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Philanthropie: ensemble, c’est mieux

Sophie Chartier|Édition de la mi‑novembre 2023

Philanthropie: ensemble, c’est mieux

Marie-Lyne Brunet, vice-présidente au développement social à Centraide du Grand Montréal (Photo: courtoisie)

PHILANTROPIE. Le milieu caritatif vit un moment charnière. Les besoins en philanthropie augmentent dans la société, pendant que les dons sont en baisse. Dans un tel contexte, les pratiques de mise en commun permettent le maintien de services de qualité. Et parfois, tout simplement, de survivre.

« La pointe de tarte en philanthropie ne grossit pas aussi vite que les besoins sur le terrain », dit Laetitia Shaigetz, présidente de la firme d’experts-conseils en philanthropie Épisode. Elle évoque les résultats du Rapport sur les dons annuels 2023 de CanaDon, la plus grande plateforme de collecte philanthropique en ligne du pays, qui indiquent que 57,3 % des organismes de bienfaisance canadiens ne sont pas en mesure de répondre à la demande croissante de services. De plus, « 22 % des Canadiens s’attendent à dépendre d’organismes de bienfaisance pour leurs besoins fondamentaux », une hausse de 8 % en neuf mois, peut-on lire dans ce document.

Parallèlement, ce même rapport met en lumière l’effet qu’a eu l’inflation sur les dons. On dit que 44,5 % des organismes interrogés ont observé une diminution des dons de particuliers et 28,3 %, une diminution des dons des sociétés.

 

Problèmes complexes

Il faut donc faire plus avec moins. Pour une population plus diversifiée qu’auparavant. « On assiste à une réelle augmentation des besoins dans la société, dit Jean-Marc Fontan, professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal et codirecteur du PhiLab, le Réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie. On l’a vu avec la COVID-19, avec l’inflation. Et on ne parle pas seulement des gens traditionnellement en situation de pauvreté. Vous avez maintenant des gens de la classe moyenne qui ont des difficultés à vivre. »

Marie-Lyne Brunet, vice-présidente au développement social à Centraide du Grand Montréal, constate elle aussi que le degré de difficulté a augmenté depuis les dernières années pour les organismes de bienfaisance. « On voit des gens qui auront peut-être besoin d’aide pour la première fois, dit-elle. Ils peuvent avoir de la difficulté à s’orienter dans les réseaux, ils vivent de la honte. Ça demande un type d’intervention complètement différent. Donc, on est devant une demande de plus en plus grande, qui est de plus en plus complexe, avec moins de main-d’œuvre et moins d’argent. C’est tout un cocktail. »

 

Moins de marge de manœuvre

Si rien n’est fait, certains organismes devront même craindre pour leur survie, croit Daniel Asselin, directeur principal du développement philanthropique de la Fondation de l’Université de Sherbrooke. « Éventuellement, ce qui va arriver, c’est qu’il y a des organismes qui ne survivront pas dans le modèle actuel s’ils ne font pas une forme ou une autre de mutualisation. On vit des années charnières, la décennie 2020-2030, dit-il. S’il n’y a pas de changement, des organismes vont disparaître. »

Avec son annonce de soutien aux démarches de mutualisation, Centraide fait vraisemblablement un constat similaire, croit Jean-Marc Fontan. « Ce que Centraide aimerait voir, c’est une plus grande capacité d’action sur le terrain, dit-il. C’est donc un appel à aller au-delà des limites imposées par le fait qu’on a peu d’employés ou peu d’espace, quand la mission demande plus de ressources. C’est de dire “essayez de grossir en vous regroupant pour avoir une force de frappe plus grande”. »

 

Compétition

L’expert donne l’exemple de la crise du logement qui sévit au Québec. « On pourrait aisément mobiliser une centaine de milliards pour agir de façon rapide. Mais tout le monde — les organisations de la société civile et les grandes fondations — mène son propre projet avec sa stratégie et sa vision du monde, pour faire les choses à sa façon. Ça donne lieu à une espèce d’individualisme organisationnel qui fait qu’on est moins habiletés à contrer les problèmes dans la société. »

Un esprit de compétition, finalement. Laetitia Shaigetz l’observe elle aussi dans les comportements du milieu philanthropique. Il détonne d’avec la mission première que l’on s’est donnée. « Je pense que la compétitivité du milieu dans lequel on est fait vraiment remarquer que c’est en collaborant avec nos pairs qu’on arrive à nos fins, dit l’experte. C’est en allant chercher les ressources disponibles. »