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Reconnaissance faciale: Clearview AI enfreint les lois

La Presse Canadienne|Publié le 03 février 2021

Reconnaissance faciale: Clearview AI enfreint les lois

(Photo: 123RF)

Un nouveau rapport des chiens de garde de la vie privée conclue que l’utilisation au Canada de la technologie de reconnaissance faciale de la société américaine Clearview AI enfreint les lois fédérales et provinciales qui régissent les renseignements personnels.

Dans un rapport publié mercredi avec trois de ses homologues provinciaux, le commissaire fédéral à la protection de la vie privée, Daniel Therrien, affirme qu’en prélevant des milliards d’images de personnes sur internet, l’entreprise Clearview, établie à New York, s’adonnait à une « surveillance de masse », ce qui constitue une violation flagrante des droits à la vie privée des Canadiens.

La technologie de Clearview AI permet la collecte d’un grand nombre d’images provenant de diverses sources. Cette vaste banque d’images peut ensuite aider les policiers, les institutions financières et d’autres clients à identifier des inconnus, grâce à la technologie de reconnaissance faciale.

L’enquête menée par le commissaire fédéral et les responsables chargés de la protection de la vie privée au Québec, en Alberta et en Colombie-Britannique indique que la technologie de Clearview AI a permis aux corps policiers et à des organisations commerciales, à des fins d’enquête, de faire correspondre des photographies d’inconnus à cette immense banque de données, qui compte plus de trois milliards d’images.

L’enquête conjointe des commissaires a conclu que Clearview AI avait amassé des informations biométriques très sensibles à l’insu ou sans le consentement exprès des personnes concernées. Les commissaires concluent que cette pratique crée un risque « important de préjudice grave » pour les personnes, notant que la plupart d’entre elles n’ont jamais été et ne seront jamais impliquées dans un crime.

Les commissaires estiment que cette « surveillance de masse » pratiquée par Clearview pour construire sa banque d’images constitue « un affront au droit à la vie privée » et inflige « un préjudice général à tous les membres de la société, qui se retrouvent constamment dans une parade d’identification policière ».

« C’est tout à fait inacceptable », a déclaré M. Therrien lors d’une conférence de presse, mercredi.

 

Clearview se défend 

Clearview AI a déclaré aux enquêteurs que les lois canadiennes sur la protection de la vie privée ne s’appliquaient pas à ses activités parce que l’entreprise n’avait pas de « lien réel et substantiel » avec le Canada et que le consentement n’était pas nécessaire parce que l’information était accessible au public.

Les commissaires ont rejeté ces arguments. Ils ont découvert que Clearview avait non seulement recueilli des images de Canadiens, mais également commercialisé activement ses services auprès d’organismes canadiens chargés de l’application de la loi. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) est ainsi devenue un client payant de Clearview et un total de 48 comptes, « d’essai ou autres », ont été créés pour des corps policiers et d’autres organisations à travers le pays, ont appris les commissaires.

M. Therrien avait annoncé l’année dernière que Clearview AI cesserait d’offrir ses services de reconnaissance faciale au Canada en réponse à l’enquête. Clearview devait ainsi suspendre indéfiniment son contrat avec la GRC, le seul client qu’il lui reste au pays. L’entreprise américaine a toutefois rejeté les recommandations des quatre commissaires de cesser de colliger des images de personnes au Canada et de supprimer les images et détails biométriques d’individus qu’elle possède déjà.

Les commissaires ont prévenu mercredi que si l’entreprise continue de résister, ils « entreprendront les autres actions » à leur disposition en vertu de leurs lois respectives.

Le bureau de M. Therrien termine par ailleurs une enquête connexe axée justement sur l’utilisation par la GRC de la technologie de Clearview AI.

 

Au comité des Communes ?

Le député conservateur Michael Barrett a écrit sur Twitter que Clearview AI devrait comparaître devant le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique des Communes « pour être tenu responsable de ses actes ».

M. Therrien et ses homologues provinciaux élaborent des lignes directrices à l’intention des organismes d’application de la loi sur l’utilisation des technologies de reconnaissance faciale. Ils prévoient de publier ces lignes directrices, pour consultations, ce printemps.

Des dizaines de groupes et d’individus qui travaillent à la protection de la vie privée, des droits de la personne et des libertés civiles veulent que le gouvernement fédéral interdise l’utilisation de la surveillance par reconnaissance faciale par les organismes fédéraux d’application de la loi et de renseignement.

Dans une lettre ouverte adressée au ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, en juillet dernier, ils ont qualifié cette technologie de « très problématique », étant donné son manque de précision et sa nature envahissante. Ils estiment que la reconnaissance faciale constitue une menace pour les droits fondamentaux des Canadiens.