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Cryptomonnaies: le flou sur la réglementation des transactions

François Remy|Publié le 10 mai 2021

Cryptomonnaies: le flou sur la réglementation des transactions

L'industrie des cryptomonnaies est complexe, et pour soutenir l'innovation, la réglementation doit travailler sur le terrain. (Photo: 123RF)

LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.


(Illustration: Camille Charbonneau)

Les autorités canadiennes ont dernièrement revu la réglementation au sujet des plateformes de négociation pour cryptoactifs. Ce qui crée une certaine incertitude tant pour les utilisateurs que les opérateurs. Analyse avec Frank Hepworth, du cabinet d’avocats Borden Ladner Gervais (BLG).

Jusqu’à il y a peu, les «cryptobourses», les plateformes de négociation de bitcoins et autres monnaies numériques, étaient soumises à une réglementation quelque peu datée au pays. Mais les autorités canadiennes en valeurs mobilières ont dernièrement dépoussiéré l’application des règlements existants (Avis conjoint 21-329 du personnel des ACVM et de l’OCRCVM).

«En raison de la nouveauté des services et des produits, c’est-à-dire des actifs cryptographiques semblables à des marchandises, mais qui sont parfois considérés comme des valeurs mobilières ou négociés d’une manière qui en fait des produits dérivés, il était raisonnable de clarifier la situation du secteur au Canada», remet en contexte Frank Hepworth, du cabinet d’avocats BLG.

Ce qui n’est pas sans conséquence. Les changements auxquels les utilisateurs seront confrontés sont incertains, car les conditions d’inscription en tant que courtier ou place de marché ne seront déterminées que lors du processus d’inscription, indique-t-on chez BLG, tout en minimisant l’impact qui ne sera pas de nature à empêcher les utilisateurs de continuer à acheter et à vendre leurs cryptomonnaies.

 

Réglementation incrémentale

Cela étant dit, si les plateformes de négociation doivent être réglementées comme leurs homologues du secteur financier non crypto, des limites d’investissement s’appliqueront à la majorité de leur clientèle.

«Les commissions des valeurs mobilières ont indiqué qu’elles étaient prêtes à prescrire des exemptions personnalisées afin de refléter leur appréciation des industries novatrices au Canada. Toutefois, cette appréciation sera tempérée pour la sécurité d’investissement d’un client de détail», rappelle Frank Hepworth.

Wealthsimple Crypto est actuellement le seul prestataire à avoir déjà reçu ce genre d’exemptions et une limite d’investissement de 30 000 dollars canadiens pour sa clientèle de détail.

Par ailleurs, pour les acteurs cryptos, soulignons qu’il est important de prendre conscience de la nécessité d’être soumis à la réglementation des courtiers et des marchés de valeurs mobilières. Ces règlements établissent des exigences spécifiques en matière de personnel, d’opérations, de normes de déclaration, d’audit, de divulgation, etc. La conformité constituera une dépense importante et continue pour les opérateurs du Canada.

Plus largement, ces nouvelles directives auront des implications pour le secteur des services financiers au Canada dans son ensemble, les autorités ayant elles-mêmes reconnu qu’il s’agit «d’un marché en évolution» et que de nouveaux modèles qu’elles examineront «au cas par cas» pourraient émerger au fil du temps. Dit autrement, le traitement réglementaire sera à géométrie variable.

 

Progressiste le Canada?

«L’approche adoptée dans le monde entier pour le secteur de la cryptomonnaie est la suivante: l’innovation d’abord, la réglementation ensuite. Il s’agit probablement d’une approche nécessaire, qui, historiquement, n’a pas été exclusive à la crypto. Les orientations données par les régulateurs du Canada au cours des deux dernières années sont progressistes en ce sens qu’elles s’adressent directement à son industrie cryptographique interne – une étape que de nombreuses autres juridictions n’ont pas encore franchie», tient à préciser le cabinet d’avocats BLG.

Réduire le délai entre l’innovation et la réglementation incombe aux régulateurs. Concédons néanmoins que l’industrie des cryptomonnaies est complexe, et pour soutenir l’innovation, la réglementation doit travailler sur le terrain.

«Les régulateurs sont dans une position difficile, en particulier les régulateurs canadiens qui ne sont qu’un acteur dans un jeu beaucoup plus vaste. Des règles de base universelles n’ont pas été adoptées, de sorte que chaque pays fait de son mieux pour protéger les investisseurs, les intérêts de la politique publique et promouvoir l’innovation. Il y a de bonnes raisons pour lesquelles les régulateurs canadiens veulent s’assurer de leur position avant de faire des déclarations percutantes», relativiste-t-on chez Borden Ladner Gervais.

 

Une échappatoire

Il convient de noter que de nombreux investisseurs en cryptomonnaies au Canada ne se soumettront pas à ces restrictions réglementaires. Car l’écosystème né avec le bitcoin porte une différence fondamentale: la facilité avec laquelle quiconque peut accéder à des marchés non réglementés.

«La DeFi (decentralized finance) est un terme de plus en plus populaire, qui fait référence au phénomène selon lequel une infrastructure de services financiers native d’Internet est en cours de construction. La facilité avec laquelle une personne peut accéder à DeFi, par un simple téléchargement d’application sur un cellulaire, contraste fortement avec le processus financier classique d’identification des clients (KYC), d’antiblanchiment (AML), d’évaluation des produits et d’évaluation des clients que les plateformes crypto devraient désormais exiger de leur clientèle», expose Frank Hepworth.

Il existe des preuves évidentes de la préférence du marché. Binance, la plus grande bourse de cryptomonnaies au monde, est une plateforme extraterritoriale gérée de manière privée et traite un volume quotidien de transactions valant près de 47 milliards de dollars canadiens. La plus grande plateforme réglementée des États-Unis, Coinbase, négocie à titre de comparaison un volume près de 10 fois moins important (~5 milliards).

«La disparité est encore plus prononcée si l’on ajoute Uniswap, une cryptobourse de type DeFi, dont l’accès et la gestion sont totalement ouverts. Les volumes quotidiens d’Uniswap dépassent souvent ceux de Coinbase», fait remarquer Hepworth.

Les investisseurs en cryptomonnaies du Canada auraient-ils des préférences tout à fait opposées à ces tendances? Ou continueront-ils à accéder à plus de liquidités et d’options de placements, le tout sans (trop de) restrictions imposées par des plateformes qu’ils utilisent?