des investissements sans valeur.» Soit quelque 23 millions de personnes grugées et lésées par la mode éphémère de ces tokens prétendus uniques, dans tous les sens du terme.

Ajoutez à cela que la demande ne serait pas suffisante pour répondre à l’offre, «près de quatre collections sur cinq restant invendues», que l’impact environnemental s’avère comparable «aux émissions annuelles de CO2 de 2048 ménages», ou encore que l’ampleur du carnage pourrait être sous-estimée, le nombre de NFT morts étant certainement plus élevé vu «les caractéristiques des stratégies de prix spéculatives du marché». Venant d’un site de conseils pour casino crypto en ligne, l’expertise semble totale et l’estocade portée aux NFT, finale.

Une aubaine pour les «commentateurs de salon»

Actons donc la disparition de cette technologie inutile, coûteuse, voire périlleuse! Comme se sont empressés de faire les anti-cryptos de tous bords, jubilant de ces chiffres funestes servant d’argument massue dans leur discours d’opposition.

«Bien sûr, les enthousiastes ne se sont pas trop inquiétés de cela lorsque les NFT étaient une marchandise très prisée. Et si les NFT font un jour un retour modeste, les préoccupations climatiques seront probablement à nouveau écartées. Il ne faut pas que ce genre d’événement vienne perturber le prochain cycle d’engouement», avait pressenti mon confrère de RollingStone, qui n’a accordé dans son article à charge que deux maigres phrases aux perspectives demeurant pour cette technologie des identifiants numériques sur blockchain que constituent ces NFT.

D’ailleurs, l’analyste de DappGambl évoquait déjà le danger d’amalgame de cette situation sombre, précisant que «de nombreux commentateurs de salon ont qualifié ce crash de la mort du NFT. À notre avis, les NFT ont cependant encore une place à l’avenir. Toutes les choses surfaites sont vouées à l’échec mais une fois la poussière retombée, nous commencerons à voir une évolution au sein des NFT».

 

Vérités chiffrées, conclusions biaisées?

Contrairement à un environnement binaire de l’informatique, l’évolution de ces technos ne se déroule pas de façon dualiste, de 1 ou de 0, de vie ou de mort. Prenons cet autre exemple statistique, dont les chiffres proviennent du Rapport 2023 sur l’activité criminelle liée aux cryptos réalisé par la très sérieuse entreprise Chainalysis. Plus de 1,1 million de nouveaux tokens ont été lancés rien que l’année passée sur les blockchains Ethereum et BNB (Binance). Or, la quasi totalité de ces actifs numériques n’a pratiquement pas gagné de traction. Seuls 40 521 ont donné lieu à quelques échanges sur les plateformes crypto durant la semaine qui a suivi leur lancement.

Autrement dit, 99,96% de ces tokens étaient mort-nés. Avec pareille statistique, il serait tentant, car intellectuellement et mathématiquement valide, d’acter là aussi la disparition des cryptomonnaies. Il n’en est rien pour l’heure comme nous le rappellent les gouvernements et régulateurs de ce monde qui font entrer le bitcoin, les stablecoins et les NFT dans les législations et normes fiscales, juridiques et autres.

Au-delà donc des portraits de singes las et autres punks pixélisés, au-delà de la spéculation qui a gangréné le marché des NFT, la technologie des tokens non fongibles recèle des promesses dont on ne mesurerait pas encore précisément les enjeux sociétaux, notamment les apports entrepreneuriaux. Assurément, toute entreprise n’a pas besoin de NFT. Rien ne sert de chercher à «nftéiser» à tout prix ses affaires. Mais voyons les NFT comme une technique supplémentaire offerte par le phénomène plus global de tokénisation.

Il n’est pas question de s’adapter coûte que coûte aux NFT, mais d’au moins vérifier si ces NFT ne s’adaptent pas éventuellement à notre société, à notre offre de services ou de produits, à nos modèles commerciaux actuels ou expériences clients futures.

Évidemment, pour paraphraser un célèbre écrivain humaniste français, technologie sans minutie n’est que ruine…

 

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